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Juin 1792. berté, à respecter les lois et les autorités constituées; il ajouta que les députés étaient résolus à défendre la constitution et la France au péril de leur vie, et qu'ils sauraient mourir pour le bonheur du peuple, au poste même où le peuple les avait placés.

L'assemblée essaya ensuite de reprendre sa délibération illusoire, et d'examiner s'il serait permis aux insurgés de paraître dans la salle et d'y défiler en armes. Mais le peuple, las d'attendre, avait déjà envahi les vestibules et les couloirs, et commençait à se presser non loin de la tribune, en élevant des clameurs injurieuses ou menaçantes : l'assemblée se résigna à subir, peut-être même à autoriser une démonstration qu'elle n'osait interdire; et le redoutable cortége, alors composé de plus de trente mille hommes, fut admis à défiler en armes dans le lieu des séances. Il était précédé d'un petit nombre de musiciens, et obéissait aux ordres de Santerre et de Saint-Huruge. Cette scène étrange dura deux heures, pendant lesquelles on entendit fréquemment retentir le Ça ira et les cris de Vivent les sansculottes à bas le veto! Un homme qui portait un cœur de veau au bout d'une pique, avec cette inscription, Cœur d'aristocrate, fut repoussé de la salle sans qu'aucune voix osât prendre sa défense. Quand la foule eut cessé de défiler, Santerre parut à la barre, et, au nom des citoyens du faubourg Saint-Antoine, pria l'assemblée d'agréer l'hommage d'un drapeau.

Les attroupements, en sortant des bâtiments du Manége, se dirigèrent vers le Carrousel. Cette place ne présentait point alors comme aujourd'hui un grand espace vide sur lequel on peut faire manœuvrer un

peuple insurgé et une armée : elle était alors en partie Juin 1792. couverte de maisons et de rues, et, de plus, la belle cour qui s'étend devant les Tuileries, d'une extrémité à l'autre, et qu'une immense grille sépare de la voie publique, n'existait point encore, ou du moins elle était occupée par des bâtiments, des écuries et trois cours intérieures, bordées de murs de sept à huit pieds d'élévation 1.

La multitude affluait sur tous les points aux abords du château; elle força la porte de la terrasse du côté des écuries; les guichets du Carrousel étaient gardés, mais les officiers municipaux Hue, Patrès et Mouchet, levèrent la consigne, et les masses pénétrèrent sur la place. La grande porte de la cour royale était fermée ; quelques officiers municipaux se rendirent sous le guichet, et dirent aux individus placés en avant du cortége qu'il ne leur était pas permis d'entrer en armes chez le roi, et qu'ils devaient se borner à faire présenter leur pétition à Louis XVI par une députation de vingt hommes. Le peuple hésitait, autant par crainte des troupes qui défendaient le château que par respect pour la loi, lorsque Santerre, accompagné de Saint-Huruge, commanda aux canonniers de son bataillon de le suivre, déclarant que si on refusait d'ouvrir la porte, on la briserait à coups de boulets. Alors le peuple se précipita vers la porte royale. Une centaine de gendarmes à cheval, postés sur le Carrousel, résistèrent d'abord,

1 La cour du milieu s'appelait la cour royale; celle qui existait du côté de la rivière, la cour des princes; celle qui était située du côté de la rue Saint-Honoré, la cour des Suisses. Dans cette dernière étaient plusieurs constructions et l'hôtel de Brionne.

Juin 1792. et ne tardèrent pas à céder: bientôt la porte à deux battants fut ouverte par un canonnier, et, en quelques moments, la cour fut remplie par le peuple.

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L'une des pièces de canon que les hordes poussaient devant elles fut traînée à bras sous le vestibule du château, et jusque dans la première salle des grands appartements. Mais cet appareil de combat était désormais inutile sur tous les points la résistance avait cessé; les défenseurs du roi ne se montraient nulle part; la garde nationale s'était retirée presque tout entière; les gendarmes, élevant leurs chapeaux sur la pointe de leurs sabres, criaient: Vive la nation! Dans la cour et sous les fenêtres du roi, les masses que l'enceinte du château ne pouvait encore contenir vociféraient le même cri, en y ajoutant ces clameurs injurieuses: A bas monsieur Veto! à bas madame Veto!

M. Acloque, chef d'un bataillon de la garde nationale, voyant que la porte de la cour royale était forcée et que le peuple était déjà entré dans les appartements situés en avant de l'OEil-de-bœuf, se rendit par un passage dérobé dans le cabinet où se trouvaient alors réunis le roi, la reine, le prince royal, madame Royale, madame Élisabeth, et trois ministres, MM. de Beaulieu, Lajard et Terrière. Il apprit au roi qu'il était nécessaire, pour son salut, de se montrer au peuple. Le roi y consentit sans hésiter: s'étant rendu dans la pièce dont la foule assiégeait les portes, il commanda lui-même d'ouvrir. Il paraissait calme et tranquille, étant doué, au plus haut degré, de ce courage de la résignation, qui ne saurait tenir lieu du courage militaire. « Il se pourrait bien, avait-il dit, que le représentant héréditaire de la

nation ne vit pas la fin de la journée. » Comme la foule Juin 1792. se ruait autour de lui et semblait le menacer, l'un des quatre gardes nationaux qui étaient demeurés auprès de sa personne lui cria: « Sire! n'ayez pas peur. « Mettez votre main sur mon cœur, lui dit le roi, et << voyez s'il bat plus vite qu'à l'ordinaire. »

Ce ne fut d'abord qu'un mélange confus de voix et de hurlements, au milieu desquels on distinguait ces cris Point de veto! Sanctionnez les décrets! Donneznous le camp! Chassez les prêtres! Quelques hommes se laissaient aller à des réflexions grossières ou cyniques que l'histoire suppose et ne cite pas. Enfin, le boucher Legendre s'approcha du roi, et lui dit avec impudence : « Monsieur...... » A ce mot, Louis XVI fit un mouvement de surprise. « Oui, monsieur, reprit Legendre; écoutez<«< nous, vous êtes fait pour nous écouter... Vous êtes un << perfide; vous nous avez trompés, vous nous trompez << encore. Mais prenez garde à vous: la mesure est à son <<< comble, et le peuple est las de se voir votre jouet. » Legendre lut alors une prétendue pétition qui n'était qu'un tissu de reproches et d'invectives, se terminant par l'injonction faite à Louis XVI, au nom du peuple souverain, de retirer le veto qui suspendait les deux décrets de l'assemblée nationale. Alors Louis XVI, plus grand dans cet abaissement courageux qu'un roi victorieux sur son char de triomphe, répondit avec une sereine fermeté qu'il obéirait à la constitution, et que ce n'était pas dans cette forme que la loi permettait au peuple de lui soumettre ses vœux.

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Un homme du peuple présenta au roi un bonnet rouge, et la multitude demanda que Louis XVI en cou

Juin 1792. vrît sa tête : l'infortuné prince, déterminé à résister jusqu'à la mort aux injonctions qui blessaient sa conscience, crut devoir obtempérer à celles qui ne faisaient qu'humilier sa personne. Il se coiffa du signe des jacobins, et consentit même à boire à la santé de la nation. On chercha d'abord un verre; il ne s'en trouva pas; et le roi, affrontant la crainte du poison, porta la bouteille à ses lèvres. Des rires ignobles s'élevèrent alors dans la foule, et l'on entendit crier : Le roi boit!

La reine et madame Élisabeth, pendant cette scène douloureuse, n'avaient qu'un seul désir, celui de se rendre auprès du roi et de partager ses dangers. Si Marie-Antoinette s'était en ce moment montrée aux yeux du peuple, c'en eût été fait peut-être de ses jours et de ceux de son époux: on l'empêcha donc de pénétrer dans la salle où la royauté avait à subir tant d'outrages; mais madame Élisabeth parvint à se rendre auprès de son frère. Le peuple la prit pour la reine, et s'écria avec fureur : Voilà l'Autrichienne! il faut la saisir! Mais un serviteur fidèle détourna les piques dirigées contre elle, en disant à la foule: Ce n'est pas la reine, c'est madame Élisabeth. Cette héroïque princesse se plaignit alors de ce qu'on détrompait le peuple, et de ce qu'on l'empêchait de sauver, par le sacrifice de sa vie, les jours de la reine. Ce magnanime dévouement étonna les assassins, et suspendit leurs coups.

Quand, plus tard, la multitude força les appartements où se trouvait la reine avec ses enfants, les prémiers transports de rage étaient déjà affaiblis, et l'on

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