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d'un homme qui a eu la pudeur de sa justification, et n'a osé parler qu'à travers l'inviolabilité de l'outre-tombe, sont aux mains des héritiers de Saint-Albin.

M. Lanfrey et M. Michelet 2 ont eu la communication hâtive et superficielle de ces Mémoires, dont nous sommes disposés à croire que l'importance a été surfaite par un habile mystère, qui a plus irrité la curiosité des frivoles et des malins que leur publication tant différée, tant préparée, ne satisfera peut-être la conscience sérieuse de l'historien, avide de preuves.

Une obligeante autorisation nous a permis de reproduire ici un fragment de ces Mémoires relatif au 9 thermidor, déjà publié deux fois 3, mais dont l'intérêt, en raison du nom de son auteur, acteur principal, et autant qu'il appartient à un tel caractère, décisif dans le dénoûment du drame, ne saurait être contesté.

Nous faisons suivre cette déposition des deux opuscules de Vilate intitulés : Causes secrètes de la révolution du 9 au 10 thermidor, parce qu'ils contiennent, sur la lutte entre les opposants des comités de sûreté générale et de salut public et le triumvirat composé de Robespierre, de Saint-Just et de Couthon, lutte qui se dénoua par le conflit des 8 et 9 thermidor, des détails curieux et des anecdotes intéressantes.

Histoire de Napoléon, t. I. 2 Histoire du XIXe siècle.

1872.

Directoire. Origine des Bonaparte,

3 D'abord dans la Revue du XIXe siècle, de M. A. Houssaye; puis dans les Documents relatifs à la révolution française extraits des Euvres inédites de A.-R.-C. de Saint-Albin, recueillies et publiées par son fils aîné, H. de Saint-Albin, Paris, E. Dentu, 1873, un volume in-8°.

L'histoire toutefois ne saurait accueillir ce témoignage sans tenir compte de l'indignité du témoin.

Nous ne saurions oublier que les révélations de Vilate ont été écrites par cet ancien juré (sous le nom de Sempronius Gracchus!) du tribunal révolutionnaire, dans la prison de la Force et dans celle du Luxembourg. En payant ce tribut aux vainqueurs, ce bourreau désabusé plus que repentant cherchait à se poser en victime, afin d'échapper à l'échafaud où il avait plus philosophiquement envoyé les autres qu'il n'y marcha lui-même.

Mais à travers la partialité intéressée et déclamatoire de ses récits circule, par moments, un incontestable courant de sincérité et de vérité. Tout n'est pas à mépriser dans les accusations que les coupables, en présence de la mort, se jettent entre eux. Ces récriminations de complice à complice en apprennent souvent plus long que tous les interrogatoires.

Quant à la responsabilité personnelle de Vilate, ses aveux, s'ils parviennent à l'atténuer, ne la détruisent pas. En dépit de la suspicion légitime qui s'attache aux expiations hâtives de toute réaction, nous ne saurions. considérer comme un innocent celui qui ne parvint pas à se disculper devant des juges dont aucun n'était assez pur pour avoir le droit d'être inexorable.

Malgré ces universelles solidarités des crimes publics, comme la Terreur, où l'on peut dire que tout le monde a une part, et les circonstances atténuantes qui militent en sa faveur, Vilate ne fut pas épargné, et en effet, à en juger par les charges établies contre lui, il ne pouvait pas l'être. Nous trouvons dans un consciencieux ouvrage, le meilleur de tous ceux qui existent sur son tragique

sujet, les témoignages trop décisifs sur lesquels fut condamné Villate.

Joachim Vilate, âgé de vingt-six ans (sa principale excuse!) comparut, le 8 germinal an III, avec vingt-trois juges ou jurés du tribunal révolutionnaire, devant le tribunal réparateur auquel incombait la tâche de laver, dans leur honte et dans leur sang, l'affront fait si longtemps à la justice, à la loi et à l'humanité, par ces assassins déguisés en magistrats.

L'acte d'accusation, signé Judicis, ne formulait contre « Joachim Vilate, âgé de vingt-six ans, né à Ahun, département de la Creuse, faisant ses études lors de la Révolution, puis professeur à Guéret, à Limoges et à SaintGauthier », comme contre ses anciens collègues, que des inculpations générales qui, en ce qui le touche, furent précisées aux débats de la façon suivante :

« Un jour il a dit : « Quant à moi, je ne suis jamais embarrassé; je suis toujours convaincu. >>

« Une autre fois, les débats lui semblaient trop longs; à moitié étendu sur son siége, on voyait qu'il ne prêtait aucune attention à ce qui se passait devant lui. Enfin, il se lève, et s'adressant au président Dumas:

« Les accusés sont doublement convaincus, lui dit-il, de conspiration; car en ce moment ils conspirent contre mon ventre. »

« Et tirant sa montre, il fit voir à Dumas qu'il était l'heure du dîner.

« Jamais Vilate ne restait longtemps à délibérer dans la salle des jurés. Pendant que ses collègues feignaient une dé

Le Tribunal révolutionnaire de Paris, par M. E. Campardon, Paris, Plon, 1866, 2 vol. in-8o.

libération, lui se promenait dans les couloirs d'un air ennuyé, un cure-dents à la main, allait au greffe, et regardait, par-dessus une cloison, la figure de ceux qu'il allait condamner.

« En révolution, disait-il, tous ceux qui paraissent devant le tribunal doivent être condamnés. >>

« Vilate nie énergiquement ces propos; il a toujours à la bouche des maximes de philosophie et quelques-unes de ses réponses sont curieuses à connaître.

«- Êtes-vous prêtre? lui demande le président.

« A la vérité, répond l'accusé, je le suis; mais ce titre n'avilit pas plus que celui de noble; les tyrans seuls ont pu imaginer de proscrire des hommes en masse, et la vertu, qui peut germer dans tous les cœurs, doit être plus précieuse encore chez ceux qui ont un caractère à soutenir, une influence à

exercer. >>

« Ces paroles ne renfermaient-elles pas la propre condamnation de Vilate et de ses collègues? Combien de fois, en effet, n'envoyèrent-ils pas à l'échafaud des accusés, simplement parce qu'ils étaient prêtres ou nobles? »

Cette analyse impartiale des dépositions, par un historien qui, comme nous, inclinerait plutôt à une certaine pitié pour ce fanfaron de crimes plus encore que criminel, entraîné malgré lui, de même que tant d'autres, dans l'engrenage révolutionnaire par le vertige de la vanité et de l'ambition, est confirmée par le résumé de Cambon (du Gard), substitut de l'accusateur public.

Le 17 floréal an III, Fouquier-Tinville, Foucault, Scellier, Garnier-Launay, Le Roy, dit Dix-Août (tout cela cachait le marquis de Montflabert!), Renaudin, Prieur, Vilate, Chatelet, Girard, Boyaval, Benoît, Lanne, Verney, Dupaumier et Herman furent condamnés à mort et su

birent leur peine, au milieu de la même affluence et des mêmes acclamations qui accompagnaient jadis les victimes de leurs délations ou de leurs jugements '.

Sur thermidor enfin, et surtout sur la mort de Robespierre, nous donnons la Relation du gendarme Méda (Charles-André), mort baron de l'empire et colonel du 1er régiment de chasseurs à la bataille de la Moskowa, qui dut sa brillante carrière militaire à l'attention qu'il attira sur lui par sa conduite dans cette journée.

Méda affirme avoir tiré le coup de pistolet qui fracassa la mâchoire de Robespierre. Quelques-uns des auteurs de la légende révolutionnaire préféreraient naturellement à cette fin banale, commune à trop de scélérats vulgaires, le coup de pistolet d'un gendarme en état de légitime défense, le théâtral désespoir d'un suicide stoïque.

Barras réfute l'assertion du parvenu contre-révolutionnaire qui passa sa vie à exploiter, avec un zèle trop intéressé pour être complétement sincère, un acte d'énergie insuffisamment récompensé à son gré par les éloges de la Convention et le grade de sous-lieutenant. Tallien, dans une apostille signée par lui au bas d'une pétition adressée le 14 germinal an VI, au Directoire, par ce Méda que M. Michelet s'obstine à appeler Merda 2, pour punir en lui l'assassin présumé de Robespierre, se borne à

Voir sur Vilate le Tribunal révolutionnaire, etc. par M. E. Campardon, t. II, p. 192 à 194, 210, 325. Il est juste de signaler à sa décharge les efforts que firent le pianiste Hermann et Ange Pitou, qui devaient la vie à une de ces inspirations de générosité dont il se passait trop rarement la fantaisie, pour le sauver à leur tour.

2 M. Hamel, dans son Histoire de Robespierre, affirme que Merda est le vrai nom, le seul authentique.

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