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certifier son zèle et à déclarer « qu'il s'empara de Robespierre'. »

Courtois, dans son Rapport déclamatoire, mais rempli de pièces curieuses, sur les événements de Thermidor *, s'exprime en ces termes, qui peignent si bien les passions et le mauvais goût du temps:

« La victoire semble être aux ordres de la Convention. Ele semble n'attendre que le signal pour obéir. En un clin d'œil Hanriot, dont les forces sont repoussées, disparaît, la Commune est entourée; deux colonnes marchent contre elle; le décret de mise hors la loi les précède; les conjurés vont tomber sous le glaive des vainqueurs. Non, citoyens, cette mort eût été trop honorable pour eux; c'est la mort des scélérats qui leur est réservée. Ils doublent leur supplice par les tentatives qu'ils font pour s'ôter la vie. Robespierre, qu'un gendarme croit avoir immolé: Robespierre qui, le matin, agitait dans ses mains un canif dont il n'osait se percer, parce qu'il espérait encore triompher, se tire un coup de pistolet qui ne fait que le punir, dans l'organe de l'éloquence, de l'abus qu'il en a fait; son frère se précipite du haut de la Commune, et, dans sa chute, se prépare des souffrances que le supplice, trop doux pour de semblables criminels, lui eût épargnées.

« Saint-Just se rend en lâche.

< Lebas seul a la main plus sûre et se sert de bourreau. »

Nous avons nous-même publié cette pièce dans l'Appendice de notre ouvrage intitulé: Les Autographes et le goût des autographes en France et à l'étranger; Paris, in-8°, J. Gay, 1865, p. 311.

2 Rapport fait au nom des comités de salut public et de sûreté géné. rale sur les événements du 9 thermidor an II, prononcé le 8 thermidor an III, la veille de l'anniversaire de la chute du tyran, par E. B. Courtois, député de l'Aube, imprimé par ordre de la Convention nationale; Paris, de l'Imprimerie nationale, floréal an IV (p. 70-71 et n° XXXVI des pièces justificatives).

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Une Note de Courtois indique que Léonard Bourdon, en présentant Méda à la Convention, déclara seulement « qu'il ne l'avait pas quitté et avait tué deux des conspirateurs ». Il ne cita point Robespierre; et le témoignage de Bochard, concierge de la maison commune (l'Hôtel de ville), est formel en faveur de la tentative de suicide, à laquelle il assista et dont il faillit être victime, la balle qui n'avait fait que blesser Robespierre ayant manqué de le tuer au passage.

Par tous ces motifs, et sans qu'il soit besoin de recourir à l'opinion des historiens non contemporains, nous nous prononçons, contrairement à ce qu'on pourrait croire, pour Méda contre ses contradicteurs.

Nous ne le faisons pas sans regret, car nous trouvons l'hypothèse plus dramatique, plus juste, plus morale que la réalité. Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, il nous eût semblé d'une leçon plus décisive, d'un effet plus salutaire qu'avant de monter sur l'échafaud, où il avait fait monter lui-même tant de martyrs de la liberté et de la vertu, Robespierre eût tenté, mais en vain, de se

' Cette opinion toutefois est intéressante à connaître et à constater; M. Thiers seul est pour la tentative de suicide; M. Mignet, M. Louis Blanc, M. Michelet, adoptent la version de Méda, que ce dernier trouve << naïve et très-croyable ». M. Louis Blanc démontre qu'elle seule doit être crue par des raisons que nous trouvons excellentes et auxquelles nous ajoutons celles que l'étude du temps, de la situation et des hommes nous a suggérées (L. Blanc, édit, in-18, Librairie internationale, t. XI, p. 204 à 254). M. Ernest Hamel (Histoire de Robespierre, t. III, p. 791) tient aussi pour le coup de pistolet de Méda, dans cette apologie exaltée et contradictoire de Robespierre, où il attribue sa défaite à sa répugnance à armer le peuple contre la Convention (qu'il avait décimée) et où il regrette : « que Robespierre n'ait pas exécuté ce que Bonaparte fera au 18 brumaire. »

tuer lui-même. Mais la vérité doit passer avant toutes les convenances de l'artiste ou du moraliste.

La vérité est donc, suivant nous, en dépit de bien des inexactitudes et des erreurs de détail, dans le récit d'un homme d'exécution, d'un homme de main, peu au courant des mystères de la coulisse politique du temps et du jeu complexe des partis. Méda a dit sincèrement ce qu'il a réellement fait. Les thermidoriens ont prêté à Robespierre, avec d'autant plus de facilité qu'il n'était pas là pour les contredire, l'acte qu'ils auraient voulu qu'il fit et qu'il était de leur intérêt qu'il fît.

Méda et le parti qu'il avait servi au hasard, d'instinct et sans en être, quoique son tempérament fût plutôt d'un réactionnaire que d'un terroriste, avaient intérêt à ce que Robespierre mourût, car la victoire de Robespierre eût été leur arrêt de mort.

Mais pour Méda, il ne risquait que ce que risque un soldat compromis dans les luttes civiles: sa peau.

Pour les thermidoriens, l'enjeu de la partie était bien plus considérable; il ne leur suffisait pas que Robespierre mourût; ils avaient besoin qu'il mourût d'une certaine façon; ils devaient sauver non-seulement leur vie, mais leur renommée, leur crédit, leur pouvoir, l'honneur et la moralité de leur revirement si subit, si téméraire, si suspect. Avant de mourir de leur main Robespierre devait essayer de mourir de la sienne, afin qu'il ne parussent plus que les exécuteurs d'un arrêt prononcé par lui-même.

Voilà pourquoi Léonard Bourdon, tout en déclarant à la Convention que Méda ne l'a pas quitté, qu'il a tué deux conspirateurs, ne le nomme pas et ne nomme pas ses victimes.

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Voilà pourquoi Courtois imite cette réserve et attribue à une erreur la prétention du gendarme libérateur, qu'il fait contredire à point par une déposition du concierge Bochard. Cette déposition ne prouve qu'une chose : le désir qu'on avait, dans les régions dominantes, que fût contredit le témoignage importun, indiscret de Méda qu'on avait éloigné, et auquel Barrère avait comminatoirement intimé l'ordre de se taire.

Voilà pourquoi Barras réfute Méda et pourquoi Tallien, tout en certifiant sa valeur, se garde bien de certifier son acte.

Cette conspiration unanime du silence chez les thermidoriens a sa raison dans un intérêt commun.

Il leur répugnait naturellement d'avouer qu'inspiré, encouragé, au moins guidé par eux, Méda avait exécuté sommairement Robespierre; d'avouer que par cet empressement odieux à devancer un procès, un jugement, un éclat, ils avaient prévenu, de la part de Robespierre, des révélations qui eussent pu les compromettre.

Enfin il était désagréable à leur amour-propre de constater qu'ils n'étaient pas arrivés les premiers à l'Hôtel de ville, qu'ils n'avaient pas bravé le danger, le hasard du premier choc et qu'ils s'étaient laissé devancer par un subalterne, que le fait d'avoir tué Robespierre érigeait au rang d'acteur principal et décisif du drame.

Combien la version du suicide était préférable pour eux à l'indiscrète révélation de ce Méda qui n'était qu'un maladroit, et se vantait si sottement d'avoir manqué son coup!

La mise hors la loi de Robespierre, enlevée par eux, leur mauvaise humeur contre Méda, renvoyé au cin

quième régiment de chasseurs avec un grade de souslieutenant auxiliaire qui l'éloignait sans le récompenser : tout cela est bien dans la logique du caractère et du rôle des thermidoriens.

Attendre jusqu'au dernier moment, espérer jusqu'au bout, préférer la mort reçue d'un ennemi à l'immorale, indécente et lâche extrémité du suicide, n'était pas moins dans la logique du rôle et du caractère de Robespierre qui, en effet, comptait sur la résistance des sections fidèles, sur le fanatisme idolâtre dont il était l'objet, sur les ressources ou au moins les représailles d'un débat parlementaire ou judiciaire, sur l'effet de sa vue, sur le prestige de son éloquence, et voulait se défendre, se venger, s'il ne réussis-sait pas à se sauver.

La mort volontaire était une reculade, une désertion,. un aveu de culpabilité, d'impuissance. Robespierre était trop orgueilleux, trop habile pour donner si beau jeu à ses ennemis. Il ne songea pas à se tuer. Il ne l'essaya pas. Il ne se condamna pas lui-même à la mort, au silence. Il fut blessé par Méda qui voulait bien le tuer.

Tout le prouve : le témoignage de Méda; l'absence constatée d'armes sur la table devant laquelle délibéraient Robespierre et ses amis (Le Bas, pour se tuer, dut aller prendre un pistolet dans la salle voisine, celle où se tenait armé le comité d'exécution); le procès-verbal des médecins qui pansèrent Robespierre; la fuite désespérée de son frère, éperdu d'une agression foudroyante; enfin, plus que tout le reste, le caractère connu de Robespierre et son intérêt évident, qui était de résister, de parler, de vivre au moins assez pour se venger.

Nous avons dit que nous répondrions aussi à une autre

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