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quand cet attentat se commettait, et c'est de là qu'elle avait passé dans la chambre du conseil où le peuple la vit quand il traversa les grands appartements pour sortir du château.

Lorsqu'on en ouvrit les portes pour l'évacuation, Santerre entra des premiers dans la chambre du conseil. Plusieurs députés s'y rendirent aussi. Ils se placèrent près de la reine dans le cercle des gardes nationaux qui l'entouraient. Ce cercle rétrécissait le passage. Santerre ordonna à la garde de s'écarter. « Faites place, leur cria-t-il, pour que le peuple << entre et voie la reine; » il se tint à sa droite. Un homme du rassemblement donna à la reine un bonnet rouge pour en coiffer le prince royal. La reine lui mit ce bonnet sur la tête. La file s'arrêta un moment; on ne savait pourquoi : « C'est M. Péthion qui pérore, dit Santerre, et qui fait un <«<< engorgement. » Après un quart d'heure, Santerre ayant pitié de l'enfant que la chaleur étouffait, dit à la reine : <<<< Otez le bonnet à cet enfant, il a trop chaud. » La reine l'ôta. Santerre disait au peuple : « Regardez la reine et le <<< prince royal. » Une femme, en passant, s'arrête devant la reine, se met à pleurer et à sangloter. « Qu'a-t-elle donc? << dit Santerre, pourquoi pleure-t-elle ?» Il la pousse par le bras en disant : « Faites la passer. Elle est soûle, » dit-il en se retournant.

Lorsque le roi fut rentré dans son intérieur, on ferma la porte de la chambre du lit qui conduisait au cabinet du roi. Nouvelles clameurs à cette porte où le peuple s'amassait. On en fit rouvrir un battant, et le défilement continua paisiblement et sans désordre; alors quelques factionnaires faisaient défiler sans éprouver de résistance.

La reine et la famille royale sont restées jusque vers huit heures et demie dans la chambre du conseil. M. Champion ayant fait prévenir la reine que le roi était retiré, elle passa aussi dans la chambre du roi.

Peu après survint une seconde députation de l'assemblée. Elle fut introduite dans la chambre du roi. M. Sergent rapporte avec détail les sages précautions qu'il prit avant de laisser introduire cette députation dans la chambre du roi.

Il exigea que chacun lui montrât sa carte de député, tant M. Sergent avait à cœur, en ce moment, la sûreté du roi.

Il ne s'agissait plus que d'évacuer tout à fait les appartements du roi, l'appartement de la reine, ensuite les cours et le jardin. Le chef de légion Lachesnaye se rend au poste de l'appartement de la reine. Quelques gardes nationaux y étaient revenus. Il y avait encore quelques gens du rassemblement qui firent peu de difficultés pour sortir, mais qui se plaignaient violemment du résultat de la journée. « On nous a « amenés, disaient-ils, pour rien; mais nous reviendrons et << nous aurons ce que nous voulons. >>

D'un autre côté, M. le maire qui avait quitté l'appartement du roi à l'arrivée de la grande députation de l'assemblée, et d'autres officiers municipaux qui avaient suivi M. le maire, péroraient sur le grand escalier, dans le vestibule, dans les cours, pour faire retirer le peuple qui demandait pourquoi il était venu. L'approche de la nuit, la retraite des chefs et des initiés, les aidèrent puissamment à persuader la retraite. Saint-Prix était parvenu à faire ramener dans la cour la pièce de canon placée au pied de l'escalier, et on lui avait obéi malgré la défense écrite du municipal J.-J. Le Roux.

A dix heures, le château, les cours, le jardin étant évacués, M. Péthion vint rendre compte à l'assemblée de ce qui s'était passé dans la journée. Elle avait déjà entendu trois rapports qui lui avaient été faits par les trois députations qu'elle avait successivement envoyées au château. Dans aucun de ces rapports elle n'a voulu souffrir que les orateurs disent ou supposassent que le roi avait été un moment en péril ; et l'on ne voulait pas qu'il eût dit qu'il était tranquille au milieu de son peuple. Il fallut dire qu'il avait dit au milieu des Français.

CHAPITRE X.

Remarques sur la journée du 20 juin.

Encore que la journée du 20 juin ne finît rien dans les affaires publiques, elle fut néanmoins une époque dans leur situation. Elle fit évanouir le prestige de l'inviolabilité du palais, et de la personne du roi, et de la majesté royale. Le trône était encore debout, mais le peuple s'y était assis, en avait pris la mesure; et ses marches semblaient s'être abaissées à fleur du pavé de Paris.

Toutefois ce n'était pas pour cette dégradation morale que vingt mille hommes s'étaient armés. Ils voulaient générale ment le rappel des ministres, la sanction du décret qui déportait les prêtres insermentés, et de celui qui ordonnait l'établissement d'un camp à Soissons. Et parmi les pétitionnaires et les meneurs il s'en trouvait qui ne tenaient pas le roi quitte à si bon marché. Quelques-uns voulaient la république, quelques autres le duc d'Orléans pour roi; d'autres se contentaient de la régence avec la tutèle du prince royal. Les premiers auraient voulu la mort du roi, et l'espéraient le 20 juin; d'autres désiraient seulement son abdication volontaire ou sa déchéance; mais ces trois opinions étaient des exceptions. Ce qu'on espérait le plus généralement, c'était le rappel des ministres, le camp de Soissons et le baunissement des prêtres; ceux même qui désiraient la mort du roi paraissaient n'avoir pourtant pas conspiré pour le faire assassiner. On peut croire, comme je l'ai déjà dit, qu'ils se reposaient du soin de frapper la victime sur l'émulation de quelques têtes ardentes, peut-être sur quelques bras exercés au crime. Cependant je dois dire que, pendant la Convention, le boucher Legendre déclara à Boissy-d'Anglas, de qui je le tiens, que le projet avait été de tuer le roi. Mais qu'estce qu'un projet vague qui n'était assuré par aucun complot?

Je remarque dans une lettre qui fut lue à l'assemblée, à la séance du 25 juin, des paroles qui me font croire qu'aucun complot n'a été formé. Cette lettre est de trois notables du faubourg Saint-Antoine. Ils écrivent : « Nous dénonçons à «<l'assemblée nationale M. Chabot, comme ayant, dans la << nuit du 19 au 20 de ce mois, assemblé le peuple dans une « des églises du faubourg Saint-Antoine, et l'ayant provo« qué au rassemblement armé et à l'assassinat du roi. Nous « vous prions de lire notre lettre à l'assemblée nationale. » Cette provocation de Chabot à une multitude assemblée prouve qu'il n'y avait pas d'assassin désigné ni de plan con

venu.

La conduite des officiers municipaux qui ont paru dans les troubles fut généralement modératrice, et ne pouvait être réprimante. Il ne faut pas oublier que les rassemblements étaient autorisés par les actes de l'assemblée; et c'était ce qui rendait toute répression impossible, eût-on mème été assuré de renouveler avec succès le déploiement du drapeau rouge et la canonnade du Champ-de-Mars.

Péthion n'entra dans le cabinet du roi qu'une heure après la foule. Il y a un long trajet du château à l'Hôtel-de-Ville; sa voiture fut longtemps à percer la foule en approchant du château, et ensuite retenue dans la cour. Il est difficile de lui faire un crime de son retard.

Parvenu dans les appartements, il fit de bonne foi, mais à sa manière, son office de maire. Il requit le peuple, et lui ordonna tout doucement, mais avec insistance, de respecter le représentant héréditaire de la nation; d'obéir à la loi, sur tout de se respecter lui-même, de conserver sa dignité (I' n'avait pas été le témoin des indignités qui s'étaient commises une heure avant son arrivée.) Péthion se croyait quitte envers les devoirs de sa place en faisant finir sans malencontre l'avanie qu'il n'avait pu empêcher. Il est très-croyable qu'il s'était vu sans déplaisir dans l'impossibilité d'empêcher un attroupement que l'assemblée nationale avait autorisé ; mais il n'était pas dans son caractère de vouloir des excès. Il trouvait fort bon sans doute qu'on fit une forte pé

tition, il en provoquait même de semblables à celle de Paris de la part des quatre-vingt-trois départements; mais s'il avait réglé à sa volonté la forme de la présentation, elle n'aurait rien eu d'outrageant pour le roi. Péthion était connu par son parti pour un très-bon homme. Aussi vit-on Santerre ployer ses voiles, changer de ton et s'éloigner dès qu'on eut annoncé l'arrivée de M. le maire dans l'appartement du roi. Il se rangea alors du côté des défenseurs de Louis XVI; il prit la reine et le prince royal sous sa protection. Il est clair qu'il regarda la journée comme finie et comme perdue du moment que le maire se mettait à pérorer; et on aura sans doute remarqué que, quand le mouvement de sortie s'arrêta un moment pendant qu'il était près de la reine et du prince royal pour bien mériter de la cour, il dit avec humeur : « C'est M. le maire qui pérore. »

Que dire de la garde nationale qui le 20 juin était de service au château? Elle ne se trouva nulle part à son poste : ni à l'entrée de l'appartement de la reine et du prince royal, ni à celle des grands appartements du roi; et pourtant la garde du château était habituellement confiée aux bataillons les mieux disposés en faveur du roi constitutionnel.

En vain la pétition des vingt mille a-t-elle accusé le commandant du château d'avoir laissé ces troupes sans ordre: il ne fallait pas d'ordre pour garder son poste; et le défaut d'ordre, à tel moment, pour tel cas particulier, n'autorise pas la désertion d'un poste.

Ce qu'il y a de plus vrai et de plus juste à dire, pour l'excuse de la garde, c'est qu'elle n'était pas bien sûre de garder un roi constitutionnel.

La vérité est qu'aucun honnête homme de la garde n'aurait voulu que l'abandon du roi dans la journée du 20 juin fût absolu, et que pourtant l'abandon du roi fut général.

Entre les autorités, le directoire du département, pleinement d'accord avec M. de La Fayette, composé en grande partie de ses amis particuliers, montra seul de la fermeté constitutionnelle. C'étaient :

MM. le duc de la Rochefoucauld, président; Germ in Car

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