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lion qui veut que celui qui a tué meure, que celui qui a insulté soit insulté, que celui qui a semé le vent récolte la tempête. Heureux ceux qui n'ont pas été complétement victimes de ce talion, et que l'engrenage a lâchés encore vivants! Ceux-là ont fini par trouver, non sans tristesse, que le despotisme, avec ses bienfaits et ses hontes, sa sécurité et son humiliation est à défaut de ce port plus noble et plus sûr auquel nous aspirons toujours en vain, d'un pouvoir assez fort pour permettre impunément tout ce qui ne doit pas être défendu, en régnant par la seule puissance de l'opinion et des lois, est, disent-ils, le seul refuge ouvert aux naufragés de la liberté, aux réfractaires de la Terreur !

II.

Comptons d'abord les journées révolutionnaires; nous apprécierons ensuite ceux qui nous les racontent. Car une déposition n'a que la valeur du témoin. Il ne peut pas suffire d'avoir vu pour être cru. Notre impartialité ne saurait être passive, et se dispenser de savoir à qui elle a affaire. Elle doit être curieuse comme celle du juge, autant qu'il est possible de mériter ce titre à celui qui étudie des événements si complexes, si altérés par l'esprit de parti, si voisins de nous (soixante-dix-neuf ans à peine nous séparent de l'échafaud de Louis XVI), si entièrement liés, du côté des choses et du côté des hommes, à notre propre destinée. Nous ne sommes pas le premier à tenter ce rude travail de classification et de

généralisation appliqué aux journées révolutionnaires. Dans un livre remarquable, trop peu connu, et que l'ouvrage de M. Mignet a couvert de son ombre magistrale, l'Esprit de la Révolution', l'ancien conseiller au Parlement de Metz, l'ancien Constituant, plus tard comte Roederer, l'a dressé, avant nous, ce décompte des événements décisifs, génériques, de la Révolution française.

Ce travail, suffisamment impartial pour paraître plus désintéressé qu'il ne l'est peut-être en réalité, est écrit par un homme qui a vu les événements dont il parle, qui y a pris part et qui a été un philosophe de l'autorité après avoir été un philosophe de la liberté.

Sa synthèse, tracée à la lueur de cette double expérience, emprunte à son talent et à son caractère un crédit particulier qui fait de cet écrit, plus que de ceux de Benjamin Constant, le bréviaire du révolutionnaire modéré, le manuel du constitutionnel libéral, pouvant s'accommoder, à certaines conditions, soit de la monarchie, soit de la république.

Peut-être cependant ce doctrinarisme politique a-t-il exercé sur l'auteur une influence contre laquelle il est bon de prémunir le lecteur. L'inconvénient des théories et des systèmes est d'être plus aptes à accommoder les faits à leurs exigences, qu'à se plier à celles des faits. Cette habitude de la généralisation, qui élève l'esprit, ne le fait pas sans resserrer un peu le cœur. Le philosophe traite parfois les événements dont s'émeut l'historien avec une sérénité qui ressemble à de l'indifférence et un détache

Euvres du comte Kæderer, publiées par son fils. T. III. (Firmin Didot frères, 1854.)

ment qui frise l'égoïsme. Mais il est convenu que le sage doit être impassible comme le médecin. Toute la question est de ne l'être pas trop ou mal à propos.

Quoi qu'il en soit, dans ce travail un peu froid, mais très-substantiel, qui fait penser sur un de ces sujets où il est plus facile de toucher que de convaincre, et où c'est faire preuve de courage que de ne prétendre qu'au succès de la raison, M. Roederer a esquissé le tableau de toutes les journées « signalées par quelque violence contre le pouvoir ». Et il l'a fait avec une fierté tempérée à propos par la modestie, car il est de ceux que la Révolution n'a pas grisés, et qui se défendent de l'idolâtrie du sectaire.

M. Roederer, « depuis le 14 juillet 1789, époque de l'insurrection du peuple, jusqu'au 9 juillet 1815, époque de la dernière restauration de la maison de Bourbon, » compte dix-huit de ces journées où tour à tour le peuple a gagné, le pouvoir a perdu quelque chose.

Dix-huit journées révolutionnaires, dans un espace de vingt-six années!

Il ajoute :

« Dans cette période de vingt-six années, la France a eu neuf constitutions différentes, entre lesquelles ont passé dix-huit journées fameuses par quelque violence d'un parti contre l'autre, trois abolitions principales, et trois grandes proscriptions. »

M. Ræderer écrivait avant 1830.

Si nous ajoutons cette date aux précédentes, si, pour

'On verra plus loin que M. Roederer, systématiquement ou étourdiment, a oublié deux journées révolutionnaires qui ne sont pas cependant à mépriser.

suivant la nomenclature des jours tragiques ou décisifs qu'a vus notre génération, nous mentionnons encore le 24 février 1848, le 15 mai, l'insurrection le 13 juin 1849 le 2 décembre 1851, le 4 septembre 1870, le 18 mars 1871, le 24 mai et le 19 novembre 1873, nous trouvons, dans un intervalle de quatre-vingt-un ans, la durée de la vie pour un certain nombre d'hommes, quinze constitutions ou essais de constitutions, vingt-huit journées révolutionnaires ou réactionnaires, coups de peuple ou coups d'État, à la charge du besoin de changement,du goût de nouveauté, de l'esprit d'aventure de la nation qui se dit la plus spirituelle du monde.

Les chiffres ici, sont des raisons. Et nous n'aurons garde d'essayer d'ajouter à leur éloquence.

M. Roederer compte parmi les journées révolutionnaires le 20 juin 1789, ou séance du jeu de Paume, et de son serment théâtral. Nous ne le ferons pas, considérant cette manifestation et la réunion des trois ordres comme faisant partie du programme légitime, inévitable, irrésistible, du mouvement de 89. Il n'y eut là ni résistance à main armée, ni effusion de sang. A ce titre, nous excepterons aussi la séance du 4 août, consacrée par l'abolition spontanée, patriotique, des priviléges.

Nous ne voulons faire entrer dans notre énumération que les journées coupables de quelque attentat, que celles où le droit a été excédé, que celles où la force a triomphé, laissant le plus souvent, pour traces de son passage, des taches de sang.

1° C'est le 14 juillet 1789, par un attentat séditieux contre l'autorité et la dignité royale, par l'ordinaire et funeste coïncidence de la perte du respect dans le peuple

et de la perte de la discipline dans l'armée, que la Révolution commence à dévier et à s'égarer dans les « par-delà », pour parler comme Saint-Simon.

La prise de la Bastille qui ne se défend pas, la connivence d'une partie de l'armée, la faiblesse de l'autre, tels sont les trophées et les conquêtes de ce jour glorieux, au gré de quelques-uns, funeste à nos yeux. Ce jour-là, fut détruite une prison d'apparat, une forteresse d'épouvantail, menaçante seulement pour les grands, où sept prisonniers seulement furent délivrés par ce triomphe du peuple qui, trois ans après, ne devait pas trouver dans Paris assez de Bastilles pour y entasser les dix mille victimes, réservées à l'échafaud, de la suspicion et de la délation, ces deux vertus civiques et nouvelles.

2o Les journées des 5 et 6 octobre 1789, œuvre équivoque et sanglante de la brutalité populaire, exploitée par l'habileté des ambitieux, mal contenue par des novateurs encore épris de leur chimère ou des médiateurs incapables de sacrifier à un devoir incertain une popularité enivrante; enfin, car il faut tout dire encouragée par la faiblesse de Louis XVI, qui ne sut ni prévoir, ni vouloir, ni agir, mais seulement souffrir et pardonner; les journées des 5 et 6 octobre succèdent à la journée du 14 juillet comme le coup succède à la menace, le tonnerre à l'éclair, comme une faute amène l'autre, quand la démagogie ose tout, et que le pouvoir subit tout.

Ce jour là, Rivarol et Mirabeau sont d'accord sur ce point, le roi n'eut qu'un homme auprès de lui, et cet homme fut la reine, Marie-Antoinette, digne d'un meilleur soit, et digne aussi, non d'un meilleur, mais d'un plus énergique époux.

a.

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