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générale contre l'innovation dans un pays où il fallait tout créer. Point de culte idolâtrique pour les ancêtres dans des colonies où les individus rassemblés de toutes les parties du monde, n'avaient pas d'ancêtres communs. Point de superstitions générales fondées sur les traditions des temps d'ignorance. Point de préjugés d'autorité dans des états où il n'y a pas de succession de personnages puissans d'une réputation imposante. On pourrait prolonger encore cette liste négative de causes d'erreur qui n'existent pas dans le congrès des États-Unis. Mais il en est sans doute d'autres qui leur sont particulières, tenant à leurs diverses constitutions, à leurs diverses religions, à des préventions nationales, à des oppositions d'intérêt, ou à des exagérations républicaines. Il ne faudrait rien moins qu'une profonde étude de tout ce qui concerne ce faisceau de républiques, pour être en état de juger quels sophismes doivent prédominer dans cette assemblée.

CHAPITRE VI.

DES RÔLES DIVERS PAR RAPPORT AUX SOPHISMES.

TERMINONS cet ouvrage par quelques observations sur le caractère de ceux qui se servent de ces argumens sophistiques. Cherchons à distinguer les cas où il ne faut accuser que l'intelligence, et ceux où on peut présumer un défaut de sincérité.

Une comparaison se présente d'elle-même entre les faux argumens et la fausse monnaie. Le fabrieateur, le distributeur, l'accepteur, voilà les trois rôles nécessaires pour mettre un mauvais écu en circulation.

Chacun d'eux peut concourir au même acte sans avoir la même intention et le même degré de connaissance: 1° Mauvaise foi, 2° témérité, 3° erreur sans blâme; voilà les divers états où peut se trouver leur esprit par rapport à l'acte.

Le soupçon de mauvaise foi tombera plus naturellement sur le fabricateur que sur le simple distributeur. Qu'il s'agisse en effet d'un faux écu ou d'un faux argument, on ne peut faire ni l'un ni l'autre sans se donner quelque peine, et on ne prend cette peine qu'avec l'intention d'en tirer quelque profit. Dans le cas du faux écu, il est

certain que le fabricateur sait qu'il est faux : dans le cas du faux argument, la certitude n'est point la même ; il y a des esprits fins et subtils qui se prennent dans leurs propres filets et que l'amourpropre rend ensuite aveugles. Cependant la mauvaise foi est plus probable du côté de celui qui fabrique le sophisme que de la part de ceux qui ne font que le recevoir et le répandre.

Plus l'intérêt séducteur est manifeste, plus on peut présumer la mauvaise foi : mais ce n'est encore qu'une présomption; car il est possible que celui qui cède à son influence ne l'aperçoive pas. Sans un certain degré d'attention, un homme ne découvre pas mieux ce qui se passe dans son esprit que dans l'esprit des autres. Vous pouvez avoir en main un livre ouvert et fixer les yeux sur la page, sans rien apercevoir du contenu, si votre attention n'y est pas dirigée.

La présomption de mauvaise foi est au plus haut degré de force lorsque la question étant clairement posée, l'antagoniste s'obstine à l'éluder. Toute réponse évasive et non-pertinente est un silence relatif, et ce silence est équivalent à un aveu. C'est une présomption par laquelle on se guide dans un tribunal de justice, et cette règle peut s'appliquer aux plus hauts départemens de la législature.

De toutes les manières d'éluder, la plus décisive

pour la mauvaise foi est celle qui consiste à représenter l'argument de son antagoniste sous un point de vue faux, à lui faire dire ce qu'il n'a pas dit, et à feindre de lui répondre. en travestissant son opinion.

La mauvaise foi est moins présumable dans les cas où l'intérêt séducteur agit concurremment avec les préjugés établis, les coutumes reçues, et l'autorité des ancêtres. Plus une opinion a de cours, plus il est probable que ceux qui la professent sont sincères; car il n'y a point d'opinion si absurde, qu'on ne fasse aisément adopter, pourvu qu'on persuade qu'elle est généralement admise. Le principe d'imitation opère sur la croyance comme sur la conduite.

Le troisième rôle, celui de l'accepteur, est aussi équivoque que les deux premiers.

L'acceptation peut être un acte interne ou externe. L'opinion fausse est-elle reçue comme vraie? on peut dire que l'acceptation est interne. Cet assentiment est-il rendu manifeste aux yeux d'autrui par geste ou par discours? l'acceptation devient

externe.

Ces deux actes vont naturellement ensemble, mais ils peuvent être séparés. Sensible à la force d'un argument, je puis me comporter comme si je ne l'avais pas sentie ; et sans en avoir reçu aucune impression, je puis feindre de l'avoir reçue.

Il est clair que l'acceptation interne ne saurait être accompagnée de mauvaise foi mais l'acceptation externe peut l'être, et l'est dans tous les cas où elle n'est pas précédée de l'acceptation interne, c'est-à-dire de la persuasion.

Mauvaise foi, ou témérité, ou faiblesse d'esprit, c'est l'une ou l'autre de ces imperfections qu'il faut attribuer nécessairement à ceux qui avancent ou qui adoptent des sophismes.

Jusque-là ces distinctions sont claires et palpables. Mais en y regardant de plus près, on trouve un état mitoyen entre la mauvaise foi et la témérité, un état qui participe de l'un et de l'autre.

C'est ce qui peut avoir lieu dans tous les cas où la force de l'argument admet différens degrés de persuasion. Je ne trouve dans mon opinion qu'un certain degré de probabilité; je m'énonce comme si j'y trouvais la certitude. La persuasion que je déclare n'est pas absolument fausse, mais elle est exagérée, et cette exagération est fausseté.

Plus on s'accoutume à employer un faux argument, plus on est sujet à passer de l'état de mauvaise foi à celui d'imbécillité, je veux dire d'imbécillité relative au sujet. On a dit du jeu, qu'on commence par être dupe, et qu'on finit par être fripon. Mais, en ceci, on commence par un certain degré de fourberie, et l'on finit par s'en imposer à soi-même.

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