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c'était la mort, et l'impitoyable jurisprudence ne pouvait être détruite que par la mort elle-même.

Je profitai du rôle que j'avais joué dans ces circonstances, pour faire à l'assemblée un rapport détaillé sur ce qui s'était passé et y introduire des réflexions sur l'état actuel des choses.

<< Il ne m'appartient pas, citoyens représentants, dis-je en << terminant, de vous prescrire ce que vous devez faire après << la victoire que vous avez obtenue sur des conspirateurs, la « plupart égarés et trompés par des chefs perfides; je me << suis contenté de vous indiquer les voies qu'on pourrait « suivre je me borne maintenant à vous assurer de mon « dévouement à la liberté. J'ai fait et je ferai exécuter les « lois. >>

Mon discours fut applaudi, mais les idées que j'aurais voulu faire pénétrer ne furent pas accueillies; elles furent repoussées par l'influence qu'avaient conservée les comités du gouvernement, et par les précautions qu'ils s'occupaient à prendre contre tout partage de ce pouvoir qu'ils venaient d'exercer pendant quinze mois d'une manière aussi despotique.

La Convention cependant commença, le 13 thermidor, par rapporter le décret qui avait investi les comités de salut public et de sûreté générale du pouvoir de mettre en arrestation toutes personnes, y compris les membres de la Convention, pouvoir que ces deux comités avaient encore excédé par la violation des formes les plus simples qui leur étaient imposées et qu'ils avaient dédaigné de reconnaître. Je contribuai encore à faire rapporter la loi du 22 prairial sur l'organisation du tribunal révolutionnaire. On renouvela les juges et les jurés de ce tribunal; il eût été bien plus sage de le détruire à l'instant et à jamais, si on eût voulu venir de suite à l'établissement de la vraie liberté; mais telle est toujours l'erreur des partis vainqueurs, que, perdant de vue le sentiment et la raison du triomphe, ils veulent encore conserver à leur discrétion, et pour s'en servir à leur tour contre les vaincus, les instruments qu'ils sont parvenus à leur arracher, comme si les vaincus ne pouvaient pas redevenir les vainqueurs et

reprendre leurs barbares errements. Les actions et les réactions dont la France a été si longtemps le théâtre rappelleront souvent cette vérité sévère et toujours méconnue.

Parmi les mesures raisonnables prises par suite de la journée du 9 thermidor, on remarque le rapport de la loi qui accordait 40 sous aux indigents pour leur droit d'assistance aux assemblées de section, la réorganisation du comité de salut public et de sûreté générale, la restriction qui leur fut imposée de baser désormais leurs arrêtés sur une loi précise. Le député Courtois, chargé d'inventorier les papiers de Robespierre, avait eu de bonnes raisons pour réclamer cette commission; ayant eu le malheur, comme bien d'autres, d'écrire fort obséquieusement à Robespierre dans le temps de sa grande puissance, il avait commencé par reprendre et brûler ses lettres. Je réclamai celles de Fréron, de Tallien et de plusieurs autres députés, et je les remis toutes à leurs auteurs. Le rapport que fit Courtois n'cut pas l'intérêt qu'on en attendait. Beaucoup de pièces importantes avaient été soustraites.

Pareille soustraction avait eu lieu lors de l'inventaire de l'armoire de fer. Ce pouvait être dans une vue historique et pour sauver du néant des pièces propres à établir la vérité; mais la vérité est une et ne peut être mutilée. Il fallait donc ne pas faire une publication incomplète de tout ce qui devait la servir, ne pas donner la préférence à ce qui pouvait nuire à ses ennemis personnels.

Courtois commit surtout la faute de négliger les points les plus essentiels, d'omettre des faits généraux dont la réunion seule aurait présenté un ensemble qui peignît l'époque. C'en était une vraiment extraordinaire, même dans ses plus tristes récits, que celle qui avait précédé le 9 thermidor, et quoiqu'elle paraisse si facilement explicable par les passions des hommes, par leurs prétextes et leurs raisons, en présence d'un ennemi intérieur; toujours y a-t-il, dans les causes qui avaient amené un pareil état de terreur universelle, quelque chose encore de mystérieux et qui ne pourra être trop interrogé par les philosophes, comme par les publicistes, avant

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de décider si ce fut là une anomalie dans l'histoire de l'humanité... Courtois, qui n'avait pas assez de portée pour concevoir son travail sous ce grand rapport, n'a guère exposé que des individualités, se référant à la personne de Robes pierre, et sans pénétrer sa politique. Quelle était-elle au moment de sa mort? En eut-il jamais une, je veux dire un système? Toute son élévation s'explique-t-elle par ce mot attribué à Cromwell : « On ne va jamais si loin que lorsqu'on << ne sait pas où l'on va? »

On a dit que Robespierre était mort en réaction, et par cela on a entendu que, fatigué, effrayé peut-être des excès où la Révolution était arrivée, il aurait voulu les arrêter; mais comment concilier avec un pareil dessein tout ce que présente de contraire à cette idée son dernier discours? «Nous << n'avons pas été trop sévères, j'en atteste la République qui «< respire!... On parle de notre rigueur, et la patrie nous re<< proche notre faiblesse. On veut détruire le gouvernement «< révolutionnaire pour immoler la patrie aux scélérats : ce << gouvernement est la marche sûre et rapide de la justice; c'est << la foudre lancée par les mains de la liberté contre les crimes. << Il ne s'agit pas d'entraver la justice du peuple par des formes. << La loi pénale doit incessamment avoir quelque chose de va«gue, parce que le caractère actuel des conspirateurs étant <<< la dissimulation et l'hypocrisie, il faut que la justice puisse «<les punir sous toutes les formes. Une seule manière de cons«< pirer rendrait illusoire et compromettrait le salut de la pa« trie..... Il faut écraser toutes les factions du poids de l'autorité <«< nationale pour élever sur leurs ruines la puissance de la << justice et de la liberté... » Dans un catéchisme écrit de sa main : « Quand le peuple sera-t-il éclairé? Quand il aura « du pain, et que les riches et le gouvernement cesseront de << soudoyer des plumes et des langues perfides pour le trom«< per, lorsque l'intérêt des riches sera confondu avec celui « du peuple.. Quand leur intérêt sera-t-il confondu avec ce«<lui du peuple? Jamais. »

Dans d'autres pièces imprimées à la suite d'un rapport de Courtois, ce passage de Payan, son premier conseil, et qui

est toute sa pensée : « Un rapport vaste qui embrasse tous<«< les conspirateurs, qui montre toutes les conspirations réu<< nies en une seule, que l'on y voie des fayétistes, des roya-<< listes, des fedéralistes, des hébertistes, des dantonistes «< (Rousselin et autres). »

Qui a jamais pu croire que ces derniers actes et ces dernières paroles de Robespierre aient fait soupçonner un retour à la modération? Tout y est sans doute très-vague et fort incohérent, mais ce qui est d'une évidence affreuse, c'est que Robespierre, toujours dévoré de bile et de haine, pensait plus que jamais à se défaire de ses ennemis ou de ceux qui lui paraissaient l'être... et ceux qu'il appelait ses ennemis, son imagination délirante en multipliait toujours le nombre. On a parlé du dévouement que lui avait témoigné son frère en périssant avec lui le 9 thermidor, mais ce dé-vouement était encore plus celui de l'association des partis que la suite d'un premier mouvement.

Courtois n'a point calomnié Robespierre en disant qu'il n'avait point d'entrailles, même pour ses parents. Les lettres que sa sœur lui a écrites sont l'expression de la douleur et du désespoir; c'était cependant, et l'on peut dire que c'est encore, car je crois qu'elle a survécu, que c'est encore, dis-je, une personne pleine de modération et de vertus, à qui ne peuvent être imputés les torts que nécessitait sa séparation d'avec son frère.

On connaît maintenant la part réelle que j'ai eue à la victoire du 9 thermidor. Parmi toutes les prétentions qui se sont élevées depuis, je ne veux nullement critiquer ce qui peut avoir tourné à l'honneur de plusieurs de mes collègues, pas même de Léonard Bourdon, qui croyait avoir dirigé des bataillons sur la Commune de Paris, y être entré en vainqueur et avoir décidé le triomphe de la journée, c'est-à-dire de la nuit du 9 au 10, où succombèrent les Robespierre frères, Saint-Just, Couthon et leurs complices.

Mais il est un fait d'armes dont on a voulu décorer un citoyen gendarme appelé Méda, qui serait mort colonel, vingt ans après, dans la campagne de Russie, au moment d'être

fait général de brigade. On a, en 1824, fait paraître de prétendus mémoires de ce Méda, vainqueur de Robespierre.

D'après le récit posthume de Méda, âgé de dix-neuf ans en thermidor (1794), il aurait reçu du comité de salut public l'ordre vraiment singulier donné à un soldat qui avait des chefs, ordre qui d'ailleurs n'a jamais été justifié depuis, d'exercer un commandement sous la Convention, et d'aller mettre en arrestation les membres de la Commune.

C'est avec ce premier titre que Méda serait arrivé en mission avec Léonard Bourdon. S'il faut en croire ce mémoire, ce représentant aurait nommé le gendarme commandant de l'attaque. Bientôt ce dernier aurait quitté sa colonne pour aller tenter un coup de main à la maison commune. Il y aurait volé, suivi seulement de quelques grenadiers; il aurait pénétré au secrétariat, où ayant aperçu Robespierre au milieu d'une cinquantaine d'hommes, dans une grande agitation, il aurait sauté sur lui en lui présentant la pointe de son sabre au cœur, et lui aurait dit : « Rends-toi, traitre!» Sur ces mots, Robespierre aurait relevé la tête et dit : « C'est toi qui es un traître; je vais te faire fusiller. » A ces paroles Méda, toujours d'après son propre récit, aurait pris de la main gauche un de ses pistolets, et faisant une conversion à droite, il l'aurait tiré sur Robespierre. Il croyait le frapper à la poitrine: mais la balle, prenant Robespierre au menton, lui aurait fracassé la mâchoire gauche inférieure, et il serait tombé de son fauteuil. L'explosion du coup de feu aurait stupéfié le frère de Robespierre, à tel point que celui-ci se jeta. par la fenêtre. Dans ce moment un bruit terrible aurait éclaté. Méda se serait alors écrié de toutes ses forces: « Vive la République!... » Les grenadiers l'entendant lui auraient répondu. D'après un rapport de Léonard Bourdon, de l'époque même du 10 thermidor, il aurait dit que Méda était l'un des premiers qui avaient frappé les conspirateurs. Courtois, dans son rapport, va jusqu'à faire dire à Léonard Bourdon présentant Méda à la Convention: «Ce brave gendarme ne m'a << pas quitté, il a tué deux conspirateurs... >>

Ce n'a pas été asscz pour Méda de toute cette part de

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