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droits de l'homme a pris naissance. Le mot droit, dans la langue anglaise, se prend comme adjectif et comme substantif. Comme adjectif, il n'a qu'un sens moral; il signifie convenable, raisonnable, utile; comme si l'on disait : « il est droit que les lois soient faites pour le bien commun; il est droit que chacun ait la jouissance des fruits de son travail. »>

Comme substantif, ce mot a deux sens, un légal, un autre anti-légal. La loi me donne le droit de disposer de mes biens: voilà le sens légal et le sens unique qu'on devrait lui donner. Mais quand on dit: la loi ne peut pas aller contre le droit naturel, on emploie le mot droit dans un sens supérieur à la loi; on reconnaît un droit qui attaque la loi, qui la renverse, qui l'annule. Dans ce sens, ce mot est l'arme la plus dangereuse de l'anarchie.

Le droit réel est la créature de la loi : les lois réelles donnent naissance aux droits réels; et cette espèce de droit est l'ami de la paix, le protecteur de tous, l'unique sauvegarde du genre humain.

Le droit, dans l'autre sens, est la créature chimérique d'une loi imaginaire, une prétendue loi de la nature, une métaphore usitée par les poëtes, par les rhéteurs et par les charlatans de législation.

Comme ils ont vu que le droit réel était respecté, ils ont imaginé de se servir de ce nom qui en impose pour consacrer toutes leurs fantaisies. Le mot

droit est devenu entre leurs mains une espèce de talisman. Ils ont supposé une loi naturelle dont ils savaient le code par cœur, quoiqu'il fût ignoré de tout autre qu'eux ; et ces prétendus interprètes de la loi naturelle faisaient comme Antoine, qui avait supposé un testament de César, et qui, chaque jour, faisait trouver dans ce testament toutes ses volontés particulières.

Il n'y a que des hommes exercés à suivre la marche de l'esprit humain qui comprennent bien la transition du sens primitif et légal de ce mot droit à son sens métaphorique et illégal.

Pourquoi veut-on des droits naturels? afin de donner à ses opinions une force plus persuasive, afin de rendre odieux ceux qui les combattent. Quoi! vous rejetez une conséquence qui dérive d'un droit naturel! vous êtes donc un violateur de la nature, un ennemi du genre humain. Ces droits sont écrits dans le cœur de chaque homme s'ils sont dans le vôtre, en les niant, vous parlez contre votre conscience, vous vous mentez à vous-même. S'ils n'y sont pas, vous n'êtes pas un homme, vous êtes un monstre sous la forme humaine.

Pourquoi ce zèle à proclamer ces droits comme certains, comme imprescriptibles, comme inaliénables? C'est qu'on ne les a trouvés nulle part, dans aucune législation, pas même dans la plus petite république. Moins ils sont en existence, plus on

fait de bruit pour persuader qu'ils ont toujours existé une doctrine d'hier est présentée comme une doctrine qui a précédé la société même. C'est l'artillerie des ecclésiastiques dont les laïques se sont emparés. Plus ils craignent d'obstacles, plus ils ont recours à la contrainte; moins ils espèrent de prouver leurs opinions, plus ils s'efforcent de les convertir en articles de foi. Telle est la faiblesse humaine. L'opposition fait naître un sentiment pénible. On se prend à tout ce qu'on peut pour la subjuguer.

La plupart des hommes sont si peu accoutumés à la justesse des expressions, qu'ils concevront à peine l'importance qu'on attache à rectifier celle-ci. Ils connaissent trop peu la force du poison pour sentir la nécessité de cet antidote. Mais beaucoup d'autres, séduits par des mots sonores, enchantés de cette idée de lois naturelles, de droits naturels, ne pourront jamais rompre cette association factice entre ces deux termes, d'autant plus qu'elle se retrouve sans cesse dans le langage ordinaire et qu'elle flatte à la fois la paresse et le despotisme de l'esprit humain.

Le langage de la simple raison, de la pure vérité, est difficile à apprendre : le langage des passions est par lui-même séduisant et facile. Le premier exige une attention sévère sur soi-même, une résistance soutenue au courant de l'imitation

qui entraîne. Le second ne demande que de s'abandonner à cette pente, et de parler comme tout le monde.

Mais que le succès de cet antidote soit plus ou moins prompt, c'est toujours rendre un service au public que de fournir un signalement particulier auquel on peut reconnaître le langage de l'anarchiste.

Qu'il soit enthousiaste ou fourbe, il parle de droits naturels et imprescriptibles; il reconnaît des droits qui ne sont pas reconnus du gouvernement.

Il parle de droits antérieurs aux lois, indépendans des lois, supérieurs aux lois.

Au lieu de dire, la loi doit ou ne doit pas, il dit la loi peut ou ne peut pas.

Au lieu de dire, il convient par telles raisons d'établir tel ou tel droit, il affirme que tel droit existe, qu'il a toujours existé, et que tout ce qu'on a fait de contraire à ce droit, doit être regardé comme nul et non avenu. Il substitue toujours le langage de la fiction à celui des faits, et l'affirmation au raisonnement.

AUTRE DÉCLARATION

DES DROITS ET DES DEVOIRS DE L'HOMME ET DU CITOYEN,

Faite par la convention nationale en 1795.

«La déciaration des droits de l'homme, avait dit Mirabeau, ne sera que l'almanach d'une année. » Cette prophétie ne tarda pas à se vérifier. Après que la convention nationale eut renversé le trône et déclaré la république une et indivisible, elle voulut faire une nouvelle déclaration des droits. On pourrait croire que la première assemblée, encore gênée par des idées monarchiques, avait laissé dans sa déclaration des signes de faiblesse et de timidité qu'il appartenait à leurs successeurs de faire disparaître; on se tromperait. Cette seconde déclaration, faite dans une assemblée démocratique, sans roi, sans noblesse, sans clergé, n'eut, ce semble, pour objet que de pallier et de tempérer la première. On avait senti le danger de ce manifeste contre toute espèce de gouvernement; mais on ne voulut pas avouer une erreur professée avec tant d'orgueil on se flatta de tromper le peuple en conservant le même titre à un ouvrage

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