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ajoutaient à ces appréhensions, celle de voir la majorité de l'assemblée poursuivre une vengeance trop légitime : une grande révolte était devenue plus nécessaire au parti, et un intérêt capital se joignait pour l'opérer, à la haine contre le roi et à l'habitude de vouloir sa déchéance.

Le 9 août, à l'ouverture de la séance, Lamarque exprima le sentiment que je viens d'indiquer. « Le pouvoir exécutif, << dit-il, jettera dans la foule quelques-uns de ces hommes « qui sont toujours à ses ordres pour agiter le peuple. « Quand le trouble sera bien excité, ce même pouvoir « exécutif, au lieu de faire marcher la vraie garde nationale, << rassemblera autour de lui les chevaliers du poignard, les << correspondants de Coblentz; on corrompra l'armée, on «<fera agir simultanément les ennemis étrangers. C'est à << vous de prévenir ou d'arrêter ces désordres. » Ces prédictions amenèrent la proposition de déclarer les séances de l'assemblée permanentes; et l'assemblée se déclara en per

manence.

La municipalité, depuis la pétition de la commune, ne prenait plus la peine de déguiser la protection qu'elle donnait aux attroupements.

Dès le 4 août, lorsque l'assemblée, sur la proposition de Vergniaud, avait cassé l'arrêté de la section de Mauconseil, le conseil du département avait ordonné que la municipalité en ferait le lendemain une publication solennelle et à son de trompe dans Paris; la commune, comme s'il lui eût été permis d'en délibérer, avait passé à l'ordre du jour sur cette disposition de l'arrêté, « de peur, dit-clle, que <«< cette formalité ne donnât lieu à quelques rassemble

<<< ments. >>

La réponse du maire à ma lettre du 8, où je lui recom

* Si M. de La Fayette avait eu le pouvoir et la volonté d'accomplir une grande témérité, celle de prendre la dictature, sauf à rendre le pouvoir après le rétablissement de l'ordre, on comprendrait qu'il fût venu à l'assemblée l'épée de dictateur à son côté; mais la faire voir sans être résolu de la tirer du fourreau, était une imprudence funeste. Dans les troubles civils, il ne faut pas être téméraire à demi.

mandais les mesures à prendre pour prévenir de nouveaux désordres semblables à ceux de cette même journée, cette réponse non-seulement était d'un sang-froid presque moqueur, mais de plus elle contenait une assurance fausse; il disait avoir autorisé le commandant à faire battre des rappels. Cela n'était pas vrai; le commandant venait d'entrer dans la salle des séances du département quand je lisais la lettre de Péthion; il fut fort surpris d'entendre que le maire dit qu'il avait. autorisé le commandant-général à faire battre des rappels. « Je n'ai point reçu, dit-il, d'au«torisation semblable. » Sur cette observation je fis arrèter par le conseil que copie certifiée de la lettre de M. le maire serait remise au commandant-général pour lui servir d'autorisation, et nous lui ordonnâmes d'ailleurs en notre nom de faire battre des rappels.

Le même jour, 8, le commandant-général avait déclaré au département que M. le maire et son conseil municipal, de leur seule autorité, avaient fait transférer, la nuit, sans le prévenir, les Marseillais de leur caserne de la rue Blanche, aux Cordeliers, où ils étaient sous la main du club. de ce nom, avec leurs armes, leurs canons et leur drapeau.

Enfin, le samedi 9 août, un membre du conseil-général nous apprend en séance que les administrateurs de police ont fait distribuer aux Marseillais, par un ordre daté du 4 août, cinq mille cartouches à balle, nonobstant un arrêté du directoire qui avait défendu toute délivrance de poudre sans sa participation. Cette circonstance ne laissait plus de doute sur le complot qui allait éclater.

Le mouvement des sections, les délibérations du club des jacobins et de celui des cordeliers, la multitude des groupes répandus dans les carrefours et dans les lieux publics, les clameurs des rues, les gazettes, les affiches, une suite non interrompue de récits qui arrivaient à chaque instant des faubourgs principalement, tout confirmait ce que j'avais rapporté à l'assemblée (dont une partie était beaucoup mieux instruite que moi) du projet formé de

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sonner le tocsin vers onze heures du soir, pour rassembler tout ce qui aurait l'intention de se porter sur le château, où sans doute on se promettait d'ètre mieux avisé que le 20 juin.

Vers onze heures commencent les événements compris dans la terrible journée du 10 août. Je vais transcrire ce que j'en ai écrit le lendemain dans la journée, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher, sans affaiblir, sans fortifier l'expression.

CHAPITRE II.

Journée du 10 août.

Le 9, à dix heures et un quart du soir, le ministre de la justice vient au département, me prévient que le roi me fera appeler s'il est nécessaire.

A dix heures trois quarts, lettre du ministre de la part du roi; il en est fait registre au conseil du département. Elle m'ordonne d'aller au château. J'y vais. J'arrive à onze heures. Les rappels battaient dans tous les quartiers adjacents. Je traverse les salles; il y avait du monde, mais pas extraordinairement. Je vais à la salle du conseil, ou cabinet du roi. Il y était, ainsi que la reine, madame Élisabeth et les ministres. Je rends compte au roi des derniers avis arrivés au département. Rien de remarquable alors, que l'extrême agitation. Je demande à un ministre si M. le maire est venu. « Non. » Je prends, sur le bureau du conseil, du papier, et j'écris au maire de venir.

Comme je cachetais ma lettre, le maire entre. Il rend compte au roi de l'état de Paris; il vient ensuite près de moi. Nous nous entretenions ensemble de chose indifférente, lorsqu'arrivent Mandat, commandant général, et Boubé, secrétaire-général de l'état-major, qui se groupent avec nous. Le commandant-général se plaint à M. le maire

de ce que les administrateurs de police de la municipalité lui ont refusé de la poudre. Le maire répond: « Vous n'étiez << pas en règle pour en avoir. » Débat à ce sujet. Le maire demande à Mandat s'il n'était pas pourvu de la poudre réservée des précédentes fournitures. M. Mandat répond : « Je n'ai que trois coups à tirer, et encore un grand nombre << de mes hommes n'en ont pas un seul, et ils murmu« rent. » Ce colloque finit là. M. le maire me dit : « Il fait « étouffant ici, je vais descendre pour prendre l'air. » Moi, j'attendais des nouvelles du département, qui m'avait promis de me faire passer d'heure en heure les notions qui lui parviendraient; je restai et m'assis dans un coin.

Arriva une lettre du département vers onze heures et demie; elle ne disait rien de positif : l'heure du tocsin n'était pas encore venue. Alors je descendis seul pour prendre l'air aussi. J'allai dans la cour; j'y fus arrêté par quelques grenadiers de la garde nationale, qui, à mon collier tricolore, me prirent pour un député, et me parlèrent de différents décrets rendus ou à rendre. Un autre parla des Marseillais, et me dit qu'ils l'avaient terrassé sur la place Louis XV quelques jours auparavant, et qu'il avait dû la vie à M. Santerre. Je n'ai rien répondu, sinon que je n'étais pas député, et quelques paroles de paix; je m'écartai des gardes pour me promener seul; mais étant arrêté à chaque pas par d'autres qui survenaient, je pris le parti d'aller au jardin. Je parcourus d'abord la terrasse, le long du chàteau; je ne voulais pas m'éloigner. J'avançai jusque vers la porte qui donne sur le Pont-Royal. Là des sentinelles m'empêchèrent d'aller plus loin, et me dirent qu'il était défendu de se promener de ce côté, je retournai aussitôt.

Revenu au milieu de la terrasse, je me dirigeai vers la grande allée, dans l'intention d'aller jusqu'au Pont-Tournant. Alors un groupe venait du côté de l'assemblée nationale. Je m'arrêtai. C'était Péthion avec des officiers municipaux et des membres de la commune, accompagnés de jeunes gardes nationaux, sans armes, qui chantaient et folâtraient autour des magistrats et du maire. Ils s'arrêtent

devant moi. Péthion me propose de faire un tour ensemble. Volontiers.

Nous prenons la terrasse le long du quai, toujours suivis des quinze ou vingt jeunes gens de la garde nationale qui se tenaient par les bras et causaient gaiement entre eux. M. Viguier, administrateur de la police, était avec M. le maire; M. Brulé et M. Dufourni, membres de la commune, aussi. Je ne sais s'il y avait d'autres magistrats; du moins je ne les ai pas reconnus. Nous allâmes jusqu'à l'extrémité de la terrasse. Là, nous entendîmes un bruit de rappel du côté du château; cela nous y fit retourner.

Durant notre promenade, tant en allant qu'en revenant, je m'affligeais, avec M. le maire, de l'agitation générale et des suites que j'en appréhendais.

M. le maire me parut plus tranquille. Il me dit : « J'es«père qu'il n'y aura rien. Des commissaires sont allés au « lieu des rassemblements. Thomas m'a dit qu'il n'y aurait « rien. Thomas doit savoir l'état des choses. » J'ignore qui est Thomas.

Je causai aussi avec M. Viguier de choses indifférentes, je ne connaissais ces messieurs que de vue. Je parlai un moment à M. Brulé, qui m'apprit qu'il n'était pas officier municipal, mais seulement membre de la commune; enf M. Dufourni, qui, à son tour, m'entretint du club des électeurs, et me demanda quand je leur rendrais la salle électorale. Je lui dis qu'il ne m'appartenait pas d'en disposer; que j'avais été dénoncé au département pour l'avoir, non pas donnée, mais laissé prendre; qu'au reste, il n'y avait qu'à présenter une pétition au département pour obtenir cette salle provisoirement et jusqu'à ce que la société eût pu se pourvoir d'une autre, et que je l'appuierais. M. Dufourni me remercia et me dit qu'il était bien aise d'apprendre de moi-même que j'étais en de bonnes dispositions, et qu'il lui avait été pénible de les ignorer.

Nous remontions au château, nous étions au bas du grand escalier, lorsqu'on vint dire à Péthion que l'assemblée le mandait. Il y alla. Moi, je remontai dans les appartements.

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