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sommes, il y eut un grand nombre de déclarations de droits présentées en projet à l'assemblée nationale. Il n'en est aucune où l'on ne trouve des défauts semblables à ceux que nous avons relevés dans les deux déclarations constitutionnelles. Celle qui fit le plus de bruit, celle qui eut le plus de partisans hors de l'assemblée, surpassait toutes les autres en exagérations. Les erreurs qu'elle contient ne sont, il est vrai, que celles d'un individu; elles n'ont point reçu la sanction de l'assemblée : mais ce sont des opinions avancées par un homme d'un esprit distingué, par un homme qui eut beaucoup d'influence; et je ne crois pas inutile d'examiner ici trois ou quatre articles de cette composition, pour achever de donner une juste notion des principes anarchiques qui régnaient à cette époque.

EXAMEN

PARTIEL D'UNE DÉCLARATION DES DROITS, PROPOSÉE PAR UN MEMBRE DE L'ASSEMBLÉE CONSTITUante.

Dès le début, l'auteur se fonde sur des fictions et même sur des faussetés manifestes: il déclare qu'une chose est, parce qu'il veut qu'elle soit, et qu'il sait qu'elle n'est pas. Chaque société, dit-il, ne peut être que l'ouvrage libre d'une convention entre tous les associés.

Qu'une société politique puisse se former par une convention, c'est ce que je ne veux pas nier; mais qu'une société ne puisse exister que par une convention, c'est un fait évidemment faux. Qu'estce donc que tous les états du monde qui se sont formés de différentes manières, sans aucune trace de convention? N'existent-ils pas? ou ne plaît-il pas à l'auteur de les appeler des sociétés politiques? Déclare-t-il de son autorité privée tous ces gouvernemens nuls et illégitimes? Invite-t-il les peuples à se soulever contre eux? Proclame-t-il la sédition et l'anarchie? ce n'est pas son intention, mais c'est le sens de l'article.

Il est un signe certain auquel on peut reconnaître

un homme qui est tombé dans cette espèce de manie qu'on peut appeler l'idolâtrie de soi-même. Il prend quelques mots de la langue en faveur, il leur donne un sens particulier, il les emploie comme personne ne les a jamais employés, et il est déterminé à ne les prendre jamais dans leur sens vulgaire ce sera liberté, propriété, souverain, loi, gouvernement, nature, etc. Muni de ce mot comme d'une espèce de chiffre avec ses affidés, il fait des propositions qui dérangent toutes les idées reçues ; il donne une apparence de profondeur à des riens, il a toujours l'air d'un penseur capable que l'on n'entend pas; et il regarde en pitié ceux qui lui font des objections, parce qu'ils se servent des mots selon leur acception commune. Ce petit artifice est facile à démasquer, mais il réussit quelque temps. Le fait est que quand on vient à examiner ces propositions prétendues profondes, composées d'un terme pris dans un sens contraire à l'usage, on les trouve d'une telle nullité ou d'une telle fausseté, qu'on ose à peine soupçonner un homme d'esprit d'en être l'auteur. On lui cherche longtemps une idée fine pour ne pas lui attribuer une absurdité toute nue.

L'objet d'une société politique ne peut être que le plus grand bien de tous.

Ne peut pour ne doit. Toujours cette puérile substitution d'un terme impropre et ambigu, à

un terme propre également familier et clair. Il est vrai qu'on donne ainsi à une pensée triviale un air de mystère et de profondeur.

Chaque homme est le seul propriétaire de sa personne, et cette propriété est inalienable.

Quelle expression! comme si un homme et sa personne étaient deux choses distinctes, et qu'un homme pût tenir sa personne comme il tient sa montre, dans une de ses poches ! Mais laissons l'expression et passons au sens.

Être seul propriétaire de sà personne, c'est apparemment avoir la disposition exclusive de soimême, de ses facultés actives et passivės, spirituelles et corporelles : aucun homme n'est autorisé à se servir de ma personne, sans mon aveu, plus qu'il ne pourrait le faire de mes autres propriétés. Mais cette idée de propriété appliquée à la personne, est le renversement de toutes les lois. La loi ne peut donner aucun droit au mari sur la personne de sa femme, ni au père sur celle de ses enfans, ni à l'officier sur celle des soldats, ni au juge sur celle des malfaiteurs. Tout exercice d'autorité sur leur personne, sans leur consentement, est un acte de tyrannie.

:

Observez que cette propriété est déclarée inaliénable ceci abolit tous les contrats dans lesquels on aliène ses services, particulièrement le contrat du mariage et les engagemens militaires. Il ne peut

des trans

donc plus y avoir entre les individus que actions du moment, nul ne pouvant s'engager pour l'avenir : c'est-à-dire qu'il n'y aurait plus de société; car toute société est fondée sur les droits réciproques d'un individu sur d'autres.

Aliéner, dira-t-on, c'est disposer pour la vie. Les engagemens à temps sont permis. Le texte ne défend que les engagemens indissolubles.

Mais ce subterfuge ne mène pas loin: car puisque la durée du bail personnel n'est pas limitée, il s'ensuit que chacun aurait le droit de s'engager pour le terme le plus long de la vie humaine.

D'ailleurs, pourquoi, au moment où l'on déclare qu'un homme est propriétaire de sa personne, lui ôte-t-on le caractère le plus essentiel de la propriété, le droit d'en disposer, celui de l'aliéner si cette aliénation lui convient? Supposez un citoyen, à la façon de ces modernes législateurs, fait prisonnier par des peuples qui lui offriraient de racheter sa vie au prix de sa liberté : le citoyen leur dirait qu'il est le seul propriétaire de sa personne, que cette propriété est inaliénable, qu'il ne peut pas faire en conscience ce qu'on lui demande, qu'il est au désespoir, mais qu'il a reçu de son maître le droit de sacrifier sa personne, et non celui de l'aliéner.

Cet article ainsi rédigé, était évidemment destiné contre l'esclavage des nègres; mais l'auteur

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