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gloire, il a fallu que, dans son récit posthume, il vînt à son tour, pour exprimer sa reconnaissance à Léonard Bourdon, démentir son poëte épique, et dire que Bourdon s'était trompé en croyant avoir fait quelque chose dans la bataille du 9 thermidor; que Bourdon, loin d'y avoir coopéré, était resté derrière lui, Méda, et se trouvait encore au pont NotreDame lorsque lui, Méda, avait pénétré dans la Commune avec les grenadiers des Gravilliers, et frappé Robespierre.

Courtois, que certes on n'accusera pas d'avoir été disposé à relever un mérite quelconque de Robespierre, ne lui conteste nullement celui d'avoir voulu se tuer.

Voici comme il s'exprime dans son rapport anniversaire du 9 thermidor an III : « Deux colonnes marchent sur la << Commune, le décret de mise hors la loi les précède, les « conjurés vont tomber sous le glaive des vainqueurs... Non, << citoyens, cette mort eût été trop honorable pour eux; c'est << la mort des scélérats qui leur est réservée... Ils doublent << leur supplice par les tentatives qu'ils. font pour s'ôter la << vie...

<< Robespierre, qu'un gendarme croit avoir immolé, se << tire un coup de pistolet qui ne fait que le punir dans l'or«gane de l'éloquence de l'abus qu'il en a fait. »

Du droit que je crois avoir, moi aussi, de porter un témoignage en cette affaire, et sans employer le style boursouflé de Courtois sur l'organe de l'éloquence de Robespierre, je me réunis pleinement à lui pour reconnaître que Robespierre à la Commune n'a point été frappé par d'autres que par lui-même, et qu'il s'est tiré le coup de pistolet qui ne lui a emporté que la mâchoire. Ce pistolet n'était point sur lui ni à lui, il est possible que ce fût un pistolet de gendarmerie qui lui ait été donné ou dont il se soit emparé dans le tumulte; on a vu plus haut que ce pouvait être le pistolet de Le Bas. C'est la nature de cette arme, ramassée probablement à la Commune par le gendarme Méda, qui lui a donné le prétexte et le moyen de bâtir sa fable. Elle était au surplus, ce me semble, de fort peu d'intérêt pour nous dans le moment du 9 thermidor, excepté pour le gendarme Méda;

il a pu réclamer contre les affirmations opposées à son assertion, et dont on n'a connu le récit qu'après sa mort.

Je conviens qu'il voulut pendant sa vie même exploiter la circonstance où il se donnait un si grand rôle; il le soutint vis-à-vis de plusieurs de mes collègues; il alla depuis prier Tallien, en sa qualité de héros thermidorien, de le recommander à moi lorsque j'étais au pouvoir.

J'ai reçu de Méda maintes lettres et demandes qui avaient toujours pour but un avancement au delà de ses droits et de ses moyens.

C'est seulement en 1824, lors de la publication des mémoires posthumes du gendarme Méda, que j'ai appris qu'il avait succombé dans l'un des combats livrés en Russie en 1812, sous les ordres de l'Empereur, qui allait le nommer général, dit l'historien de Méda, ce qui prouve que le gendarme Robespierricide n'avait pas une antipathie semblable contre les Empereurs, et qu'il était très-flatté d'en recevoir la continuation et l'augmentation des grades qu'il avait obtenus de la Convention et du Directoire........ >>

Fin du Fragment des Mémoires de Barras.

« L'éditeur des Mémoires de Barras ne devra pas oublier cette conversation recueillie au château de Grosbois par Me d'Abrantès, qui connaissait bien le roi du Directoire, parce qu'elle avait vécu dans son intimité et parce qu'elle jugeait supérieurement les hommes:

«Ma fermeté, dit Barras, m'a sauvé de Robespierre. Lorsque je revins à Paris, après les affaires de Toulon, où j'avais vu tant d'infamies que j'avais été obligé d'arrêter moimême le général Brunet au milieu de son armée, à Nice, et que j'écrivis à la Convention que je n'avais trouvé d'honnêtes gens dans Toulon que les galériens: eh bien! cette même fermeté que j'avais montrée à vingt ans sur des écueils, au milieu de la mer (Barras avait été matelot), je l'eus encore à trente ans, au milieu d'une armée dont je faisais le chef

prisonnier! De retour à Paris, je me trouvai en face de l'homme qui voulait nos têtes pour que la sienne portât la couronne... Sainte liberté! Robespierre notre roi! Robespierre notre maître!... Cette pensée troublait mon sommeil... Je ne cachai pas l'horreur qu'elle éveillait en moi... Robespierre le sut; le lâche voulut se venger de moi comme de Danton... Mais s'il avait des créatures évoquées par la peur, j'avais des amis, moi; je fus averti, et m'en allant droit à Robespierre, je lui dis en le fixant d'un œil qui devait lui confirmer mes paroles « Robespierre, on m'a dit que tu voulais me « faire arrêter. Je ne veux pas de la prison; elle n'est que << pour les criminels, et je suis bon patriote. Souviens-toi «<< que si une seule tentative est faite sur moi, je repousse la «force par la force. Tu n'ignores pas, j'espère, que j'ai « des amis. Si tu ne le sais pas, informe-toi de leur nombre; <<< tu verras qu'il est grand. »

<< Robespierre ne pouvait pas pâlir; mais sa bouche se resserra, et son regard tranchant se dirigea sur le mien, comme pour me dire d'être tranquille. Mais que m'importait son silence! Je ne demandais d'assurance pour ma tranquillité qu'à moi seul. Et, en effet, Robespierre ne s'adressa jamais à moi, et nous fumes en paix, quoiqu'il sût que je le haïssais. >>

« J'écoutais cet homme qui parlait ainsi d'un accent convainquant, car sa voix était ferme et résolue, et sa volonté se traduisait dans chacun de ses mouvements. Eh bien! c'était pourtant presque la même époque, et l'an VII et l'an VIII étaient bien près de l'an II et de l'an III... Mais le feu de cette âme était éteint; et, lorsque Sieyès entra au Directoire et qu'il écrasa Barras du poids de son insolent dictatoriat, Barras ne sut que plier, pour ne pas perdre une place pour lui plus ravissante cent fois que les plus belles espérances; Sieyès le gagna et entra au Luxembourg.

« Après que la révolution du 18 brumaire fut consommée, Bonaparte fit offrir à Barras une ambassade aux États-Unis ou en Allemagne (Vienne excepté), ou de voyager dans le midi de l'Europe, ou de le suivre à l'armée d'Italie. Il refusa

les propositions qui lui furent faites par M. de Talleyrand. Cette obstination de demeurer inactif, lorsque le premier consul connaissait ses intentions personnelles ou royalistes, le fit exiler à quarante lieues de Paris. Il alla à Bruxelles, où, pendant plusieurs années, il tint une maison presque princière. >>

« Lorsque Barras revint à Paris, après la Restauration, il alla loger à Chaillot. Sa carrière politique était terminée, et il ne voulait même pas prêter à des soupçons. Son salon, toujours ouvert à des amis qu'au reste il avait su garder, ne l'était plus à la foule. Sa maison était bonne, mais il recevait peu de monde.

<< Il mourut le 29 janvier 1829, et la mort de cet homme qui avait tant marqué dans notre Révolution aurait été inaperçue si les ministres de Charles X, toujours maladroits dans ce qu'ils tentaient comme coup de force, n'eussent renouvelé la scandaleuse histoire des papiers de Cambacérès : les scellés furent brisés et les papiers enlevés. Mais cette fois la chose fut moins paisible que lors de celle de Cambacérès. Un procès en fut le résultat, et le gouvernement a cu la honte de voir infirmer la décision des premiers juges, qui avaient autorisé le bris des scellés pour recouvrer des registres del'Etat. On devait s'en rapporter à Napoléon pour avoir fait rendre à Barras ce qui revenait au gouvernement... Cette manière de faire entendre que la Restauration mettait de l'ordre dans les affaires de l'État, jusque-là abandonnées à elles-mêmes, avait vraiment un côté comique dont il fallait rire.» (Note de M. A. Houssaye.)

PRÉCIS HISTORIQUE

DES ÉVÉNEMENTS QUI SE SONT PASSÉS

DANS LA SOIRÉE

DU NEUF THERMIDOR.

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