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« Nous n'avons rien à ajouter à ce que je viens de dire, « sinon que notre force étant paralysée et n'existant plus, << nous ne pouvons avoir que celle qu'il plaira à l'assemblée « nationale de nous communiquer. Nous sommes prêts à « mourir pour l'exécution des ordres qu'elle voudra bien « nous donner; nous demandons, en les attendant, à rester « à portée d'elle, étant inutiles partout ailleurs. » L'assemblée applaudit, sans contradiction de la part des tribunes.

M. le président a répondu : « L'assemblée nationale a en<< tendu avec le plus grand intérêt le récit qui lui a été fait; << elle va prendre en considération la pétition que vous ve« nez de lui présenter, et vous invite à assister à sa séance. »>

Nous traversâmes la salle, mes collègues et moi. Parvenu aux bancs où nous devions nous asseoir, je supposai que j'y serais vu de mauvais œil par les députés qui avaient voulu me mettre en accusation, et je me dirigeai vers la sortie. Les voix de la Montagne me rappelèrent et insistèrent pour que je restasse à la séance. Je montai dans les bancs et y pris place.

En ce moment un officier municipal et un adjudant de la garde nationale entrent à la barre. Ils annoncent que le rassemblement du Carrousel, entré dans la cour, braque ses canons contre le château, et qu'on paraît disposé à le forcer. L'assemblée envoie aussitôt vingt commissaires pour haranguer le peuple, employer tous les moyens de persuapropres à ramener le calme, recommander la sûreté des personnes et des propriétés. Elle envoie en même temps douze autres commissaires à la commune pour y conférer sur les moyens de faire régner l'ordre.

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Jusque-là tout annonçait dans l'assemblée des dispositions très-constitutionnelles, et certainement elles eussent continué, sans les événements qui survinrent subitement.

Le canon se fait entendre. Les vingt députés rentrent, et déclarent que le peuple les a empêchés d'aller au château, ne voulant pas, disait-il, qu'ils s'exposassent aux coups assassins qui en venaient. Les coups de canon redoublent; des cris effroyables remplissent le jardin des Tuileries. Un offi

cier de la garde nationale accourt en disant : « Nous sommes forcés. » Les tribunes, qui voyaient par les fenêtres dans le jardin, s'écrient : « Voilà les Suisses. » On entend une fusil lade près de la terrasse des Feuillants. Des pétitionnaires af fluent à la barre; ils assurent que les Suisses ont attaqué les citoyens, après les avoir attirés à eux. On demande la dé chéance, on demande le jugement du roi, on demande sa mort. La fureur était au comble. « Nous demandons la dé «< chéance, dirent les pétitionnaires (c'est-à-dire nous nous << bornons à demander la déchéance); mais osez jurer que « vous sauverez l'empire. » — « Nous le jurons! s'écria l'as semblée. De ce moment elle n'était plus libre ni maîtresse du sort du roi.

Ici finissent les cinquante journées dont j'ai entrepris la chronique.

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MÉMOIRES DE FIÉVÉE.

MÉMOIRES DE FIÉVÉE.

Nous vivons dans un temps où quiconque n'a pu rester neutre parmi les nombreux changements politiques qui se sont succédé en France doit nécessairement laisser des Mémoires; bien modeste s'il ne va pas jusqu'à publier ses Confessions. Cette disposition générale ne doit pas être entièrement attribuée à l'amour-propre. On attendait autrefois qu'un homme qui avait attiré plus ou moins longtemps l'attention publique fût mort pour faire sa biographie; maintenant on imprime la biographie des hommes vivants; et, pour qu'ils n'aient point à se plaindre, les entrepreneurs de ce genre de littérature s'adressent assez volontiers à ceux dont ils prétendent écrire la vie et juger le mérite, en les priant de faire eux-mêmes l'article qui doit leur être consacré. Je me suis toujours refusé à répondre à ce genre de complaisance; j'ai fait plus, je n'ai jamais lu les articles biographiques qui me concernent. Il me paraît trop bizarre de devenir pour soi-même partie de la postérité. Aussi, toutes les fois que je me trouve cité dans des livres, des journaux, ce qui m'est arrivé trop souvent et m'arrive encore quelquefois, en bien ou en mal, à tort ou à raison, j'éprouve une certaine répugnance. Et cependant je vais parler de moi, peut-être un peu longuement; mais il n'y avait pas moyen de l'éviter, dès que je me décidais à faire imprimer une Correspondance et quelques détails sur les relations personnelles qui ont eu lieu, pendant onze années, entre Bonaparte premier consul, empereur, et moi.

Dans cet intervalle de temps, il est peu de question politiques, administratives, peu de variations dans la situation du

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