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5o Actes d'union de différentes souverainetés qui se réunissent sous un même chef, ou pour ne former qu'un état.

Qu'on prenne tel ou tel de ces contrats, aussi long-temps qu'il résulte de leur observation un effet total avantageux à la communauté, il n'y faut faire aucun changement. Si, au contraire, il en résulte un effet désavantageux en total, la raison de l'observer cesse, et il y faut faire les changemens requis par les circonstances.

Il est vrai que, vu l'alarme et le danger qui résultent naturellement de la rupture d'un contrat où le souverain est partie, tout changement porterait l'appréhension publique au plus haut degré, si le plus fort des contractans obtenait, par là. quelque avantage aux dépens du faible, ou s'il n'y avait pas une parfaite compensation.

Le principe de la mutabilité des contrats est sans danger, pourvu qu'on n'en sépare point l'obligation de compenser. Mais on suppose ici, pour base de l'opération, la probité et non l'improbité, la véracité et non le mensonge: on suppose que le bien public est l'objet réel et non le prétexte; que la compensation est complète et non purement apparente ou nominale. Si vous faites une supposition contraire, si vous partez de l'idée que ceux qui gouvernent ne méritent aucune confiance, il ne leur sera pas moins facile d'éluder le contrat oụ

de le violer, que de donner une compensation inégale. S'ils ont le pouvoir d'être injustes et la volonté de l'être, ils ne seront pas retenus, par le contrat. Il ne fait point sûreté contre eux. La seule sûreté est dans la connaissance de l'union de leur intérêt avec l'intérêt commun.

Appliquez maintenant ce principe aux cas énoncés ci-dessus.

1° Les priviléges accordés par le souverain à tous ses sujets.

Si, dans le changement supposé, les nouveaux priviléges sont d'une valeur égale à ceux qui sont abrogés, il y a compensation. S'ils sont supérieurs, il y a une raison évidente en faveur de la mesure. Le contrat est changé, mais non violé.

2o Les priviléges accordés par le souverain à une portion de la communauté.

Si les priviléges en question sont utiles au petit nombre et nuisibles à la société en général, ils n'auraient jamais dû être accordés.

Cependant il ne faut point les révoquer sans une compensation aussi complète que possible aux parties intéressées. Leur bonheur fait partie du bonheur public, autant que celui de tout autre nombre égal d'individus. *

3o Nouvelle distribution de pouvoirs politiques

Théorie des récompenses, liv. 2, chap. 12.

entre les différentes branches qui composent le pouvoir souverain.

Si le changement doit produire une augmentation sensible et réelle dans le bonheur public, 'arrangement antérieur ne doit point opérer en qualité d'obstacle.

Ce n'est point ici un cas de compensation. Les membres de la souveraineté ne sont pas propriétaires du pouvoir politique; ils ne sont que des agen; fiduciaires ; ils ne le possèdent qu'en dépôt. Rien ne leur est dû quand on en change la distribution rien à titre de dette; mais, selon les cas, il peut être prudent, pour faciliter l'opération, de leur accorder une indemnité plus ou moins grande.

4° Actes d'union de souverainetés qui se réunissent sous un même chef.

Ce cas présente plus de difficultés que les pré

cédens.

Lorsque deux états (nous n'en supposons que deux pour ne pas trop compliquer la question) viennent à se réunir sous le même chef et la même législature, ils ne laissent pas de rester encore étrangers et indépendans à certains égards.

Quand on met en réunion une multitude d'hommes qui ont des habitudes diverses, il faut compter sur des jalousies, des défiances, des soupçons réciproques. Si l'inégalité est grande, l'état supé

rieur en force et en richesses voudra conserver une influence proportionnelle à ses avantages. L'état inférieur doit craindre naturellement qu'on ne lui fasse porter une trop grande partie du fardeau public, ou qu'on ne le tyrannise dans ses coutumes nationales, dans sa religion, dans ses lois civi les, etc.

Si vous ne faites aucun pacte, voilà la nation la plus faible exposée au danger de l'oppression, au mal de l'insécurité

Si vous faites une convention qui spécife des priviléges, qui limite les pouvoirs de l'état prédominant, tôt ou tard, par le changement des circonstances, ces clauses restrictives deviennent autant d'obstacles au bien public, et produisent des inconvéniens intolérables à l'une ou à l'autre des parties intéressées, ou à toutes les deux.

Heureusement, la durée même de l'union prépare un remède à ce mal. Les deux peuples, par l'habitude d'obéir au même chef et d'agir de concert, assimilent leurs sentimens et leurs intérêts. L'expérience a tout au moins affaibli leurs appréhensions réciproques, et les barrières de séparation ne paraissent plus autant nécessaires.

Si, au moment de l'union, il y avait, dans l'un ou l'autre des états contractans, des hommes ou des corps en possession de quelque privilége abusif, ils mettront tout en œuvre pour le faire recon

naître dans cet acte solennel et lui donner un ca

ractère de perpétuité.

Lorsque l'Union se fit entre l'Angleterre et l'Écosse, les Torys, partisans de l'épiscopat, ne manquèrent pas de saisir cette circonstance pour affermir le triomphe qu'ils avaient déjà obtenu sur les presbytériens anglais. *

Dans les traités entre nations, si l'une fait une concession à l'autre, il est d'usage, pour sauver le point d'honneur, de donner aux articles un air de réciprocité. L'objet serait-il, par exemple, de permettre en Angleterre l'importation des vins de France, on stipulerait que les vins des deux contrées peuvent réciproquement s'importer, en payant les mêmes droits.

Les auteurs de l'Union, après avoir très-justement stipulé la conservation de l'église presbytérienne en Écosse, pour rassurer les quarante-cinq membres Écossais contre les cinq cent treize Anglais, procédèrent avec un air de candeur à stipuler réciproquement la conservation de l'église anglicane, pour rassurer les cinq cent treize Anglais contre les quarante-cinq Écossais.

Quelle crainte pouvait-il exister pour l'église anglicane? Aucune de la part du monarque, très

*Par l'acte de l'uniformité passé sous le règne de Charles II.

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