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pendre le salut de la France de la coalition des rois de l'Europe. Livrée à ces influences opposées, mais toutes deux sincèrement dévouées à sa personne, la reine ignorait bien souvent d'où lui viendrait le secours.

Cette princesse infortunée évitait avec un soin extrême de paraître au dehors, exposée qu'elle était aux grossières invectives de la populace. Des hommes infâmes, apostés jusque sous ses fenêtres, lui adressaient des injures cyniques, et la traitaient à haute voix de Médicis et de Messaline, dénominations historiques dont ces misérables ne pouvaient pas comprendre le sens. Souvent aussi le peuple la désignait sous le nom grossier de madame Veto. Le roi était également appelé M. Veto, le gros Veto, et c'était le moindre des outrages qu'il avait à subir. Sur des avis, vrais ou faux, qu'on cherchait à les empoisonner, le roi et la reine se virent réduits à prendre les précautions les plus minutieuses, bornant leur nourriture à certains mets fort simples, faisant apporter en secret leur vin et leur pain, et cachant sous la table ces aliments, pour en dérober la vue aux gens de service'. Dans les rares occasions où le roi et la reine se rendaient au spectacle, leur présence dans la salle donnait lieu à des manifestations fort contradictoires. En général, le public des loges, public d'élite et spécialement convoqué pour offrir aux princes des marques de sympathie, laissait éclater ses applaudissements, et saisissait avec bonheur les allusions monarchiques et consolantes offertes par les pièces représentées; mais les jacobins, furieux de ces

1 Mémoires de madame Campan.

RÉVOL. FRANC.

ASS. LÉGISLAT

10

1792.

Outrages dirigés contre la reine et son

époux.

1792.

La cour

de Louis XVI sous le régime constitutionnel.

généreux témoignages, se vengeaient en faisant naître des scènes scandaleuses. Un jour, à l'Opéra, l'actrice qui chantait un air de Grétry eut l'idée de s'incliner vers la reine en prononçant ces paroles: Ah! comme j'aime ma maîtresse! A l'instant le parterre s'écria : Pas de maîtresse! pas de maître! liberté! Quelques hommes répondirent, du haut des balcons: Vive la reine! vive le roi! Et le parterre de s'écrier avec plus d'énergie encore: Point de maître! point de reine! Il s'ensuivit une mêlée des plus longues et des plus sérieuses, durant laquelle la reine sut conserver un maintien plein de calme et de dignité.

Le curé de Saint-Eustache, confesseur de la reine, ayant prêté le serment constitutionnel, Marie-Antoinette choisit pour directeur spirituel un ecclésiastique demeuré fidèle, et qu'on introduisait en grand mystère aux Tuileries : le roi et la reine en étaient réduits à se cacher pour faire leurs pâques.

La nouvelle constitution détruisait ce qu'on appelait les honneurs, et rendait ainsi impossible le maintien Costi de cette étiquette brillante et minutieuse dont Louis XIV avait dicté les usages. Les grandes dames qui tenaient << au tabouret » méprisèrent le nouvel ordre de choses, et se démirent de leurs fonctions de cour: leur exemple fut imité, et l'on se demanda si Louis XVI n'allait pas bientôt songer à réorganiser sa maison civile. Le roi et la reine s'y refusèrent, dans la crainte de constater, par les nouvelles dénominations des charges, l'anéantissement des anciennes, et aussi pour ne pas admettre dans les emplois de cour des gens non titrés, et que leur naissance bourgeoise excluait de la maison royale. Bar

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nave et les Lameth virent avec déplaisir cette détermi-
nation; ils représentèrent que l'assemblée constituante
avait décrété une liste civile suffisante à la splendeur
du trône, et que l'on fortifierait les soupçons du peuple
si l'on se bornait à instituer, autour du roi, une garde
militaire, sorte de réserve destinée, au dire des pam-
phlétaires jacobins, à former le noyau d'une armée li-
berticide: << Comment voulez-vous, madame, écrivait
Barnave à la reine, parvenir à donner à ces gens-ci le
moindre doute sur vos sentiments? Lorsqu'ils vous dé-
crètent une maison militaire et une maison civile, sem-
blable au jeune Achille parmi les filles de Lycomède,
vous saisissez avec empressement le sabre, pour dédai-
gner de simples ornements. » La reine persista à ne
pas
vouloir de maison civile : « Si cette cour constitu-
tionnelle était formée, disait-elle, il ne resterait pas un
noble près de nous; et, quand les choses changeraient,
il faudrait congédier les gens que nous aurions admis
à leur place. » Ainsi les illusions d'une prochaine
restauration monarchique survivaient toujours en son
cœur et servaient de règle à sa conduite.

Barnave, devenu tardivement le conseiller le plus assidu et le plus dévoué de la reine, ne parvint que bien rarement à voir cette auguste princesse depuis le fatal retour de Varennes. Il écrivait, on lui répondait; tout se passait par lettres entre Marie-Antoinette et l'ancien constituant; on craignait de part et d'autre l'espionnage des jacobins et de l'assemblée. Mais, malgré ces précautions, les nouveaux sentiments ou les remords

1 Mémoires de madame Campan.

1792.

Conduite et

démarches de

Barnave.

1792.

Garde constitutionnelle

du roi.

de Barnave n'étaient un mystère pour personne. Aussi
la presse révolutionnaire ne le ménageait pas, et cha-
que matin, mêlant son nom à ceux des la Fayette et des
Lameth, elle le vouait à l'exécration du peuple. La ré-
volution, que Barnave avait si puissamment poussée
dans sa route, lui réservait encore d'autres récompen-
ses, ou pour mieux dire une autre justice.
- En at-
tendant, Barnave s'attachait, mais sans succès, à com-
battre les répugnances du roi dans la question du
clergé constitutionnel : il le suppliait de donner enfin
sa sanction au décret lancé contre les prêtres ortho-
doxes; Louis XVI, si résigné lorsqu'il ne s'agissait que
de ses prérogatives ou de sa personne, résistait coura-
geusement à ces tristes conseils. Cependant les événe-
ments ayant marché, les constitutionnels perdirent cha-
que jour du terrain, la lutte se dessina nettement entre
la royauté et la république, et il n'y eut bientôt plus de
place pour un parti du milieu : ce fut alors que Bar-
nave, désespéré de l'avenir, et bien convaincu de l'inu-
tilité de ses efforts, quitta Paris, et alla chercher dans
sa ville natale un asile qui ne fut pas longtemps hos-
pitalier.

1

Un décret de l'assemblée législative accorda au roi le droit d'avoir une garde; et, dès le premier jour, un singulier conflit s'éleva entre la garde soldée et la garde nationale, qui, toutes deux, réclamaient le poste d'honneur. Les journalistes jacobins prirent parti pour la garde nationale, mais ils la blâmèrent de regarder comme poste d'honneur celui qui se trouvait le plus

1 A Grenoble.

rapproché de la chambre du roi. « C'est aux domestiques, écrivaient-ils dans leurs feuilles, à se tenir le plus près de leur maître, pour être mieux à portée de le servir sans le faire attendre: or les citoyens soldats ne vont point au château pour remplir l'office de valets; ce n'est qu'une garde d'honneur qu'ils accordent au chef du pouvoir exécutif; c'est-à-dire, ils font à Louis XVI l'honneur de le garder car il n'y a pas grand honneur, pour des hommes libres, à garder un roi; mais il y a beaucoup d'honneur pour un roi à se voir gardé par des hommes libres1. » Nonobstant cette maxime républicaine, les sections se prononcèrent dans le même sens que les gardes nationaux, et Louis XVI s'empressa de faire droit à leurs réclamations'.

1 Journal de Prudhomme, t. II, p. 539.

* On se fera une idée du langage que tenaient les révolutionnaires de la presse et des clubs par celui que parlaient au roi les fonctionnaires publics. P. Manuel, procureur syndic de la commune de Paris, adressa à ce prince une lettre lâchement insolente qu'il fit imprimer, et dont il donna lecture aux jacobins. « Sire, disait-il dans cet écrit, je n'aime pas « les rois : ils ont fait tant de mal au monde, à en juger par l'histoire « même, qui flatte les plus grands d'entre eux, qui sont les conquérants, « c'est-à-dire ceux qui ont assassiné les nations! Mais, puisque la consti«tution qui m'a fait libre vous a fait roi, je dois vous obéir. Vous devez « vous soumettre à la loi, qui est la volonté de tous, par respect et pour «elle et pour vous. Les ministres vous ont sans doute prévenu que le peuple, malgré vos serments, s'attend tous les jours à votre départ; mais il sait ་ que le trône des Français ne s'emporte pas. Fonctionnaire public, vous ◄ devez au peuple de repousser la calomnie, car toute votre force est dans sa pensée et dans son estime; et quatre lignes tracées par votre main « dans un journal, comme en écrivait ce Frédéric qui pouvait bien passer « pour un roi, vaudraient mieux que les proclamations que vous payez toujours et que vous ne lisez pas... Vous avez un fils... enfant qui sera « un jour très-étonné de trouver vingt-cinq millions d'hommes dans la « succession de son père : demandez que cet enfant soit confié à un ami de la nature, à Bernardin de Saint-Pierre... Tous, tant que vous êtes,

1792.

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