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rectoire du département, celle des autres directoires qui suivirent son exemple; de l'autre, les clameurs élevées contre M. de La Fayette et l'état-major de la garde nationale, les réclamations de la municipalité en faveur de son maire inculpé à l'occasion du 20 juin, celles des sections de Paris, celles de toutes les sociétés populaires de cette capitale et du royaume, le danger que la faction courait en restant dans l'inaction, les espérances qu'elle se croyait fondée à concevoir d'une nouvelle tentative et d'un redoublement d'audace: tout conspira à la fois contre le roi.

A ces causes immédiates de l'animosité populaire, ajoutez une cause toute-puissante, une agence spéciale de trouble et de fermentation: c'était la société des Jacobins, soutenue à Paris par cinq ou six autres clubs, dont celui des Cordeliers était encore plus violent que la société-mère, et par huit cents autres sociétés affiliées dans les départements.

Ajoutez encore aux causes immédiates d'animosité et de fermentation l'impuissance constitutionnelle des autorités administratives dans la capitale, et l'absurde organisation de la police de sûreté dans le département de Paris, organisation dont nous aurons occasion de parler.

Enfin, placez au-dessus des puissantes agences de perturbation et des impuissantes agences de répression, une assemblée législative, dont une partie reçoit le mouvement des clubistes, et leur donne le sien par une action et une réaction continues, et l'autre, plus ennemie du désordre que du pouvoir absolu, dont pourtant elle ne veut point, est attachée à la royauté constitutionnelle, et se subdivise en constitutionnels désintéressés, franchement patriotes, mais défiants et inquiets, et en constitutionnels ardents, mais ambitieux du ministère, par conscience, peut-être, et parce qu'ils ne croyaient le bon usage du pouvoir assuré que dans leurs mains.

Dans cet état de choses, laissez les événements s'engendrer d'eux-mêmes; laissez marcher les faits suivant leur direction naturelle, et vous arriverez aux événements du 10 août. Et si, du 10 août, vous voulez aller au 21 janvier,

si vous voulez reconnaître la gradation qui conduisit d'une peine politique à la peine capitale, de la déchéance à l'arrêt de mort, vous verrez entre les deux époques fa'ales un crime, un assemblage de crimes plus énormes que les attentats du 20 juin et les massacres du 10 août : je parle du massacre des prisons dans les premiers jours de septembre. Après cette boucherie, il ne restait à ses auteurs d'autre ressource contre l'exécration générale que le renversement de la société tout entière par l'anarchie sous le nom de république, et par l'extinction des hommes et des choses qui pouvaient rallier quelques affections et quelques souvenirs.

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LIVRE PREMIER.

LE 20 JUIN,

SES PRÉLIMINAIRES, SES CIRCONSTANCES.

CHAPITRE PREMIER.

Ministres renvoyés. — Lettre de Roland au roi avant sa destitution. Effet du renvoi des ministres au camp de M. de La Fayette. Lettre de ce général à l'assemblée législative. ·Elle est répandue · dans Paris. Elle excite une vive rumeur dans le parti des jacobins. Pétition à son occasion.

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Dans la séance du mercredi 13 juin, les trois ministres que le roi avait consenti de nommer dans le parti populaire, Roland, Servan et Clavière, annoncent par écrit à l'assemblée que le roi vient de leur retirer le portefeuille.

Roland lui adresse en même temps copie d'une lettre, qu'en sa qualité de ministre de l'intérieur, il avait écrite l'avant-veille à Louis XVI.

Cette lettre contient de vives représentations au roi sur l'éloignement qu'il montre pour la révolution, et particulièrement sur son refus de sanction aux décrets qui ordonnent, l'un la formation d'un camp sous Soissons, l'autre la déportation des prêtres insermentés. Il le presse de sanctionner sans délai ces deux décrets. « Si la loi contre les prêtres, dit<< il, n'est mise en vigueur, les départements seront forcés de «<lui substituer, comme ils font de toutes parts, des mesures << violentes, et le peuple irrité y suppléera par des crimes. «... La situation de Paris, sa proximité des frontières, << ont fait sentir le besoin d'un camp dans son voisinage. «... Pourquoi faut-il que le retard de votre sanction donne

« à Votre Majesté l'air du regret, lorsque la célérité lui ga« gnerait tous les cœurs !.. Déjà l'opinion compromet ses in«<tentions. Encore quelque délai, et le peuple contristé << verra dans son roi l'ami et le complice des conspirateurs. « Juste ciel, auriez-vous frappé d'aveuglement les puissances » de la terre, et n'auront-elles jamais que des conseils qui « les entraînent à leur ruine ! »

Cette lettre, datée du 10 juin, explique suffisamment la destitution prononcée le 12, et communiquée à l'assemblée le 13.

La lecture de cette lettre, fréquemment interrompue par les applaudissements de l'assemblée et des tribunes, fut suivie d'un décret qui prononça que les trois ministres emportaient les regrets et l'estime de la nation.

M. de La Fayette reçut le 15 la nouvelle de la destitution des trois ministres dans son camp sous Maubeuge.

J'étais alors près de lui, et je m'y étais rendu à la prière de Servan, ministre de la guerre, qui m'avait chargé de promettre à M. de La Fayette un concours très-zélé pour tout ce qui pourrait intéresser le bien-être de l'armée et le succès de la guerre, et d'exprimer à ce général le désir de se mettre en parfaite intelligence avec lui pour tout ce qui regarderait leur service respectif. Nous étions depuis un quart d'heure en conférence, M. de La Fayette et moi, lorsque son étatmajor arriva chez lui pour prendre l'ordre. Je passai dans son cabinet en attendant que notre conversation. pût se renouer, et j'y étais quand une bruyante explosion de joie dans le salon m'apprit que le général recevait la nouvelle de la destitution des trois ministres. Cette nouvelle mettait fin à ma mission. Je revins à Paris.

A mon arrivée, j'appris que M. de La Fayette avait écrit le 16 à l'assemblée. Sa lettre en effet fut lue dans la séance du 181.

1 Ce voyage, que je fis par complaisance pour le ministre de la guerre, Servan, homme distingué sous tous les rapports, digne frère de l'illustre avocatgénéral de Grenoble, qui dans cette place fut aussi l'avocat-général de la rai

Cette lettre fut le signal qui fit précipiter les événements dont se compose la chronique des cinquante jours que j'ai entrepris d'écrire. Je vais la transcrire en entier.

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Messieurs, au moment, trop différé peut-être, où j'allais appeler votre attention sur de grands intérêts publics, et désigner parmi nos dangers la conduite d'un ministère que ma correspondance accusait depuis longtemps, j'apprends que, démasqué par ses divisions, il a succombé sous ses propres intrigues; car sans doute ce n'est pas en sacrifiant trois collègues asservis par leur insignifiance à son pouvoir, que le moins excusable, le plus noté de ces ministres aura cimenté, dans le conseil du roi, son équivoque et scandaleuse existence.

« Ce n'est pas assez néanmoins que cette branche du gouvernement soit délivrée d'une funeste influence : la chose publique est en péril; le sort de la France repose principalement sur ses représentants. La nation attend d'eux son salut; mais, en se donnant une constitution, elle leur a prescrit l'unique route par laquelle ils peuvent la sauver.

« Persuadé, Messieurs, qu'ainsi que les droits de l'homme sont la loi de toute assemblée constituante, une constitution devient la loi des législateurs qu'elle a établis, c'est à vous-mêmes que je dois dénoncer les efforts trop puissants que l'on fait pour vous écarter de cette règle que vous avez promis de suivre.

«< Rien ne m'empêchera d'exercer ce droit d'un homme libre, de remplir ce devoir d'un citoyen; ni les égarements momentanés de l'opinion, car que sont des opinions qui s'écartent des principes? ni mou respect pour les représentants du peuple, car je respecte encore plus le peuple, dont la constitution est la volonté suprême; ni la bien veillance que vous m'avez constamment témoignée, car je veux la conser

son et de l'humanité, ce voyage m'attira une sérieuse accusation après le 10 août. On supposa que j'étais allé conspirer avec M. de La Fayette contre les jacobins et l'assemblée. L'on ajouta ce grief à ceux de cette journée, et il concourut à motiver l'ordre de mon arrestation et la saisie de mes papiers; j'avais jugé à propos de me soustraire à cet ordre.

Madame Roederer crut nécessaire, dans mon absence, d'écrire à M. Servan à ce sujet, et ensuite de publier, par la voie du Moniteur, sa lettre et la rẻ ponse de M. Servan, qui, après le 10 août, avait été rappelé au ministère. Ces lettres se trouvent au Moniteur du 2 septembre 1792.

1 Il est évident que M. de La Fayette ignorait le 16 la cause du renvoi des ministres. Le Moniteur n'a fait connaître la lettre de Roland que le 15; elle ne pouvait être à Maubeuge le 16.

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