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Ce jour-là, l'autorité souveraine commence à succomber par la perte de sa dignité et de sa liberté. Le roi est ramené de force à Paris, à ce point qu'il doit affecter d'y venir de son plein gré. Il est enfermé dans sa capitale, avant d'être enfermé dans la constitution, puis dans l'abdication. Tout cela, au milieu des hommages impérieux, presque ironiques, de la municipalité triomphante, de la garde nationale ivre de sa fausse victoire, de la populace sûre de sa force, et faisant succéder ses caresses à ses insultes, pour mesurer à cette double épreuve la patience de cette royauté qu'elle n'embrasse aujourd'hui que pour mieux l'étouffer demain.

Dès ce jour-là, nous assistons à la décadence, à l'agonie de la monarchie, jetant encore, à force d'honnêteté, quelques rares éclairs de l'ancienne grandeur, mais s'enfonçant, faute d'unité dans les vues, faute de génie dans les actes, faute de bonheur dans les événements, au plus profond de cette déchéance morale qui, consommée dès le 20 juin 1792, ne laissera plus aux usurpateurs à prononcer que la déchéance légale du 10 août, à accomplir que l'immolation matérielle du 21 janvier.

Nous reprenons, après avoir effleuré, non épuisé, ces réflexions inévitables, irrésistibles, à son troisième article notre funèbre bilan de la banqueroute royale, avant celui de la banqueroute révolutionnaire.

C'est une gradation de catastrophes, c'est une progression de fatalités, c'est une chaîne d'asservissement et d'avilissement de celui qui, hier, était le roi, qui aujourd'hui est l'esclave, qui demain sera le prisonnier et aprèsdemain la victime de la Révolution qu'il n'a su ni prévoir, ni empêcher, ni diriger.

Nous laissons, pour cette partie de notre énumération, la parole à Roederer.

3° « Le 17 avril 1791, rassemblement qui empêche le roi de quitter Paris pour aller à Saint-Cloud.

4o Le 21 juin, départ ou évasion du roi; son arrestation, son retour.

5° « Le 17 juillet, canonnade au Champ-de-Mars sur un rassemblement qui demande le jugement du roi et sa déchéance.

6° « Le 20 juin 1792, le château des Tuileries forcé, le roi insulté.

7° « Le 10 août 1792, le château des Tuileries assiégé, le roi retiré à l'Assemblée nationale, la royauté suspendue, le roi conduit au Temple.

8° « Les 2, 3 et 4 septembre, massacre des nobles et des prêtres dans les prisons.

9° « Le 21 janvier 1793, exécution du roi.

10° « Les 31 mai, 1er et 2 juin suivants, assaut de la Commune à la Convention, proscription du parti modéré par le parti exagéré, dit la Montagne.

11° « Le 25 juin 1795 (10 thermidor an III), division du parti de la Montagne, et proscription d'un parti par l'autre'. >

1 Nous ne comprenons pas cette date du 25 juin 1795 (10 thermidor an III) et cette appréciation qui peut s'appliquer également au jour de la chute de Robespierre, jour où « une partie de la Montagne proscrivit l'autre, » ou à un autre fait ou groupe de faits que nous n'entrevoyons pas, s'il ne s'agit pas du 9 thermidor.

Roederer aurait donc négligé cette journée, comme n'étant pas de celles signalées par quelque violence contre le pouvoir? Il y a toujours du sphinx dans tous ces généralisateurs à la Sieyes.

Nous ne savons pour quel motif philosophique, politique ou bien moindre, quoique l'oubli par distraction, en pareil cas, soit peu probable et que l'auteur de l'Esprit de la révolution fût loin d'être un étourdi, M. Roederer passe brusquement de thermidor à vendémiaire, en admettant même qu'il n'omette pas thermidor, du moins le thermidor de la chute de Robespierre qu'il daterait en ce cas « 25 juin 1795 », fantaisie encore énigmatique pour nous, puisque c'est le 27 juillet 1794 que tomba le triumvirat Robespierre, Couthon, Saint-Just.

Nous rétablissons ces jalons supprimés sans motifs appréciable par l'auteur de l'Esprit de la révolution, et nous numérotons:

12o Le 9 thermidor (27 juillet 1794), réaction de la pitié, de la peur, et chute du triumvirat Robespierre, Couthon, Saint-Just.

13° « La journée du 12 germinal an III (1er avril 1795), seconde et infructueuse tentative, après celle du 1er germinal-20 mars 1795) pour « demander du pain, la constitution de 1793 et la liberté des patriotes détenus ».

Ces patriotes détenus étaient Billaud-Varennes, Collotd'Herbois, Barrère et Vadier décrétés d'arrestation le 12 ventôse, peu de temps après la rentrée des derniers Girondins, et dont le procès devant l'Assemblée devait commencer le 3 germinal.

Le résultat de la journée du 12 fut de faire condamner les protégés des faubourgs à la déportation et de faire ajouter à la liste de proscription dix-sept députés montagnards favorables aux insurgés et considérés comme leurs complices.

14° La journée du 1er prairial an III (20 mai 1795)

fut signalée par le triomphe précaire, puis la défaite irrévocable de l'influence des faubourgs, de l'intervention de la populace armée, par l'assassinat du député Féraud, l'héroïque sang-froid du président Boissy-d'Anglas, la condamnation par une commission militaire et la fin tragique des députés Romme, Duquesnoy, Soubrany, Duroy, Goujon, Bourbotte. « Ce fut, dit Roederer, le 10 août de l'anarchie. »

Nous reprenons maintenant l'énumération de Roederer. 15° « Le 6 octobre suivant (13 vendémiaire an III), attaque des sections de Paris contre la majorité de la Convention, d'accord avec la minorité.

16° « Le 4 septembre 1797 (18 fructidor an v), arrestation de la minorité de la Chambre des représentants par le Directoire, d'accord avec la majorité.

17° « Le 9 novembre 1799 (18 brumaire an VIII), translation de la majorité à Saint-Cloud; le général Bonaparte se joint à elle; il est nommé consul'.

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Cette nomenclature achevée, nous passons à l'examen des dépositions et de leurs auteurs.

III.

Tout d'abord, parmi les journées révolutionnaires nous éliminons le 14 juillet, les 5 et 6 octobre 1789, les 2, 3 et 4 septembre 1792.

Le 14 juillet, les 5 et 6 octobre sont trop connus pour donner matière à quelque révélation utile, ou à quelque jugement nécessaire.

1 1 L'Esprit de la révolution (Œuvres du comte Roederer, t. III, p. 27).

Ces journées n'ont que l'importance relative du commencement de la lutte, du premier coup frappé. Dans cette collection, que nous continuons, mais ne recommençons pas, la Bastille et la prise de la Bastille ont déjà fait l'objet des observations de notre regrettable devancier, M. François Barrière, et sont représentées par plusieurs documents, par exemple le récit de Dussaulx.

Les massacres de septembre ont de même fourni la matière d'un volume spécial, des plus complets et des plus émouvants.

Nous retrouverons d'ailleurs ces événements générateurs aux premières pages de la plupart des Mémoires que nous publierons.

Nous ouvrirons donc notre Recueil au 20 juin 1792 et au 10 août.

C'est surtout à Roederer', témoin oculaire, acteur important, écrivain éminent, honnête homme incontestable, que nous demanderons la relation de ces deux journées funestes et décisives.

Nous ne pourrions rechercher dans Peltier ou Matton la Varenne que des points de comparaison et de contrôle. Ils n'ont pas tout vu directement et personnellement. La fumée du combat et de l'incendie, le cri du sang versé offusquent leurs yeux, troublent leurs oreilles. Ils ont dû le succès de ces pages violentes où ils accusent plus qu'ils ne prouvent, à la colère plus qu'à la vérité. Ce sont des

Pierre-Louis Roederer, né à Metz le 15 février 1754, conseiller au Parlement de cette ville, député à l'Assemblée constituante, procureurgénéral syndic du Directoire du département de la Seine en 1792, puis conseiller d'État, sénateur, pair de France, mort le 18 décembre 1835.

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