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Or ce ministre n'a point existé pour l'assemblée nationale. Celui qui tient en ce moment les rênes des finances, ou plutôt qui persiste à les tenir, au lieu de descendre aux fonctions d'um simple trésorier, comme le veut une constitution libre; ce ministre qui avoit sur la situation des finances des lumières qu'une longue pratique avoit su lui donner, ce ministre les a toutes gardées pour lui-même, ne les a communiquées à l'assemblée que par fragmens détachés. Il sembloit qu'il voulût amener l'assemblée nationale à se laisser gouverner par lui dans le cahos où il la jettoit, sans fil qui pût la diriger. Il lui montroit des précipices ouverts de tous les côtés, les aggrandissoit pour effrayer, insistoit sur la difficulté des remèdes, présentoit les siens, et l'assemblée étoit forcée de les adopter, de peur sacrifier l'état et la révolution à un vain orgueil. Mais ensuite s'aguérissant insensiblement avec les difficultés, s'éclairant des foibles rayons qu'on lui communiquoit, elle a bientôt vu la nécessité de percer plus avant dans cet antre ténébreux. Malheureusement trop d'affaires l'écrasoient à la fois. Quand on a à combattre des hommes déliés, dévoués à un seul genre d'affaires, armés depuis long-temps de cette dissimulation, de ces fauxfuyans dont on apprend le secret à la cour,

de

il

faut de la tenue, de la constance, de l'opiniâtre. té. Or le don de l'opiniâtreté, si utile dans les affaires publiques, se rencontre peu dans les grandes assemblées; il n'appartient qu'à quelques individus, ou qu'à des partis vigoureux. Eh! que pouvoit la voix de quelques membres demandant sans cesse la lumière au ministre, et n'étant pas écoutée ? Et malheureusement encore il n'y a pas dans l'assemblée un parti d'opposition ministérielle assez bien formé, où les rôles soient assez bien distribués, pour qu'aucune faute des ministres échappe.

On conçoit, d'après cela, comment on est encore dans l'ignorance sur l'état de nos finances. La discussion de la séance d'aujourd'hui amenoit ce préliminaire', qui jettera quelque jour sur elle. Elle a été ouverte par la lecture de deux lettres de M. Necker.

« J'avois demandé, dit-il, dans l'une, à tous les receveurs particuliers des élections et des pays conquis, au nombre de 211, de m'adresser l'état des recouvremens sur les impositions du mois de mai, je les ai reçus, j'en ai fait le dépouillement, j'en envoie le tableau à l'assemblée nationale; le total de ce tableau est de 8,611,335' livres ».

Dans l'autre lettre, M. Necker demande 30

millions en billets de caisse pour le service du mois de juin. Présumant qu'une pareille demande exciteroit la surprise de l'assemblée, il en a développé les divers motifs. « Comme, a-t-il dit, aux diverses époques où l'on a fait de semblables demandes, l'assemblée a témoigné quelque surprise, je crois nécessaire de présenter des réflexions très-simples: le tableau des dépenses des huit derniers mois de cette année a montré en quoi les quatre cens millions sont nécessaires : s'ils sont indispensables pour les besoins de cette année, il est évident que chaque mois, chaque jour, il est nécessaire d'en employer une partie. La caisse d'escompte n'est intervenue dans cette opération que par sa signature, et sa signature a été demandée, parce qu'elle est plus connue que toute autre. La demande qui vous est faite ne seroit susceptible de difficultés, qu'autant qu'elle ne seroit pas nécessaire pour les besoins du trésor public ».

L'assemblée peut juger de cette nécessité par les bordereaux qui sont remis chaque semaine à son comité, et par le détail approximatif qui lui a été présenté. Il résulte de ce détail, qu'en déduisant des 389 millions, qui forme la masse des besoins, ce qui doit être payé à la caisse d'escompte, il reste 26 millions de dépenses ex

traordinaires par mois. Depuis le premier mai l'assemblée n'a accordé que 40 millions. Lors de la dernière demande, elle a paru croire que les besoins provenoient du retard du paiement desimpositions directes: ce retard ne fait pas partie des besoins de cette année; car on a passé pour plein dans les huir derniers mois cette partie du revenu public. Quatre articles occasionnent le besoin d'un secours extraordinaire de 32 millions par mois les anticipations à payer, qui sont par mois de 11 millions; d'autres articles détaillés dans le tableau approximatif, 7 millions; deux semestres des rentes de l'hôtel-de-ville, 7 millions; la diminution des impositions indirectes, 7 millions. Les seules ressources sont les assignats et la contribution patriotique; mais cette dernière ne produit encore que 6 millions par mois,

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En conséquence de ces lettres, le comité des finances demandoit qu'on décrétât les 30 milLions demandés par M. Necker.

Les esprits n'étoient pas entièrement satisfaits par l'explication donnée par M. Necker. On ne concevoit pas comment les impôts n'excédoient pas 7 à 8 millions par mois. On ne voyoit qu'avec effroi s'approcher le terme où les 400 millions d'assignats seroient entièrement dissipés. On ne

voyoit point alors de moyens pour satisfaire la voracité du monstre que M. Necker appelle besoins extraordinaires. Enfin mille inquiétudes déchiroient les esprits sur l'emploi réel de ces sommes; emploi qui n'étoit vérifié par rien car un bordereau de dépenses n'est pas une preuve d'emploi.

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Les hommes pensans erroient au milieu de ces incertitudes, lorsque le discours de M. l'abbé -Maury est encore venu les accroître. - Au milieu de tous ces mémoires, de toutes ces explications, il ne voyoit rien de clair. S'agissoit-il de dépenses? on offroit, non des états, mais un ap-perçu. S'agissoit-il de rentrée des fonds ? on apporte la recette du dernier mois; mais point de compte universel et détaillé. Est-il donc si difficile, est-il donc impossible de rendre un compte? Le ministre, qui a le loisir de faire des brochures, n'en a-t-il pas pour faire des comptes? Il est incroyable que l'assemblée, au bout de 14 mois, n'en ait pas obtenu un.

M. l'abbé Maury vouloit que le ministre fût tenu de présenter, dans le plus court délai, trois mémoires particuliers; celui de la recette, celui de la dépense, celui de la dette. On ne reçoit pas, ajoutoit-il, on ne paye pas, ne doit pas au hasard: ces calculs doivent donc

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