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la part d'un politique, c'est imbécillité ou hypocrisie.

J'ai oublié le nom de ce magicien qui, par le simple attouchement de sa baguette, forçait les possédés de confesser la vérité, et de déclarer le nom du démon avec lequel ils avaient fait un pacte.

Que de curieuses découvertes produirait cette baguette entre les mains d'un membre d'une assemblée politique!*

* On ne peut pas douter qu'il n'entre beaucoup d'hypocrisie dans la terreur de l'innovation; c'est le cri de l'intérêt personnel quand il se sent en opposition avec l'intérêt public. Mais après les malheurs innombrables d'une révolution qui avait ouvert la plus belle carrière à l'espérance, on doit quelque indulgence à ceux qui se défient des promesses et qui ont associé les idées d'innovation et de danger. Je ne puis que les renvoyer à un autre ouvrage de M. Bentham, où il a exposé tous les calculs à faire avant d'innoverdans les lois, et tous les égards dus aux institutions existantes. S'il combat la peur de l'innovation, ce n'est qu'après avoir combattu les méprises et les égaremens des innovateurs. Voy. Traités de législation, tom. 3, pag. 345, etc.

SOPHISME DES LOIS IRREVOCABLES, OU SOPHISME DE CEUX QUI ENCHAINENT LA POSTÉRITÉ.

Sedet æternumque sedebit
Infelix Theseus.

VIRG.

I. Observations générales.

CE sophisme, considéré dans son influence sur le malheur des hommes, et dans le nombre de ceux dont il affecte le sort, s'élève infiniment dans l'échelle de l'importance, au-dessus de tous les autres. Il n'opère pas seul et par lui-même; il en réunit plusieurs, et agit avec une force composée. Ce que nous avons dit du culte idolâtrique des ancêtres s'applique à ce sujet. La doctrine de la perpétuité d'une loi est, en effet, ce même sophisme porté au plus haut degré de force imaginable.

Il a pénétré, plus ou moins, dans toutes nos législations; mais c'est parmi les peuples de l'Orient qu'il a établi son empire le plus absolu. Il les tient dans un asservissement dont on conçoit à peine comment ils pourront sortir.

Ce qui nous en reste en Europe n'est qu'une ombre, en comparaison; cependant, jusqu'à ce que cette ombre soit dissipée, elle servira de prétexte pour conserver des institutions nuisibles, et

repousser des améliorations nécessaires : elle embarrassera les esprits faibles, et fournira un moyen de plus à ceux qui veulent les tromper.

Quand on considère ce que la raison a fait dans nos diverses contrées et ce qui lui reste à faire, on en trouve une image dans ces êtres à demi éclos qui n'ont pas achevé leurs métamorphoses. La tête se montre déjà hors de la chrysalide; les ailes se dégagent du fourreau; mais on voit encore toute la charpente de la prison où ils ont été renfermés.

Ceux qui ont enchaîné la postérité par des lois irrévocables, ont-ils prévu les maux dont ils seraient les auteurs? Je ne le pense pas. On peut les justifier par une méprise d'intention. La même excuse ne s'applique pas à ceux qui, après l'expérience, veulent prolonger cette servitude.

Division du sujet.

Ce chef présente deux sortes de sophismes :
1° Sophisme des lois irrévocables.

2° Sophisme des vœux.

Tous deux doivent être considérés conjointement; leur objet est le même; la différence n'est que dans le moyen.

Les premiers fondent la perpétuité des lois sur l'idée d'un contrat. Les seconds appellent à leur aide un pouvoir surnaturel, qu'ils font intervenir comme garant de l'engagement.

Sophisme des lois irrévocables.

Une loi ( n'importe quelle loi) étant proposée à l'assemblée législative, et ayant pour but de corriger une institution vicieuse ou un abus quelconque, le sophisme consiste à la rejeter sous cette forme d'argument : « Je rejette cette loi, non » parce qu'elle est mauvaise, car je ne me permets » pas même de l'examiner; je la rejette parce » qu'elle est contraire à une loi que nos prédéces» seurs ont déclarée irrévocable. J'admets en principe que le législateur passé a eu le droit de lier >> les mains du législateur futur; que le législateur >> actuel doit se considérer comme entièrement » privé de son pouvoir, par rapport à cette branche » de législation; et que s'il osait l'exercer, l'acte > résultant ne serait point obligatoire pour les sujets » qui doivent, dans ce cas, adhérer à la volonté >> du souverain mort, en opposition à celle du sou>> verain vivant. »

Pour peu qu'on y pense, on comprendra bientôt que ce profond respect pour les morts, pour ceux à qui nous ne pouvons plus faire ni bien ni mal,. n'est qu'un vain prétexte quand on l'oppose au bien-être de la génération actuelle, et que ce prétexte couvre quelque autre dessein.

Envisageons d'abord la question sous le point de vue de l'utilité.

A chaque période donnée, le souverain actuel a tous les moyens de s'éclairer sur les circonstances et les besoins qui peuvent requérir telle ou telle loi.

Relativement à l'avenir, il s'en faut bien qu'il ait les mêmes moyens d'information. Ce n'est que par conjecture, par une vague analogie, qu'il peut former un jugement sur ce que les circonstances pourront exiger dans dix ou vingt ans; et qu'est-ce que ce jugement pour une époque plus. reculée ?

Or, pour tout cet avenir sur lequel la prévoyance à si peu de prise, voilà le gouvernement transféré de ceux qui auront tous les moyens possibles de bien juger, à ceux qui ont été dans l'incapacité d'y rien connaître !

Nous, les hommes du dix-neuvième siècle, au lieu de consulter nos propres intérêts, nous nous laisserons guider aveuglément par les hommes du dix-huitième.

Nous, qui avons la connaissance des faits et tous les moyens de former un jugement éclairé sur l'objet en question, nous nous soumettrons à la décision d'une classe d'hommes qui n'ont pu avoir aucune des connaissances relatives.

Nous, qui avons tout un siècle d'expérience de

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