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piquante histoire de la Révolution à vol d'oiseau, ces récits humouristiques des journées du 10 août, du 9 thermidor, du 13 vendémiaire et du 18 fructidor, par cet homme original en tout qui s'est amusé à cacher ses Mémoires, pour échapper aux lecteurs superficiels, dans les cent pages d'Introduction au Recueil de sa Correspondance politique'.

On juge de l'intérêt et de l'attrait de ce fragment autobiographique écrit par l'homme qui a frappé au meilleur coin de l'esprit tant de mots dont l'or n'est point altéré, malgré la circulation, parce qu'ils constituent une monnaie non commune, non vulgaire et réservée à l'élite

« Quand on a un vice, il faut savoir le porter. »

« La politique, même dans les gouvernements représentatifs, c'est ce qu'on ne dit pas. »

«On avait surnommé Robespierre l'Incorruptible; il l'était, en effet, comme ceux qui veulent prendre tout à la fois. » -«Les États en révolution ne se sauvent point par des constitutions, mais par des hommes. »

- «Heureux ceux qui n'ont point fermé les yeux sur les événements pour ne les ouvrir que sur les livres! >>

«On peut dire des peuples qui sont entrés dans la carrière des révolutions, qu'après s'être fatigués d'idées et d'espérances, ils retombent lourdement sous le joug de leurs besoins. >>

--

« La religion aura longtemps encore plus besoin d'être soutenue que contenue. >>

« De nos jours, le royalisme n'est ni une passion, ni

Correspondance et Relations de J. Fiévée avec Bonaparte, premier consul et empereur, pendant onze années (1802-1818). Paris, Desrez et Beauvais, 1837, 3 v. in-8°.

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un enthousiasme, moins encore un fanatisme; c'est une opi

nion ».

- «Toutes les fois qu'on entrera en opposition contre le gouvernement, quel qu'il soit, Voltaire retrouvera tout son crédit, parce qu'il est fort amusant à lire pour ceux qui sont mécontents. >>

— « Est-ce qu'il y a du ridicule, quand il n'y a plus de mœurs fixées? Le ridicule serait aujourd'hui un moyen de suc-cès, s'il aidait un homme à sortir de la foule. »

Nous croyons avoir suffisamment recommandé à nos lecteurs ce petit chef-d'œuvre de philosophie politique indépendante et de narration originale d'un homme qui fit lui-même et tout seul ses opinions et son style, et nous a ainsi laissé « un des meilleurs et des plus piquants morceaux d'histoire contemporaine ».

V.

La journée du 10 août avait achevé la monarchie. La République commence d'agoniser à la journée de thermidor, sur le caractère de laquelle il importe d'ailleurs de ne pas se faire illusion.

Thermidor ne fut pas une révolution nationale, populaire, une explosion d'opinion. La lassitude universelle fit ce jour-là le miracle réservé en général à l'impatience universelle.

Il y a des révolutions actives et des révolutions passives, des révolutions de la colère, de la haine, du mépris, de l'ambition. Thermidor fut une révolution de la

peur, passive, inquiète, équivoque, stérile comme la peur elle-même ; elle fut faite au nom de la clémence par des implacables, au nom de la pitié par des apôtres de l'échafaud, par des proconsuls de la Terreur, qui évitèrent, en portant le premier coup, de subir le talion révolutionnaire dont la menace leur donna tous les cou-rages, même celui de la modération.

Je parle de la modération dans les idées, dans les mots, dans les apparences, car rien ne fut plus cynique, plus brutal, plus féroce que le coup d'État parlementaire dans l'inspiration, militaire dans l'exécution, concerté entre les Tallien, les Bourdon, les Fréron, les BillaudVarennes, les Barrère. Faisant de la réaction avec le même zèle aveugle qu'ils avaient mis à faire de l'action, ils dénoncèrent, proscrivirent, assassinèrent, grâce à la mise hors la loi, - mesure horrible, monstrueuse et universelle déchéance, destituant la victime de l'humanité elle-même -les Robespierre, les Saint-Just, coupables surtout de les mépriser, et que le triomphe de tels adversaires ferait presque plaindre, si l'impitoyable pouvait avoir droit à la pitié,

Il n'y a donc qu'à se féliciter, au point de vue de la moralité de l'histoire et de la dignité du gouvernement divin de ce monde, que de trop longues éclipses de la justice et de la vérité finiraient par discréditer, il n'y a. qu'à se féliciter de la chute de la tyrannie de Robespierre, si longtemps inviolable, grâce au fanatisme de ses amis et à la servilité des comités.

Il était juste que le fait fermât la bouche violemmen à ceux qui avaient érigé en religion le triomphe du fait. Ils rendirent un vain hommage au droit quand ils es

sayèrent de se sauver par l'éloquence et de se défendre par la légalité, au nom de ce peuple français dont l'opinion est si volontiers pour le plus fort et dont les acclamations insultèrent Robespierre mourant comme elles avaient glorifié Robespierre triomphant. Il était juste que ceux qui avaient régné par la Terreur tombassent par la violence, et qu'on ne fit point grâce à ceux qui n'avaient fait grâce à personne.

Mais si la révolution de thermidor fut inévitable dans es causes, louable dans ses mobiles, du moins ceux affectés, nous ne saurions approuver également les moyens dont elle se servit, encore moins admirer les hommes qui la firent et en profitèrent.

C'est assez de l'impunité pour des gens qui ne tuèrent que pour n'être pas tués, qui avaient été les missionnaires de la Terreur dont Robespierre était le politique et Saint-Just le philosophe, qui avaient offert à l'idolâtrie de la guillotine le tribut des hécatombes, qui enfin, dans un débat sérieusement contradictoire ou devant un tribunal impartial, n'eussent peut-être pas eu le beau rôle en se portant les accusateurs de ces tyrans qu'ils n'immolèrent si hâtivement que pour les empêcher de se défendre.

C'est le silence, le silence mutuel, l'oubli réciproque, qui formèrent le lien des conjurés de cette étrange conspiration des héros compromis de la Terreur, tentant sans béroïsme le coup désespéré de se sauver en paraissant sauver la liberté, la justice, la France, en réalité pour échapper à la reddition de comptes, en massacrant leurs complices, devenus leurs censeurs, et en anéantissant leurs dossiers'.

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Le 9 thermidor arriva, c'est-à-dire le jour où des scélérats, crai

Mais c'est assez nous arrêter à la physionomie morale d'une révolution où, à peu de choses près, ceux qui triomphèrent ne valaient pas mieux que ceux qui succombèrent, révolution faite par la peur au nom de la pitié, exécutée par la violence et exploitée par l'ambition. Elle devait conduire la décadence du pays du Directoire au coup d'État de brumaire, et de Robespierre à Barras.

Nous passons à l'analyse des témoignages et à la solution des questions qu'ils suggèrent, dont les deux plus curieuses sont celles-ci :

1° Robespierre s'est-il, le 9 thermidor, tiré un coup de pistolet dans la mâchoire, ou l'a-t-il reçu de la main de Méda? A-t-il tenté de se suicider, ou a-t-on tenté de l'assassiner?

2o Barras était-il de connivence avec la réaction royaliste, et s'effaça-t-il devant Bonaparte, comme incapable ou comme indigne de résister?

Ce sont là des problèmes historiques à examiner au cours des témoignages que nous reproduirons, après les avoir appréciés brièvement.

Le premier de tous est celui de Barras lui-même, un révolutionnaire doué du tempérament, sinon du caractère d'un dictateur, dont la gloire diffamée est faite de coups d'État avortés: 9 thermidor, 12 germinal, 13 vendémiaire, 18 fructidor, et qui devait naturellement tomber par un coup d'État : 18 brumaire.

Les Mémoires de Barras, apologie tardive et posthume

a gnant pour leurs têtes, résolurent de faire tomber celle d'un autre « scélérat qui les menaçait. Aidés par le bon parti, ils réussirent. » Journal d'un déporté non jugé, 1834, in-8°, chez Firmin-Didot). Le dé(porté non jugé est M. de Barbé-Marbois.

b.

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