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de ports, vous rendrez ce commerce dangereux pour les armateurs, si vous les astreignez à débarquer leurs retours dans un port non franc. II faut alors que ce commerce supporte des droits : moyen sûr d'éloigner les étrangers; il faut alors que l'armateur calcule ses retours pour une consommation limitée; cette obligation s'arrange assez mal avec des achats en concurrence dans un pays séparé de la France par des milliers de lieues; et c'est ce que n'ont pas manqué de faire valoir les partisans dn commerce exclusif de la compagnie des Indes.

Dans le systême des ports exclusifs, il faut donc que le lieu qui jouira seul du droit de recevoir les retours de l'Inde, soit un port franc; et c'est ce que l'on peut démontrer par les motifs qui ont fait établir une telle franchise. Quels seroient ces motifs, si ce n'est les obstacles que les impositions intérieures et les formalités fiscales. mettent au commerce extérieur? Et pour quel commerce ces obstacles seroient-ils plus à craindre que pour celui de l'Inde, qui, plus que tout autre, ne peut se soutenir que par la réexportation, et dont il importe d'enlever sans cesse la surabondance, en offrant un débouché facile au concours des étrangers? Alors ce commerce sera libre. Adopter d'autres mesures, seroit inviter

les armateurs à l'entreprendre avec la certitude de se ruiner.

Quels seroient dans un tel systême les ports francs, privilégiés? La réponse est dictée par la même raison qui a nécessité l'affranchissement. Ce seroient les ports où se réunissent, et la plus grande commodité pour, les consommations intérieures, et les avantages les plus propres à attirer les acheteurs étrangers, ou à faciliter les envois hors du royaume. Si la loi fait des ports francs, c'est la nature qui les indique; c'est elle qui détermine notre choix.

Les convenances qui nécessitent ces franchises locales, par lesquelles il a fallu rémédier à notre ignorance, ou à nos préjugés en matière d'impôts ; ces convenances ont conduit à les multiplier, et les mêmes motifs nous forceroient d'admettre plusieurs ports francs pour le commerce de l'Inde. Ce seroit à chaque commerçant à préférer celui dans lequel ses marchandises devroient arriver. Un de ces ports obtiendroit-t-il la préférence sur les autres? C'est sans doute parce qu'il seroit plus favorable; et, sous ce rapport, comment le législateur pourroit-il s'en enquérir? Les élémens de cette faveur peuvent-ils être l'objet d'une loi?

Ne l'oubliez jamais, messieurs: vous avez re

connu que la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas aux autres; que l'exercice des droits naturels de l'homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance des mêmes droits. Cette théorie n'est pas seulement applicable à l'état social; elle doit former aussi le code de votre industrie, le code de votre commerce.

En suivant ainsi les conséquences naturelles du systême d'un port exclusif, vous voyez qu'il est impossible de tenir un milieu raisonnable entre la liberté indéfinie et une gêne absolue; chacun de ces systêmes a ses loix; les milieux n'en ont aucune. Ce sont des foiblesses, et voilà tout: si vous voulez gêner, il faut embrasser dans vos gênes tout ce qui en est susceptible; les gênes peuvent être des erreurs, mais c'est incontestablement une absurdité que de ne pas les établir de manière à sauver les contradictions.

Dira-t-on qu'un nombre limité de ports francs est une gêne? Mais ceci tient à la police générale du royaume. Dans les arrangemens politiques, on a mis les impositions avant tout, et l'on traite encore de chimères, les idées simples qui concilieroient les avances sociales avec la liberté et la franchise de toutes les productions. Il faut donc se conformer à cet ordre, bon ou mauvais, qui au lieu d'assortir les impositions aux maximes

générales du commerce et de l'industrie, a voulu plier celles-ci aux impositions. Il en a résulté des pors francs, des lieux privilégiés que la fiscalité respecte: c'est le dépôt naturel, le domicile des marchandises étrangères. Cela n'empêche pas que les commerçans ne fassent abor der et décharger leurs vaisseaux dans les ports non privilégiés, si quelque spéculation particulière les y invite.

Ainsi, tout s'arrange le moins mal possible. En laissant au décret de l'assemblée nationale toute sa latitude, le commerce de l'Inde sera libre pour tous les François, c'est-à-dire que cette liberté ne sera modifiée que par les résultats nécessaires du systême des impositions. La puissance législative dit aux commerçans de l'Inde : « Nous avons besoin d'impôts; nous » croyons que les marchandises de l'Inde doi-. » vent en fournir une partie. Pour les perce» voir, il faut des barrières; cependant, ne vou» lant prohiber ni l'entrée ni la sortie des mar»chandises étrangères, nous avons senti qu'il » falloit des points où elles pussent arriver, et » prendre de-là une nouvelle direction, sans » être gênées par les impôts et les formalités » de la perception. Nous avons établi ces points, » et nous les avons placés par-tout où les égards

» que

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» que nous devons au commerce étranger, » peuvent les permettre. Faites maintenant » comme vous jugerez à propos : c'est aux » localités à diriger vos spéculations »..

L'objection que plusieurs ports nuisent plutôt qu'ils ne favorisent le commerce de l'Inde, n'en est pas une. Outre qu'elle est mal placée dans la bouche de ceux qui prétendent, avec raison, que le commerce des grandes Indes est désavantageux au commerce, les commerçans sont les seuls juges de ce qui est favorable ou défavorable à leurs spéculations: c'est affaire de circonstances, et la meilleure loi à cet égard, est celle de gêner le moins possible.

D'ailleurs nous pouvons regarder comme certain que notre commerce des grandes Indes est dans l'enfance. On n'est point commerçant sous le régime des privilèges exclusifs. Les chaînes tombent : qui peut dire où la France portera le commerce des grandes Indes, si tous ses ports lui sont ouverts, si nous savons dès-à-présent entrer dans une grande carrière avec tous nos avantages naturels et acquis? Que ceux qui, parlent pour un entrepôt exclusif oublient qu'il y a une révolution, que la France est maintenant un état libre: ce n'est pas du moins à l'assemblée nationale à l'oublier.

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