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tionale! Le commandant de la sixième légion, M. de la Chesnaye, arriva aussitôt du même côté. Le roi l'appela par son nom. Il accourut. Au même instant, dit M. de la Chesnaye, un des grenadiers qui entouraient le roi, le chapeau sur la tête et son fusil à la main, lui dit : Sire, n'ayez pas peur. Le roi répondit: Je n'ai pas peur; mettez la main sur mon cœur, il est pur et tranquille. Et prenant la main du grenadier, il l'appuya avec force sur sa poitrine. Les personnes qui s'étaient réunies autour de Louis XVI avaient tiré leurs sabres dans l'intention de le défendre. M. Acloque leur représente que leur zèle exposerait la vie du roi ; ils remettent à l'instant leur arme dans le fourreau. Les grenadiers, placés immédiatement à côté du roi, quittèrent aussi leurs fusils. Quand les grenadiers étaient entrés dans l'appartement, madame Élisabeth était allée au-devant d'eux, et leur avait dit, les larmes aux yeux : Messieurs, sauvez le roi!

Cependant l'attroupement enfonçait la porte de la salle; les panneaux d'en bas étaient déjà brisés. M. Acloque invite le roi à permettre l'ouverture. Le rôi répond : « Je le veux « bien; je ne crains rien au milieu des personnes qui m'en<< tourent. » Il ordonna lui-même à l'huissier d'ouvrir. La porte s'ouvre. Au même instant vingt ou trente personnes se précipitent dans l'appartement. M. Acloque leur dit d'un ton ferme : «Citoyens, reconnaissez votre roi, respectez-le : << la loi vous l'ordonne. Nous périrons tous plutôt que de << souffrir qu'il lui soit porté la moindre atteinte. » Ils s'arrètèrent. M. de Canolle cria: Vive la nation! vive le roi! Ce cri ne fut point répété.

Madame Élisabeth était restée près du roi. On l'invita à sc retirer: « Je ne quitterai pas le roi, répondit-elle ; je ne le quitterai pas!:

On propose au roi de monter sur une banquette dans l'embrasure de la croisée du milieu de la salle, du côté de la cour. Il y consent. La place n'était pas assez grande, madame Élisabeth se plaça sur la banquette de la croisée voisine avec M. de Marsilly; mais elle ne put y tenir longtemps, et elle alla joindre la reine.

Quatre grenadiers de la garde nationale armés de leur fusil, un officier de chasseurs et un canonnier, se placèrent à côté et en face du roi. Là, ils ont soutenu la presse avec constance. M. le maréchal de Mouchy, malgré son grand âge, n'a pas quitté un moment le roi.

Bientôt la foule remplit la salle. Un bruit affreux se fait entendre ce sont des cris, des hurlements confus entre lesquels on distingue des paroles outrageantes, des sommations, des menaces, A bas le veto! rappelez les ministres! Des figures sinistres, des figures atroces se font remarquer au milieu de cette multitude audacieuse et malveillante.

Un boucher, devenu fameux dans la Convention nationale, Legendre, s'avance vers le monarque. Le bruit cesse, et l'on entend ces paroles qui s'adressent au roi : « Monsieur... » A ce mot le roi fait un mouvement de surprise. « Oui, mon«sieur, reprend fortement Legendre; écoutez-nous, vous êtes <«< fait pour nous écouter... Vous êtes un perfide. Vous nous << avez toujours trompés, vous nous. trompez encore. Mais « prenez garde à vous: la mesure est à son comble, et le « peuple est las de se voir votre jouet. » Alors Legendre lut une prétendue pétition, qui n'était qu'un tissu de reproches, d'injures, de menaces et d'injonctions qui exprimaient la volonté du peuple souverain dont Legendre se déclara l'orateur et le fondé de pouvoir. Le roi entendit cette lecture sans s'émouvoir, et répondit: Je ferai ce que la constitution et les décrets m'ordonnent de faire.

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Après cette scène, nouveaux cris, nouveau tumulte. Il entrait continuellement du monde; personne ne pouvait sortir la presse était extrême. Alors se manifestèrent les mauvaises intentions de plusieurs de ces furieux. L'un d'eux, armé d'un long bâton à l'extrémité duquel tenait une lame d'épée dont la pointe était très-aiguë, tenta de foncer sur le roi les grenadiers placés devant lui parèrent le coup avec leurs baïonnettes. Un autre, armé d'un sabre, perça la foule pour s'avancer vers le roi dans la plus menaçante attitude : il fut écarté par les grenadiers volontaires. Un fort de la halle fit de longs efforts pour arriver jusqu'au roi, le bras

levé et armé d'un sabre. Presque tous ceux qui parvenaient à en approcher l'apostrophaient outrageusement. Il répondait Je suis votre roi. Je ne me suis jamais écarté de la constitution. Plusieurs fois il voulut parler : sa voix se perdit dans le tumulte.

Il paraît que le premier officier municipal qui se soit rendu auprès du roi a été M. Mouchet. M. Mouchet, élevé sur les épaules de deux citoyens, demandait du geste et de la voix un moment de silence pour le roi et pour lui-même. Ses efforts furent inutiles.

Cette situation dura plus d'une heure.

Pendant cet intervalle, un particulier s'avança, portant à l'extrémité d'un long bâton un bonnet rouge; plusieurs personnes firent incliner le bâton vers M. Mouchet. Il se persuada que ce mouvement indiquait l'intention de l'offrir au roi. Il se retourne et voit le roi qui étendait la main pour le recevoir. Il prend le bonnet et le présente au roi, qui le met aussitôt sur sa tête. « De vifs applaudissements se firent en<< tendre, » dit M. Mouchet; « des cris de vive la nation! et « même de vive le roi! ont été répétés par toutes les bou<< ches. >>>

M. Perron confirme que le roi prit volontairement le bonnet rouge. « Je dois, dit-il, à la vérité de déclarer que « le roi, en étendant sa main, le demanda plutôt qu'il ne « lui fut offert. » M. Perron dit au reste « qu'il n'a remarqué « dans le peuple aucune malveillance ». Combien il faut que la manière de regarder et d'écouter influe sur la manière de voir et d'entendre! Un des grenadiers volontaires qui étaient placés à portée du roi a entendu dire tout près de lui, lorsque le roi prit le bonnet rouge : « Il a f..... bien fait de le << prendre, car nous aurions vu ce qu'il en serait arrivé; et, « f.....! s'il ne sanctionne pas les décrets, nous reviendrons « tous les jours. » M. Perron atteste que le peuple cria : Vive le roi! cependant un de ses collègues, en arrivant peu après lui dans la salle, vit un particulier tenu au collet par cinq ou six autres, qui, disaient-ils, allaient le sortir du châte u et le pendre. Pour quel crime? demanda M. Hue. On ré

pondit qu'il avait tenu des propos contre la nation et crié : Vive le roi!

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Quelques instants après, le roi fit remarquer à M. Mouchet une femme qui tenait une épée entourée de fleurs et qui était surmontée d'une cocarde de ruban. Le roi, en étendant la main, manifesta le désir de la recevoir. M. Mouchet la prit, la donna au roi, qui la fit attacher à son bonnet rouge. De nouveaux témoignages de satisfaction éclatèrent. On cria, Vive la nation! et le roi, élevant son chapeau en l'air, cria aussi Vive la nation!

M. Mouchet voulant mettre un terme à cette situation, qui, dit-il, se prolongeait sans rien résoudre, proposa au roi de se rendre sur la terrasse de son appartement pour parler au peuple et en être entendu. Les personnes qui entouraient le roi s'y opposèrent, et, certes, il leur était fort permis de prévoir que de faire traverser par le roi une foule disposée comme on l'a vu, serait un moyen trop certain de résoudre quelque chose.

Mais alors arriva M. Santerre, on cria: A bas le veto! le ruppel des ministres, la sanction des deux décrets!

Des membres de l'assemblée, accourus de leur propre mouvement, MM. Isnard et Vergniaud, essayèrent de calmer le peuple.

M. Isnard, s'étant fait élever sur les épaules de deux volontaires, parla le premier. Un huissier de l'assemblée, muni d'une sonnette, lui obtint du silence. Il s'exprima en ces termes :

« Citoyens, je suis Isnard, député. Si ce que vous deman<< dez vous était accordé à l'instant, on pourrait le croire en« levé par la force. Au nom de la loi, au nom de l'assemblée << nationale, je vous ordonne de respecter les autorités cons<< tituées et de vous retirer. L'assemblée nationale fera justice. « J'y concourrai de tout mon pouvoir. Vous aurez satisfac« tion; je vous en réponds sur ma tête; mais retirez-vous. »> Cette dernière phrase, répétée plusieurs fois, ne calma point et ne fit retirer personne.

M. Vergniaud prit à son tour la parole, et parvint à faire

écouter un discours assez long dans lequel il rappelait le respect dû aux autorités, et tâchait de faire entendre que ce n'était pas par la violence qu'il était possible d'obtenir ce qu'on demandait. Il n'eut pas plus de succès que son collègue Isnard. Le tumulte recommença; on n'entendit plus que des cris redoublés : ôtez le veto, rappelez les ministres !

Il était près de six heures. Santerre, étonné peut-être de la mauvaise fin que prenait l'entreprise, éleva la voix et dit: « Je réponds de la famille royale; qu'on me laisse faire.» Mais il fut interrompu par des cris de Vive Péthion! qui annonçaient le maire de Paris.

M. Péthion entre dans la salle. Sa présence est manifestée par des applaudissements réitérés. Il était accompagné de M. Sergent, officier municipal. MM. Patris, Viguier et Champion, autres officiers municipaux qui se trouvaient là, se réunissent à lui. M. le maire s'approchà du roi et lui dit : « Sire, << je viens d'apprendre dans l'instant la situation dans laquelle << vous êtes. » Le roi répondit : « Cela est bien étonnant, il y << a deux heures que cela dure. » Le maire assura le roi « qu'il n'y avait rien à craindre pour sa personne, que le << peuple voulait le respecter et qu'il en répondait ».

Deux grenadiers élevèrent le maire sur leurs épaules. Il était fort entrepris et tout essoufflé. Le bruit était affreux. Il a beaucoup de peine à faire entendre ces paroles : « Ci<< toyens, vous venez de présenter votre vote au représentant « héréditaire de la nation. Vous ne pouvez aller plus loin. Le << roi ne peut ni ne doit répondre à une pétition présentée à << main armée. Le roi verra dans le calme et la réflexion ce <«< qu'il a à faire. (Ici le peuple applaudit.) Sans doute votre << exemple sera imité par les quatre-vingt-trois départements, « et le roi ne pourra se dispenser d'acquiescer au vœu mani«feste du peuple. »

1 M. Sergent dit dans son procès-verbal que sur les quatre heures, étant avoc M. le maire, on l'a informé de l'invasion du château. Il l'a accompagné dans sa voiture avec son secrétaire. Les rassemblements ont retardé la voiture au Carrousel, ensuite à la cour des Princes, par laquelle ils sont entrés et qu'ils ont passée pour descendre devant le vestibule du château.

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