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être faciles; ils doivent être faits. Une fois armés de ces flambeaux, nous ne marcherons pas au hasard; en tatonnant, nous ne jugerons plus des estimations vagues. Si l'on vous eût dit au commencement de l'année, que la dépense extraordinaire de cette année devoit monter à 389 millions, on vous auroit épouvanté; mais on vous a dit qu'on a 11 millions d'excédent, parce qu'on a mangé 400 millions d'assignats, et ce langage trompeur vous inspire une sécurité perfide.

Tel est l'empire de la vérité sur les assem.blées nombreuses, qu'elle entraîne même dans la bouche de ceux qui pourroient en affòiblir l'effet, par la prévention que leur conduite inspire. Les opinions politiques de M. Maury lui ont attiré des ennemis nombreux; ces ennemis même l'ont vivement applaudi, en l'entendant parler d'une manière si lumineuse sur cet objet obscur. Quelle idée se former donc de l'administration des finances, lorsqu'on voit tous les partis se réunir pour la condamner !

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En vain les amis du ministre ont-ils cherché à le justifier dans la séance suivante, dont nous allons rapporter les détails, afin de ne pas en diminuer l'intérêt, l'impression faite par le discours de M. Maury a toujours subsisté.

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Elle s'est même augmentée par un autre discours encore plus énergique et plus fort de faits, prononcé par M. Camus, avec sa rude franchise. -On nous demande 30 millions pour le service de juin. Le temps presse; il serait d'un mauvais citoyen de les refuser. Mais en les accordant demandons, exigeons des lumières. On ne.nous a jusqu'ici présenté que des apperçus, où l'on n'apperçoit rien; et dans ces appeçus même, il se trouve des différences frappantes entr'eux et les bordereaux.

» Si on vous avoit donné les détails, vous conenoîtriez des paiemens qui peut-être n'auroient -pas dû être faits. Par exemple, on a payé au tré-sorier de M. le comte d'Artois, dans les premiers jours de mai, 12,000 livres, le 11 mai, 45 mille livres, le 17, 60 mille livres, et le 19, 100,000 livres : vous en auriez été d'autant plus surpris, que le premier ministre n'en a pas parlé Un autre point, c'est de justifier la réalité de f'acquit et des dépenses. On vous présente un remboursement de vingt-six millions d'anticipa tions. Je voudrois que les détails fussent mis sous vos yeux. J'ai la preuve qu'en 1788, on créa des emprunts pour rembourser les antici pations; cependant on n'en remboursa point. Nous pouvons avoir individuellement la plus

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grande confiance; mais nous devons compte à nos mandataires. Tous les états que nous avons -sont par apperçus; on nous dit, tant pour la recette, tant pour la dépense; donc un déficit de tant. Ce n'est pas-là ce que doit savoir un propriétaire; nous sommes les propriétaires, et -nous voulons que nos intendans nous rendent un compte exact de nos affaires.

» ils s'appuient sur les anciens usages; mais ils doivent se conformer aux nouveaux. Eh! pourquoi le panégiriste de Colbert ne l'imite - t - il -pas? Sous le ministère de Colbert, on observoit une assez bonne méthode. On faisoit les comptes - par exercice : il existe des registres qu'on pré-sentoit tous les mois à Louis XIV, et qu'il arrêtoit de sa main. Le même, ordré s'est encore observé au commencement du règne de Louis XV. Alors il a cessé, et on ne dressoit plus des états que lorsque l'année étoit expirée : on appelloit cela les rôles de l'année; ils s'arrêtoient au conseil du roi. Mais ce qui a causé tout le désordre, c'est que les états de la dépense d'une année n'étoient arrêtés quelquefois, que douze fans après, sous un nouveau ministère : ainsi, pour justifier des dépenses de l'année 1784, il falloit attendre que l'année 1788 fût écoulée. Voilà le désordre qui règne dans les finances ».

C'étoit pour parer à ce désordre que M. Camus proposoit, en accordant les 30 millions au ministre, de décréter qu'il seroit tenu de donnerl'état de la dépense et recette, depuis mai 1789, l'état exact de l'emploi de 30 millions, et de lui enjoindre de ne plus présenter de demandes d'argent, sans un état certifié de l'emploi.

Ce langage sévère n'est pas celui d'un homme. qui fréquente les cours. Mais M. Camus ressemble à ce Marwell que Walpole vouloit corrompre. Il lui envoye un émissaire, avec des rouleaux d'or et l'offre de place. Marwell dînoit sur un gigot qui paroissoit sur sa table pour la seconde fois. Voyez, disoit-il à l'émissaire, en lui montrant son modeste rôti, si, quand on dine ainsi, on a besoin d'or, si on se laisse séduire par de l'or. L'historien ajoute que Marwell, après son dîner, alla emprunter une guinée à un de ses amis. Voilà la trempe d'hommes qui nous seroit nécessaire, et M. Camus paroît être de cette trempe: il paroît inflexible pour les abus ministériels.

Il est à regretter seulement qu'en demandant compte au ministre, il n'ait pas fait remonter l'époque plus loin. Il falloit demander à M. Necker le compte de ce qu'il a reçu et dépensé depuis qu'il a remplacé l'archevêque de Sens.

Ce ministre avoit prévu la demande de ce compte, et pour en prévenir l'effet, il avoit écrit au comité des finances une lettre, où il marquoit que M. Defresne, son premier commis, promettoit ce compte pour le 15 juillet. Ih! pourquoi six semaines, lorsqu'il y a trois mois on a demandé ce compte effectif? et pour un compte qui ne comporte que des calculs simples, qui ne doit être que le relevé des recettes et dépenses, jour par jour ! Pourquoi cette époque du 15 juillet, le lendemain de la confédération ?

On a vu reparoître dans cette discussion M. l'abbé Maury, mais avec moins d'avantages que la première fois, quoique son discours étincelât de vérités fortes. Il disoit que trois comptes avoient été récemment rendus, dont aucun n'éclaircissoit l'état des finances: ils étoient com

binés pour tromper le peuple, et jetter un vuide sur les déprédations secrettes; les dépenses n'y étoient point nettement fixées. On y parloit des dépenses extraordinaires, dont le total varioit, même dans la bouche de M. Necker; car en comparant tous ses mémoires, on voyoit qu'il avoit oublié, au mois de mars, ce qu'il avoit écrit au mois de décembre, et au mois de déeembre, ce qu'il avoit dit à l'ouverture des étatsgénéraux.

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