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Ce jugement, plus ou moins vrai, se fait comme par instinct; et il est fondé sur ce plan d'attaque personnelle, souvent incompatible avec la bonne foi.

Y a-t-il quelque raison particulière en Angleterre qui nécessite l'existence d'un parti et d'une coopération de ce parti, non contre telle ou telle mesure, mais contre l'administration en général? c'est une question très-curieuse qui ne pourrait se résoudre qu'en examinant si l'influence royale est portée trop loin, si le parlement n'est pas trop indépendant de la volonté nationale. Quand on en conclurait à la nécessité d'un parti, le résultat n'en serait pas que ce fût là le meilleur régime politique, mais que c'est un remède nécessaire dans l'état actuel des choses. Les observations qu'on a présentées dans ce chapitre n'en seraient pas moins fondées; elles tendraient même à donner à ce parti une direction plus juste et plus avantageuse.

Quand on adopte, en système, le plan de guerre personnelle, on dirige ses attaques non vers ce qui est le plus pernicieux, mais ce qui est le plus impopulaire.

On laisse en repos les grands abus, les mauvaises lois, les institutions défectueuses, parce qu'il y a peu de popularité à espérer, de ce genre d'attaque: mais on se jette sur des accidens malheureux, sur de petites transgressions, sur des fautes d'impru

dence ou d'ignorance, sur ce qui peut exciter l'antipathie contre des individus.

Un parti est, sous un point de vue, un gardien très-vigilant et très-actif; mais si son principal objet est de succéder au pouvoir, il ne voudra pas diminuer la valeur de la succession. Il aura un intérêt dans le patrimoine des abus, et les regardera d'avance comme le fruit de la victoire.

QUATRIÈME PARTIE.

DÉDUCTIONS GÉNÉRALES.

Causes des sophismes.

Nous avons à chaque sophisme indiqué la source dont il dérive, c'est-à-dire l'espèce de besoin qui occasione la demande, la cause qui détermine les uns à l'employer, les autres à le recevoir. Passons maintenant à la recherche des causes générales qui font recourir à ces moyens trompeurs de persuasion, et qui leur donnent de l'ascendant. On peut les ranger sous quatre chefs.

1° Un intérêt séducteur reconnu pour tel par celui qui s'y abandonne.

2o Des préjugés fondés sur un intérêt qui agit à l'insu de celui qu'il gouverne.

3o Des préjugés fondés sur l'autorité.

4° La défense de soi-même ou l'utilité supposée du sophisme.

CHAPITRE PREMIER.

Première cause des sophismes.

INTÉRÊT SÉDUCTEUR RECONNU POUR TEL PAR CELUI QUI S'Y LIVRE.

Un homme public est continuellement soumis à l'influence de deux intérêts distincts, l'intérêt général et l'intérêt privé.

L'intérêt général est constitué par sa participation au bonheur de la communauté entière : l'intérêt privé, par la part qu'il a dans les avantages d'une fraction de la communauté. Cet intérêt privé peut aller en se resserrant jusqu'à n'être que son intérêt personnel.

Or, dans un grand nombre de cas, ces deux intérêts ne sont pas seulement distincts, ils sont entièrement opposés; au point que le même individu ne peut s'attacher à la poursuite de l'un qu'en faisant le sacrifice de l'autre.

Prenez pour exemple l'intérêt pécuniaire. L'homme public qui a entre ses mains la disposition du revenu de l'état, trouverait son intérêt personnel à augmenter, autant que possible, le produit des impôts, et à le tourner à son avantage :

l'intérêt général, au contraire, y compris le sien autant qu'il est uni à celui de la communauté demande que les impôts soient réduits à leur moindre terme, et que leur administrateur n'en puisse pas détourner la plus faible partie à son avantage personnel.

Prenez pour autre exemple le pouvoir. L'homme public, en tant que prince, ministre ou magistrat, trouverait son intérêt privé et personnel, à l'extension de sa puissance, aux dépens de la liberté publique, jusqu'au point où toute résistance à son autorité serait impossible. L'intérêt général, au contraire, y compris celui des gouvernans euxmêmes, en tant qu'il est uni à celui de la communauté, est de limiter le pouvoir le plus qu'il est possible, sans nuire à son efficacité pour faire le bien, c'est-à-dire de réduire à son moindre terme le sacrifice de la liberté individuelle.

A considérer, non un certain moment de la vie d'un individu, mais sa totalité, on peut affirmer qu'il n'est point d'homme qui, autant que la chose dépend de lui, ne sacrifie la part qu'il a dans l'intérêt général à son intérêt privé ou personnel. Tout ce que peut l'homme vertueux, l'homme attaché sincèrement au bien public, c'est de s'arranger de manière que son intérêt personnel soit d'accord avec l'intérêt général, ou du moins aussi peu contraire que possible.

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