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INTRODUCTION.

I.

Nous nous proposons de reproduire, dans ce Recueil, les relations authentiques, contemporaines, les dépositions de témoins ou d'acteurs, les plus caractéristiques et les plus autorisées (dans leurs parties essentielles, incontestables seulement) relatives à cette série d'événements, d'incidents, selon les optimistes, d'accidents, suivant les pessimistes, qui marquent tour à tour la progression ascendante et la progression descendante de la Révolution.

Cette suite de faits imprévus, brutaux, décisifs, en dehors des règles, en dehors du droit, ces brusques cahots, ces haltes subites, dans le sang ou dans la boue, du char de la Terreur, gravissant de catastrophe en catastrophe la pente fatale, pour retomber ensuite dans l'abîme des stérilités de la violence, cela s'appelle les Journées révolutionnaires.

Journées révolutionnaires! mot des neutres, des fatalistes, euphémisme prudent qui dispense de l'éloge ou de la critique, et atteste, jusque dans le nom donné à ses convulsions, l'influence stupéfiante de la Terreur!

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Nous dirons, ncus, sans amour et sans inimitié, sans crainte et sans espérance, avec la franchise des honnêtes, avec la sincérité des désintéressés, avec l'impartialité des désabusés, ce qu'elles furent, ces journées tour à tour exaltées jusqu'à l'hyperbole, abaissées jusqu'à l'injustice; nous dirons d'où vinrent et où aboutirent ces explosions périodiques de l'ignorance, de l'envie, de la haine et de la peur.

Pour nous borner en ce moment à leurs conséquences, qui ne sait que le principal, l'inévitable résultat de ces excès populaires, militaires, parlementaires fut de précipiter, de corrompre, de stériliser des progrès nécessaires, des inspirations généreuses, des réformes fécondes?

Sans cette hâte et sans cette violence, sans l'ambition des chefs et le fanatisme des soldats, nous n'aurions pas vu faire irruption sur la scène ce monstre populaire qui, une fois déchaîné, va toujours au delà du but, qui voit dans tout une proie, déchire tour à tour amis et ennemis, n'entre en liberté que pour bondir dans la licence et retomber dans la servitude.

C'est ainsi que la Révolution, qui aurait pu ouvrir, dans notre pays, l'ère pacifique du progrès universel, de la régénération sociale, de la liberté pondérée par le pouvoir, réglée par les lois, ennoblie par l'ordre, n'a été que l'incendiaire signal de cette fièvre de passions et d'idées qui nous agite et nous énerve encore.

C'est par suite de cette agitation et de cet énervement que nous oscillons tour à tour, sans parvenir à nous fixer dans un état normal, définitif, du désir du mieux à la crainte du pire, de l'anarchie à la dictature, du silence de l'opinion aux crimes de l'opinion, des coups de peuple

aux coups d'État, des journées révolutionnaires aux journées réactionnaires, du 14 juillet 1789 au 18 brumaire an VIII, du 24 février 1848 au 2 décembre 1851, du 4 septembre 1870 au...... C'est encore, au moment où nous écrivons, le secret du destin.

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C'est en partant des origines de la Révolution, qui dure encore, jusqu'à sa première halte de brumaire où nous nous arrêterons nous-mêmes, c'est ce cycle d'événements si logiques qu'ils en semblent contradictoires, que nous allons parcourir.

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Depuis le jour où la Révolution naît d'une révolte jusqu'à celui où elle expire dans l'impuissance; depuis le jour où elle inaugure le règne de la violence jusqu'à celui où elle tombe sous le joug de la force; depuis le jour où elle commence la Terreur jusqu'au jour où elle succombe sous le mépris; depuis le jour où elle usurpe le pouvoir jusqu'à celui où elle abdique entre les mains d'un maître, quel drame poignant et exemplaire! Quelle instructive et émouvante variété de tableaux! C'est cette suite d'événements et de leçons qui va se dérouler devant nous.

Nous y apprendrons, une fois de plus, inutilement peut-être, pour éviter des fautes qu'il est plus facile de reconnaître qu'il ne l'est d'en profiter, que ce qui est violent dure peu; que tout excès provoque un excès contraire; que le temps ne respecte rien de ce qui est fait sans lui; que la liberté sans ordre est un abîme sans garde-fou; que les nations n'ont que le gouvernement qu'elles méritent; que quiconque se sert de l'épée périra par l'épée; que quiconque se sert des factions tombe par les factions; enfin, que la tyrannie de tous, qui mène fatalement à la tyrannie d'un seul, est encore la plus insupportable de toutes.

Nous y apprendrons que les coups de peuple sont toujours suivis de coups d'État, et que, par une loi politique qui a toute la rigueur des lois mathématiques, il arrive toujours un moment où la Révolution, après avoir dévoré tous ses enfants, se déchire à son tour, où il ne reste plus au bourreau, comme le montre une célèbre caricature de thermidor, qu'à se guillotiner lui-même, où le ridicule triomphe de l'odieux, et où la raison reprend ses droits vengeurs'.

C'est là ce qui résulte de la brève analyse historique qui va suivre; c'est ce que démontreront encore mieux ces dépositions de témoins et d'acteurs du drame révolutionnaire qui ont fait successivement appel à l'opinion, le juge suprême, les uns des murmures de leur conscience, les autres des injures de la calomnie, ceux-ci des revirements de la popularité, ceux-là des ingratitudes du sort.

Ce qu'ils ont attesté surtout, c'est la vanité de leurs efforts pour diriger et contenir ces forces aveugles de la multitude, propres seulement à la destruction, et incapables de construire; c'est la fatalité inexorable de ce ta

1 Définition des révolutions par Joubert:

« Les révolutions sont des temps où le pauvre n'est pas sûr de sa probité, le riche de sa fortune et l'innocent de sa vie »

Définition des révolutions par M. de Bonald :

« Des sottises faites par des gens habiles; des extravagances dites par des gens d'esprit; des crimes commis par d'honnêtes gens : voilà les révolutions. >>

Double définition toujours vraie, toujours vérifiée, en dépit des illusions de ce chauvinisme civil, de ce prudhommisme frondeur et badaud, que Paul-Louis Courier, qui le flattait tout haut pour s'en moquer tout bas, appelait « le libéralisme à deux anses ».

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