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pamphlétaires. Roederer seul a le caractère d'un historien. Nous ne reproduirons de la Chronique de cinquante jours qui, sans être un ouvrage commun, n'est pas absolument rare', que ce qui se rapporte exclusivement aux journées du 20 juin et du 10 août.

Tout le reste est de développement, de déduction, de démonstration, de citation de documents qui reflètent trop fidèlement l'unique passion du temps pour n'être pas monotones. On sent que la Révolution est acharnée à sa proie, et ne la lâchera pas. On sent qu'on se trouve dans ces temps tragiques où l'antique et aveugle fatalité semble s'être emparée du théâtre des choses humaines, où une force inexorable, par laquelle on est séduit ou entraîné, pousse chacun à aller jusqu'au bout, parce que le but est au bout, que ceux-là seulement triompheront qui ne verront que le but, et que ceux-là seront écrasés qui s'arrêteront en route ou reculeront devant les moyens.

Dès le 20 juin, on comprend bien que la chute de la royauté, que la mort du roi lui-même ne sont plus qu'une question de temps, qu'il est des hommes à l'ambition desquels il faut cette double garantie, et d'autres hommes qui n'oseront pas la leur refuser. Dès le 20 juin, ce roi qui « n'a su que se laisser voir, et n'a pas su se montrer » est condamné par tous et par lui-même, et n'est plus qu'une victime.

Aussi comprend-on qu'avec un tel chef, inerte, passif, que l'excès de timidité et d'irrésolution faisait paraître

1 Chronique de cinquante jours (du 20 juin au 10 août 1792), rédigée sur pièces authentiques, par P. Roederer. Imprimerie de Lachevardière, 1832, reproduite dans les Œuvres, t. III.

équivoque, qui était si peu roi, si peu de son propre parti, la lutte ait été courte, et précipitée par la défection.

Les notes de Mirabeau et de Barnave, les Mémoires de Malouet et bien d'autres témoignages attestent les dégoûts infligés par la cour aux royalistes constitutionnels, et le découragement des meilleurs amis d'une reine en vain capable de chercher son salut sur la terre, puisque elle était enchaînée à l'immobilité d'un prince qui ne s'inquiétait que du ciel.

A ce groupe des monarchistes constitutionnels, des libéraux modérés, destiné à tant d'épreuves et de déceptions, qui paya si cher, puisqu'il fut exposé au feu des deux partis opposés, son goût du juste-milieu et son culte de la raison, appartenait Roederer.

L'espoir seul de faire du bien ou du moins d'empêcher du mal lui avait fait accepter les fonctions, si dangereuses à un moment de conflit flagrant entre tous les pouvoirs, — de procureur général syndic du Directoire du département de la Seine, c'est-à-dire d'homme obligé d'avoir, à toute heure, une opinion faite sur les cas les plus imprévus, les plus contradictoires, et d'être, à toute heure, obligé de défendre cette opinion, sans autorité pour l'imposer, sans autre force que celle de son caractère et de sa parole, sans moyen d'action autre que des conseils, sans autre récompense en cas de succès que l'impopularité, assurée en temps de révolution, à ceux qui ne cherchent qu'à avoir raison et s'en contentent.

Tel était le rôle, équivoque par lui-même, telle était la situation de Roederer au 10 août.

On comprend, quand on l'a entendu, que ce jour-là il n'y ait eu que des fous ou que des désespérés héroïques,

et que ceux qui n'étaient tenus qu'à faire leur devoir, n'aient point été au delà.

Roederer n'alla point au delà.

Il avait vu, le 9, le Roi, qui devait donner du courage à ses défenseurs, les effrayer tellement par sa contenance que le 10 il se trouva seul. On ne se fait tuer que pour les princes qui donnent l'exemple du mépris de la mort, et ne se bornent pas à l'attendre.

Louis XVI, qui avait tous les courages qui se cachent, manquait précisément du plus banal et du plus nécessaire de tous aux jours du danger, le courage sanguin, quelque peu théâtral, qu'il faut pour braver l'assaut de son palais, ou pour le punir.

Si le Roi eût été capable de résistance, s'il eût, par ses paroles et son exemple, électrisé les gardes nationaux fidèles, s'il eût donné des ordres précis à ces malheureux Suisses, auxquels il ne permit de défendre les Tuileries que lorsqu'il n'y fut plus, et qui montrèrent dans leur abandon et leur désespoir ce qu'ils eussent pu faire, bien commandés et encouragés; si enfin, le parti eût été douteux et le succès possible, nul doute que Roderer n'eût fait à sa conscience le sacrifice de braver ce hasard.

Mais comment tout risquer, en faveur d'un prince qui ne veut rien risquer? Comment se confier à un roi qui ne se souvient ni aux Tuileries, ni à l'Assemblée, ni quand il faut agir, ni quand on délibère, des vers de Corneille :

Qu'il mourût,

Que vouliez-vous qu'il fît ?.....
Ou qu'un beau désespoir alors le secourût.

Roederer, jusqu'au bout, resta honnête, clairvoyant, fidèle au Roi, tant que celui-ci ne s'abandonna pas luimême. Mais il ne fit rien de plus. Qui oserait lui en faire reproche? On peut être courageux sans être héroïque, ct désintéressé sans avoir le goût des causes perdues. Le pire de celle de Louis XVI, c'est qu'elle fut perdue par sa faute.

Le 9 et même le 10, de l'aveu de Barbaroux, il pouvait encore résister, encore vaincre. S'il fût monté à cheval, avec quelque chose de l'air d'Henri IV, de son diable au corps, il pouvait prendre à son compte et à son profit le coup d'État qu'on tramait contre lui, dégager à coups de fusil, le 9, à coups de canon, le 10, les Tuileries et le Carrousel, marcher à l'Hôtel-de-Ville, jeter au besoin par les fenêtres ce conciliabule de séditieux, en lutte avec tous les pouvoirs légaux, de là se rendre à l'Assemblée gagnée par le succès ou intimidée par la peur, s'y conduire en roi, qui a le droit de Veto et en use, qui a le droit de punir et aime mieux pardonner.« Mais n'y revenez pas, eût dit sans doute Henri IV, en pardonnant, et laissez-moi d'abord courir aux ennemis communs. Je reviendrai causer avec vous des affaires qui nous divisent quand vous aurez réfléchi et quand j'aurai vaincu. »

Mais Louis XVI n'avait hérité d'Henri IV, que les flatteurs du début du règne crurent voir revivre en lui, qu'en ce qui touche l'honnêteté et la bonté. Ce n'est pas assez, surtout dans des temps où il eût fallu à la royauté pour la sauver un homme d'État doublé d'un général.

Louis XVI donc, le 9 et le 10 août, pouvant résister, ne résista point, et tout ce que put faire Roederer pour le sauver sans le compromettre, il le fit.

Quand il n'y eut plus d'autre issue ouverte, le temps de l'action étant irrévocablement passé, que de chercher un refuge à l'Assemblée, M. Roederer y conduisit le Roi.

Tout cela est correct, irréprochable pour ceux qui se rendent compte du milieu, des circonstances, et ne demandent pas à un homme ni à une situation plus qu'ils ne peuvent donner. Beaucoup firent moins que M. Rœderer. Peu eussent fait plus. Et à l'entendre, il semble qu'il n'y eut pas moyen de faire autrement.

Le caractère de la vie politique de l'ancien procureurgénéral syndic du Directoire du département de Paris, devenu plus tard le comte Roederer, est d'avoir toujours été raisonnable, logique, d'avoir tenu compte des principes autant que possible, et des circonstances encore plus que des principes.

On ne s'étonne pas, mais on ne saurait non plus s'indigner de voir le même homme, qui parle du 10 août avec une certaine rigidité doctrinaire, et en philosophe assistant à une expérience, plus qu'en passager assistant à un naufrage, coopérer au 18 brumaire avec une ardeur sans réserve. M. Roederer était de ceux qui se sauvent, par conséquent partisan né de ceux qui sauvent.

L'essentiel, pour l'honneur de sa mémoire, est qu'il ne l'ait point fait trop tôt, qu'il l'ait fait sans dommage pour sa dignité et son patriotisme, qu'il ne se soit tu que lorsqu'il n'y avait moyen de parler que pour dire des sottises, qu'il ne se soit effacé que pendant la Terreur, comme Sieyès, de la race duquel il est incontestablement, et du plus proche, pour ne se relever et ne ressusciter qu'avec la France elle-même.

Ce jour-là, c'est le 18 brumaire, où l'arbitraire fut puni

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