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Avril 1792. « servé le droit de se plaindre; ou bien il faudrait dire <«< que tout est légitime contre les peuples, que les rois << seuls ont de véritables droits; et jamais l'orgueil du «< trône n'aurait insulté avec plus d'audace à la majesté <<< des nations. >>> Un peu plus loin, il ajoutait les paroles suivantes, nouvelle formule du droit des gens selon la révolution française : « La parenté, l'alliance << personnelle entre les rois n'est rien pour les nations; << esclaves ou libres, des intérêts communs les unissent; « la nature a placé leur bonheur dans la paix, dans les << secours mutuels d'une douce fraternité : elle s'indi<< gnerait qu'on osât mettre dans une même balance le <<< sort de vingt millions d'hommes et les affections ou << l'orgueil de quelques individus? Sommes-nous donc «< condamnés à voir encore la servitude volontaire des peuples entourer de victimes humaines les autels « des faux dieux de la terre? >>

Nous croyons devoir reproduire le célèbre décret qui intervint à la suite de ce manifeste, et qui fut rédigé par Gensonné :

« L'assemblée nationale, délibérant sur la propo«<sition formelle du roi, considérant que la cour de «< Vienne, au mépris des traités, n'a cessé d'accorder << une protection ouverte aux Français rebelles; qu'elle << a provoqué et formé un concert, avec plusieurs puis«<sances de l'Europe, contre l'indépendance et la sû<< reté de la nation française; que François Ier, roi << de Hongrie et de Bohême, a, par ses notes des << 18 mars et 7 avril dernier, refusé de renoncer à ce <<< concert ;

« Que, malgré la proposition qui lui a été faite, par

<«< la note du 11 mars 1792, de réduire, de part et Avril 1792. <«< d'autre, à l'état de paix, les troupes sur les fron<«<tières, il a continué et augmenté des préparatifs << hostiles;

« Qu'il a formellement attenté à la souveraineté de <«< la nation française, en déclarant vouloir soutenir les << prétentions des princes allemands possessionnés en « France, auxquels la nation française n'a cessé d'of« frir des indemnités;

Qu'il a cherché à diviser les citoyens français, et à <«<les armer les uns contre les autres, en offrant <«< aux mécontents un appui dans le concert des puis«<sances, etc. :

<< L'assemblée nationale déclare que la nation française, fidèle aux principes consacrés par sa consti«<tution, de n'entreprendre aucune guerre dans la vue « de faire des conquêtes, et de n'employer jamais ses « forces contre la liberté d'aucun peuple, ne prend les << armes que pour la défense de sa liberté et de son <«< indépendance; que la guerre qu'elle est obligée de << soutenir n'est point une guerre de nation à nation, « mais la juste défense d'un peuple libre contre l'in<< juste agression d'un roi ;

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<< Que les Français ne confondront jamais leurs frè«res avec leurs véritables ennemis; qu'ils ne négligeront rien pour adoucir le fléau de la guerre, pour << ménager et conserver les propriétés, et pour faire << retomber sur ceux-là seuls qui se ligueront contre sa <<< liberté tous les malheurs inséparables de la guerre ;

« Qu'elle adopte d'avance tous les étrangers qui, abjurant la cause de ses ennemis, viendront se ranger

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RÉVOLUTION FRANÇAISE. ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

Avril 1792. «sous ses drapeaux et consacrer leurs efforts à la dé«fense de sa liberté... :

« Délibérant sur la proposition formelle du roi, et << après avoir décrété l'urgence, décrète la guerre con<< tre le roi de Hongrie et Bohême. »

Tel fut le mémorable décret qui devait commencer une guerre de vingt-trois ans, faire couler le sang humain par fleuves dans les deux hémisphères et changer la face du vieux monde européen. Les uns l'accueillirent par une profonde terreur, les autres par l'exaltation de l'espérance; et l'orgueil aussi bien que la crainte se représentèrent sous les plus vives couleurs les gloires ou les misères de l'avenir : mais, si loin que les imaginations osassent étendre la peur ou l'espoir, elles restèrent encore bien au-dessous des calamités et des grandeurs que Dieu réservait à notre patrie.

LIVRE SIXIÈME.

1792.

société fran

Élisa--çaise en

1792. Disposition

royale.

Pendant le roi, entraîné par les événements, ne que semblait attendre que d'eux une occasion de déli- État de la vrance, la noble Marie-Antoinette et madame beth commençaient à ne plus trouver autour d'elles de la famille des amis assez hardis pour recevoir la confidence de leurs chagrins. La reine, plus forte que son malheur, gardait au dehors les apparences du calme et de la dignité; la sœur du roi continuait à se résigner sans murmure à la volonté de Dieu.

La reine consacrait sa journée presque entière à écrire; elle passait une partie de ses nuits à lire; elle entretenait une correspondance active avec l'empereur d'Allemagne, le comte de Provence et le comte d'Artois; et ses lettres démentaient, modifiaient ou atténuaient en secret les déclarations publiques imposées au roi et les notes transmises aux ambassadeurs par les ministres responsables. Tandis que dans son langage officiel l'infortuné Louis XVI parlait de sa liberté, de son ferme désir de maintenir et de défendre le régime révolutionnaire, la reine rétablissait la vérité de la situation, et ne laissait rien ignorer de la captivité du

dance

Corresponpolitique de

la reine.

1792.

Prétendu comité autri

chien.

secrets de la reine.

roi. Ces dépêches mystérieuses étaient tracées en chiffres, et confiées à des courriers de famille d'une discrétion à toute épreuve. Le secret de ces communications intimes ne fut point alors pénétré par les chefs de la révolution; mais ils avaient trop la conscience des douleurs et des regrets de Marie-Antoinette pour ne pas la Conseils soupçonner de chercher à s'entendre avec les puissances dont l'intervention armée semblait seule devoir la sauver. Ils accusaient, en outre, un petit nombre de feuillants de tremper dans cette conjuration monarchique, et de dicter les notes confidentielles qu'on adressait des Tuileries à M. de Noailles ou au prince de Kaunitz c'est ce concert de la reine et de ses affidés qu'ils dénonçaient hautement dans la presse et à la tribune des jacobins, sous le nom de comité autrichien.

:

les

Par malheur, la reine, soit faiblesse, soit calcul, écoutait les avis de deux comités principaux, inconnus l'un à l'autre, et agissant en sens contraire. D'un côté, elle se laissait diriger avec un certain abandon par Lameth, Duport et Barnave, et, sous leur influence, elle se résignait à subir la constitution, sauf à en tirer le meilleur parti possible dans l'intérêt du pouvoir royal; mais la haine prononcée de ces meneurs constitutionnels contre la noblesse et le clergé ne lui permettait pas de se soumettre toujours à leur conseil; et d'ailleurs les feuillants avaient donné trop de gages la révolution pour qu'elle osât espérer, de leur appui tardif, le rétablissement de la monarchie. Marie-Antoinette avait donc des heures de défiance et d'incertitude durant lesquelles elle se laissait guider par des amis exclusivement royalistes, et ceux-là faisaient dé

à

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