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Oct. 1791. gent, il avait passé sa jeunesse à rédiger des livres et des pamphlets dépourvus de conscience et de style, et parmi lesquels il s'en trouvait de ceux qu'un honnête homme repousse avec dégoût. Auteur de libelles impies ou obscènes, qu'une société d'escrocs littéraires soldait à Londres, pour trafiquer ensuite de son silence avec la police française, Brissot avait tour à tour écrit contre la religion et la morale, et rédigé dans le sens de l'aristocratie anglaise des volumes où la cause du peuple était calomniée et condamnée. Las de se traîner dans cette fange, il était revenu en France, où on lui avait fait l'honneur de le mettre à la Bastille; c'était le rehausser à ses propres yeux, et le tirer du mépris pour l'ériger en victime. Peu de mois après, Brissot, comprenant le besoin de se faire oublier, voyageait en Amérique, et obtenait de Franklin et de Washington, aussi facilement dupes que le sont les grands hommes, des témoignages de sympathie et d'estime, à l'ombre desquels il aimait à se croire entièrement purifié de son passé. De retour en France, où le rappelaient les premiers orages de la révolution, il avait su mettre à profit les notions acquises dans ses pèlerinages de libelliste, et son journal' avait été promptement considéré comme l'organe le plus avancé de la diplomatie révolutionnaire. Aidé dans sa nouvelle carrière par Rolland et sa femme, par Girey-Dupré et Mirabeau; membre du corps municipal au 14 juillet, mêlé aux jacobins, serviteur complaisant de Bailly et de la Fayette, flatteurdes constitutionnels et des radicaux, il avait réussi à

Le Patriote français.

exercer une influence considérable sur les événements Oct. 1791. et sur l'opinion, sans cesser d'être pour le plus grand nombre un révolutionnaire de circonstance et un patriote douteux; car, poursuivi par la honte de son passé, il n'avait pu obtenir de l'estime publique une complète amnistie; et le collége électoral de Paris, qui l'avait choisi, n'avait entendu proclamer son nom parmi ceux des nouveaux députés qu'après onze scrutins d'un pénible et laborieux ballottage.

Disciple de Voltaire, et plusieurs fois son complice Condorcet. dans l'œuvre de destruction philosophique dont le patriarche de Ferney fut le principal instrument, MarieJean Caritat, marquis de Cordorcet, membre de l'Académie des sciences et de la secte encyclopédique, était alors le digne émule de Brissot et le second chef du parti girondin. C'était d'ailleurs un homme qui aurait regardé en arrière sa vie sans y trouver la bassesse ou l'improbité, s'il avait pu oublier que, de concert avec Voltaire, il avait autrefois érigé le mensonge en système, afin d'épargner à la philosophie des contradictions rudes et incommodes. D'Alembert disait de lui: << C'est un volcan couvert de neige; » et ce mot n'était juste qu'à moitié. Si quelque flamme intérieure circulait dans le cœur de Condorcet, froid écrivain et rhéteur didactique, ce n'était tout au plus que le feu sombre de l'orgueil : non qu'il mît sa gloire dans les distinctions de caste, dans les honneurs décernés par les corporations savantes; il savait les dédaigner à propos, et aller à cet égard au-devant des exigences populaires : mais, comme Sieyès, qu'il était loin d'égaler, il aimait à se complaire en son propre génie, à chercher

Oct. 1791. le moyen le plus sûr de conduire ces troupeaux d'hom

mes auxquels un bienfait de la nature a réservé les philosophes pour leur servir d'apôtres et de flambeaux. Condorcet avait le premier formulé et mis en honneur cette idée de la perfectibilité continue de l'homme, qui console le matérialiste en attribuant à la créature l'espérance et le droit de posséder un jour le caractère essentiel de la Divinité : c'est l'idée du progrès indéfini, dont une secte moderne a fait son drapeau. C'est par elle que Condorcet se séparait, au moins en apparence, de l'école philosophique purement railleuse et négative, pour jeter, en dehors de la vérité, les bases d'une théorie qui, reposant sur l'orgueil, ne sert qu'à exalter et à étourdir le cœur de l'homme. Et cependant Condorcet n'était ni sans bonne foi ni sans quelques vertus. Lui, au moins, il avait pris au sérieux ses propres enseignements, et c'était avec une ardeur aveugle, mais sincère, qu'en étendant ses doctrines il croyait travailler au bonheur de l'espèce humaine. Son esprit était actif et laborieux, ses mœurs douces, son caractère parfois susceptible de générosité et de dévouement, bien qu'avant tout il se recherchât lui-même; et, sous ce rapport, sa conduite l'avait exposé à de fâcheux commentaires de la part de ceux qui lui reprochaient à juste titre de se courber sous les bienfaits du roi, dans le temps même où il enseignait publiquement le mépris des institutions royales'. Ce dernier trait, qui est vrai, est aussi de tous

1 On publia un portrait de Condorcet, au bas duquel on lisait cette méchante épigramme :

Jadis mathématicien,
Marquis, académicien;

les temps, et il donne la mesure de beaucoup de pa- Oct. 1791. triotismes.

Comme Sieyes et Brissot, Péthion était de Chartres. La révolution, qui l'avait trouvé avocat médiocre, commençait à reconnaître en lui l'une de ses idoles favorites, se réservant de traîner le dieu aux gémonies quand elle serait lasse de l'encenser; et ce jour de justice ne devait pas tarder à venir. Comme il avait fait partie de l'assemblée constituante, il n'était pas membre de la nouvelle législature; mais la Gironde aimait à voir en lui un apôtre, au besoin un guide, et, dans tous les cas, une caution de plus de son patriotisme, un gage certain d'influence et de popularité. Péthion était ce grossier républicain qui, durant les angoisses du fatal retour de Varennes, avait, par la rudesse de ses manières, rendu plus amer le malheur du roi. Sa brutale

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Le journal de Marat est bien autrement énergique; voici dans quels termes il stigmatise Condorcet :

"...

Un Condorcet, tartuffe consommé sous le masque de la franchise: « adroit, intrigant, qui a le talent de prendre des deux mains ; et fourbe « sans pudeur, qui veut allier les contraires, et qui, sans rougir, eut le « front de débiter au Cirque son discours républicanique, après avoir ré. « digé si longtemps le journal du club ministériel. »

Ces aménités et ces violences n'avaient alors, pas plus que de nos jours, une autorité incontestée; et il faut bien se garder de les accepter sans contrôle : mais elles aident à comprendre l'époque et les hommes révolutionnaires.

Péthion.

Oct. 1791. austérité lui avait valu le surnom de vertueux; et le jour où finit le pouvoir de l'assemblée constituante, la multitude le porta en triomphe, honneur que l'incorruptible Robespierre partagea avec lui. Il en était alors venu à jouir de cette popularité trompeuse dont Necker avait senti le néant; et, comme les esprits de cette trempe, enivrés par l'orgueil, n'entrevoient ni le vide ni la courte durée de l'engouement qu'ils inspirent, il se croyait le représentant nécessaire de la révolution, l'homme d'État destiné au rôle de modérateur des factions contraires.

Le côté gauche.

paux chefs.

Le côté gauche, qui comptait encore dans ses rangs Les princi- un petit nombre d'orléanistes découragés, ne devait se signaler dans l'assemblée législative que par l'exagération et la violence de ses entreprises : le moine apostat Chabot; Basire, fils du portier des chartreux de Dijon; Couthon, dont le corps, paralysé par une infirmité précoce, renfermait encore un cœur virulent et plein d'audace, tels étaient les députés les plus connus de ce parti qui ne dissimulait ni sa profonde haine pour le roi ni son mépris pour les principes monarchiques. Comme ils siégeaient sur les gradins les plus élevés de l'assemblée, les journalistes les désignaient sous le nom expressif de Montagne. Une masse flottante de députés indécis et timides, qui ne votaient qu'après avoir pris conseil de leurs propres dangers, et dont parfois l'autorité politique passait pour suspecte, se détachait de des hommes toutes les nuances et occupait les gradins inférieurs : Le ventre. on la désignait sous le nom honteux de Ventre.

Parti

douteux.

Puissance

des clubs.

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L'assemblée législative qui allait régir la France était Les jacobins. placée elle-même sous la tutelle et la menace des clubs,

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