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CHRONIQUE

DE

CINQUANTE JOURS,

DU 20 JUIN AU 10 AOUT 1792,

RÉDIGÉE SUR PIÈCES AUTHENTIQUES.

INTRODUCTION

Le renversement du trône au 10 août 1792 n'a

pas

¿té une

conséquence inévitable de la révolution de 1789. Cet événement n'était ni dans son intérêt ni dans son esprit; il fut déterminé par les intérêts particuliers d'une faction de révolutionnaires, qui se heurtèrent avec les intérêts particuliers d'une faction royaliste, laquelle voulait la réintégration des priviléges. La déchéance et la mort de Louis XVI, l'établissement de la république, sont des écarts, et non des progrès, de la révolution de 1789; ils ont non-seulement franchi ses limites, mais ils ont jeté la France hors de l'état social, et l'ont forcée, pour y rentrer, de stationner quinze années sous un pouvoir à peu près absolu, et de se soumettre quinze autres années à un régime peu différent de l'ancien.

Sans doute, le mouvement de la révolution avait laissé dans l'État un principe d'anarchie; et l'affaiblissement du pouvoir royal avait fait perdre au roi les moyens d'empêcher le développement de ce principe. Mais si les moyens de force étaient diminués pour lui, les moyens de confiance pouvaient y suppléer; si le roi n'avait plus à sa disposition

la force d'une armée, il pouvait mieux user de la force de la garde nationale, et l'exemple de la garde nationale lui eût rendu la force de la troupe de ligne. Un franc et loyal acquiescement aux principes de la révolution, ou assez d'art pour faire croire à cet acquiescement, et surtout des liaisons et des actions au-dessus de toute suspicion, lui auraient con-cilié le tiers-état et la garde nationale; et alors les factieux et les prolétaires auraient vainement tenté de le dépouiller de sa couronne. Mais Louis XVI, et les prêtres qui le conseillaient, ne voulaient pas d'un pouvoir qu'il fallait mériter, et Louis refusait des services dont il ne voulait pas reconnaître le libre hommage.

Cela était, dira-t-on, dans les conséquences de la révolution: comment le roi et les prêtres pouvaient-ils n'être pas contraires à ce qui les faisait déchoir de leur grandeur?

Je n'ai rien à répondre pour les prètres, sinon que leur grandeur était une calamité pire que celle des révolutions. A l'égard du roi, il ne lui fallait qu'un peu plus d'esprit; si Louis XVIII, son frère puîné, eût été à sa place, la révolution n'aurait pas extravagué comme elle a fait.

Mais qu'est-ce qui obligeait Louis XVI à se livrer aux prêtres, à se dispenser de réfléchir à ses intérêts et à ses devoirs personnels? Qu'est-ce qui l'obligeait à accroître la pesanteur naturelle de ses organes par l'exercice immodéré de la chasse, et, par cet excès, à se placer, sous le rapport des facultés intellectuelles, au-dessous des autres rois de l'Europe, qui pourtant n'étaient pas de merveilleux génies?

La faction et le monarque en vinrent aux prises. L'aversion du roi pour la révolution tout entière s'accrut; et son animadversion non-seulement accrut celle des factieux, mais encore autorisa les défiances du corps des citoyens, et inspira des craintes de vengeance à tous ceux qui avaient adopté la constitution et ses principes. Le roi fut attaqué par les premiers avec d'autant plus de violence, qu'ils le voyaient faiblement défendu par les autres. Les anarchistes acquirent facilement l'avantage sur des constitutionnels que le roi n'aimait point, qu'il n'aidait d'aucun de ses moyens,

qu'il n'encourageait par aucune marque de confiance; sur des constitutionnels qui n'osaient garantir à personne les intentions du monarque, ni s'en répondre à eux-mêmes, et qui, au contraire, se croyaient obligés à témoigner hautement, et au roi lui-même, leurs inquiétudes patriotiques. On peut même remarquer que dans la longue liste des ministres qui se sont succédé en 1792, il ne s'en est pas trouvé un seul qui osât répondre d'autre chose que de son propre fait et de son patriotisme personnel dans les fonctions de son ministère.

La chronique qui suit rendra, je crois, très-sensible la proposition que j'ai avancée en commençant.

Au mois de juin 1792, trois fléaux affligeaient la France : La guerre avec l'étranger;

La guerre intestine;

La cherté des subsistances.

Ces trois calamités, la dernière surtout, causaient un insupportable malaise dans les dernières classes de la société, et du mécontentement dans toutes; la cherté des subsistances mettait les prolétaires à la disposition des factieux. La guerre intérieure et extérieure, ainsi que la disette, étaient imputées par le peuple à la malveillance du roi. La multitude se fondait pour l'accuser de la guerre étrangère :

1o Sur son départ furtif pour Varennes le 21 juin 1791, avec son frère, Monsieur, qui alla notoirement se joindre aux émigrés et provoquer le secours des armes étrangères;

2o Sur le traité de Pilnitz du 27 août 1791, traité dans lequel l'Autriche se déclare contre la révolution française, par les mêmes considérations que le roi avait exposées dans la déclaration publiée à son départ pour Varennes.

Cette évasion du roi avait excité la haine publique : les circonstances de son retour le firent tomber dans une sorte de mépris.

Les accusations de guerre civile se fondaient sur l'existence du camp de Jalès, dans le Midi, et sur les attroupements de la Vendée.

Les accusations de guerre religieuse se fondaient

1° Sur les manœuvres des prêtres qui avaient refusé le serment à la constitution civile du clergé, décrétée par l'assemblée constituante;

2o Sur l'exclusion des prêtres assermentés pour le service de la maison du roi et pour la direction de sa conscience, et sur son entourage de prêtres insermentés.

La cherté des subsistances et autres denrées n'était pas l'effet de leur rareté; elle résultait de la dépréciation des assignats, devenus la monnaie de l'État. Mais cette dépréciation était une conséquence de la guerre suscitée par les princes et de la révolte des prêtres, circonstances qui mettaient en question la propriété de l'État sur les biens que le gouvernement présentait comme gages des assignats. Le peuple ignorait le mécanisme qui, faisant baisser la valeur du signe, semblait faire hausser celle de la marchandise, et il accusait la cour et tous ses adhérents, d'accaparement concerté pour faire souffrir les patriotes.

A ces causes d'irritation se joignirent de graves incidents. Le 27 juillet 1791, un grand nombre de personnes s'étant réunies au Champ de Mars pour signer une pétition tendante à demander à l'assemblée la déchéance de Louis XVI, le drapeau rouge fut déployé, la loi martiale proclamée; et, après une décharge à poudre pour avertissement, la mitraille étendit sur la place un trop grand nombre de pétitionnaires. Cette expédition fut imputée au conseil des Tuileries, parce qu'elle était dans son intérêt. Le ressentiment qu'elle causa se joignit aux motifs de haine dont on était déjà pénétré.

Le 7 février 1792, l'Autriche s'unit à la Prusse, négocia avec la Russie, avec le Danemark, avec toute la Confédération germanique. Le 7 mars, le duc de Brunswick fut chargé du commandement général des forces autrichiennes. Il signala sa nomination par une proclamation injurieuse pour le parti populaire de la France. Nouveau grief contre le roi.

Des revers militaires survinrent et excitèrent dans les esprits mal disposés la défiance la plus implacable contre les

chefs de l'armée. On les regarda comme choisis exprès pour ménager des défaites.

L'assemblée fit un décret contre les prêtres perturbateurs : le roi lui refusa sa sanction.

Elle fit un autre décret pour ordonner la formation d'un camp de vingt mille hommes sous Soissons, et les appela à ⚫une fédération pour le 14 juillet. Le roi refusa aussi sa sanction à ce décret.

Des ministres populaires avaient été appelés pour apaiser les défiances générales, et ils avaient ét presque aussitôt renvoyés.

Le 16 juin, une lettre de M. de La Fayette contre les sociétés populaires, datée du camp qu'il commandait, excita l'irritation jusqu'à la fureur. Cette lettre fut un grand événement, comme nous le verrons.

Enfin, le parti populaire, encouragé par la partie de l'assemblée et de la municipalité qui était en correspondance secrète avec lui, s'emporta, le 20 juin, aux violences les plus caractérisées contre le château: ces offenses ne firent pas couler de sang, mais elles étaient de celles que les instigateurs ne peuvent jamais se croire pardonnées.

Alors le sentiment d'un danger nouveau, d'un danger personnel et urgent, se joignit, dans les chefs de faction, à toutes les autres appréhensions et à toutes les autres passions de la multitude.

Pour terminer la question, il fallut choisir entre les Tuileries et la place de Grève, renverser le trône ou périr sur l'échafaud, vaincre ou mourir.

C'est ainsi que le massacre de la Saint-Barthélemy était devenu nécessaire à ceux qui, voulant assassiner l'amiral de Coligni, n'avaient réussi qu'à le blesser c'est ainsi qu'un grand crime conduit à un plus grand.

Après le 20 juin, M. de La Fayette arriva à Paris, demandant vengeance au nom de son armée contre les instigateurs des attentats de cette journée. D'un côté, ses menaces, les incitations de l'état-major de la garde nationale contre les factieux, la sévérité des arrêtés et proclamations du di

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