Page images
PDF
EPUB

gnent rien ni sur leur nature ni sur leur gravité. Les trahisons, les félonies avec clergie, les præmunire, les misdemeanours, - - qu'apprennent ces noms? Celui de trahison donne une faible lueur sur la nature de l'offense mais les félonies et les præmunire sont des énigmes, ou si ces termes contiennent une indication, c'est plutôt celle d'une certaine peine que d'un certain délit. Pour les misdemeanours, c'est une classe miscellanée qui comprend tous les délits non compris dans les trois autres. Quel arrangement!

Si vous demandez ce qui a pu produire une classification si obscure, si peu instructive et même si trompeuse, je répondrai qu'il faut distinguer deux causes différentes, assigner l'une à sa création, et l'autre à sa conservation. Son origine remonte à des siècles d'ignorance où l'esprit humain n'était pas capable de faire mieux. Les trahisons, les félonies sont des importations normandes et féodales, couvertes de la rouille de ces temps barbares. La religion chrétienne, convertie en instrument de pouvoir dans la main de ses ministres, a fait naître la distinction des délits avec clergie et sans clergie; et sous le règne d'Édouard III, d'autres abus, d'autres usurpations de la cour de Rome ont enfanté les præmunire.*

Dans les âges suivans, les hommes de loi ayant *Voyez Théorie des Peines, liv. V, chap. 3.

trouvé ce système établi, n'ont point eu de raison pour s'en départir: au contraire, plus il est obscur, plus il les favorise ; plus il laisse de latitude aux tribunaux, plus il rend difficile de juger de la convenance ou de l'inconvenance des lois pénales. Sous ces dénominations générales, en particulier sous celle de félonie, on entasse tout ce qu'on veut, les actes les plus discordans, des délits graves et des délits mineurs, même des délits de mal imaginaire. C'est un dédale où les législateurs eux-mêmes. n'osent pas pénétrer, et dont toutes les routes aboutissent au pouvoir arbitraire des juges.

C'est dans le même esprit qu'ont procédé les rédacteurs des nouveaux codes, avec leurs divisions de fautes, de contraventions, de délits, de crimes, qui forment autant de classes ascendantes dans une échelle de sévérité; dénominations vagues et arbitraires qui ne caractérisent point la nature des délits, qui n'indiquent point la qualité et la quantité du mal, et par conséquent ne mettent point en évidence la raison de la peine.

Cet exemple, pris dans la fausse nomenclature de ces législateurs, est le plus frappant que je puisse trouver pour éclaircir cette espèce de sophisme qui consiste à passer d'un genre à un autre.

Ranger les délits sous leurs véritables classes, c'est indiquer, par cela même, la propriété nuisible qui les constitue comme délits et qui les rend

punissables. Les ranger sous des genres fictifs ou sous des genres si vagues, qu'ils peuvent embrasser toutes sortes d'actes qui n'ont rien de commun entre eux, c'est favoriser le despotisme ou donner aux lois l'apparence du despotisme, parce qu'on ne voit plus leur raison. Le mal fait à des individus par tel ou tel acte, le mal fait à soi-même par tel ou tel acte, le mal fait à une classe particulière de la communauté par tel ou tel acte, le mal fait à la communauté entière par tel ou tel acte, ce sont là des idées claires; et ce mal est une qualité visible et manifeste qu'il n'est pas au pouvoir de la tyrannie elle-même de communiquer à un acte innocent.

Voici donc en quoi consiste l'artifice que je voudrais mettre dans tout son jour. Lorsqu'il n'entre pas dans les vues du pouvoir suprême de donner aux objets (par exemple, aux délits) leur vrai nom, leur nom propre et particulier, que fait-on ? On a recours à un nom plus général, plus vague, qui favorise l'erreur ou la méprise que le nom propre bien choisi aurait prévenue; car, quoiqu'en changeant les noms, on ne change pas la nature des choses, on produit une espèce d'illusion; et tel exercice de pouvoir qui, désigné par son vrai nom, eût été exposé au blâme général, a du moins une chance d'échapper à ce blâme à la faveur d'un terme qui en déguise la nature.

CHAPITRE XII.

SOPHISME QUI PROTÉGE LES PRÉVARICATEURS

OFFICIELS.

Qui méprise Cotin n'estime point son roi;
Et n'a, selon Cotin, ni Dieu, ni foi, ni ļoi,

BOILEAU,

Nous attaquer, c'est attaquer le gouvernement.

CE sophisme consiste à considéfer toute censure des hommes en place, toute dénonciation des abus, comme étant dirigée contre le gouvernement lui-même, comme ayant pour effet nécessaire de l'avilir et de l'affaiblir.

Cette maxime est de la plus grande importance. Ceux qui la soutiennent savent bien ce qu'ils font. Si elle est une fois établie, tous les abus le seront aussi. Ceux qui en jouissent n'auront plus à craindre d'être troublés dans leurs jouissances. L'impunité sera pour celui qui fait le mal, et la peine pour celui qui le révèle.

Les imperfections d'un gouvernement peuvent se réduire à deux chefs: 1°la conduite de ses agens; 2ola nature du système lui-même, c'est-à-dire, des institutions et des lois.

Or, qu'on inculpe le système en général ou la conduite de ses agens, ces inculpations ne peuvent que les déprécier plus ou moins, selon leur gravité, dans l'estime publique. Voilà ce qu'on ne peut nier. Mais que s'ensuit-il? Des conséquences nuisibles pour le gouvernement, ou des conséquences avantageuses? Telle est la question à

examiner.

J'observe d'abord qu'il est bien injuste de confondre une attaque contre ceux qui gouvernent ou contre des institutions abusives, avec une inimitié contre le gouvernement. C'est plutôt la preuve d'une disposition contraire : c'est parce qu'on aime le gouvernement qu'on désire de le voir dans des mains plus habiles et plus pures, et qu'on souhaite de perfectionner le système de l'administration.

[ocr errors]

Une censure, dit Rousseau, n'est point une > conspiration. Critiquer ou blâmer quelques lois, » n'est pas renverser toutes les lois. Autant vaudrait > accuser quelqu'un d'assassiner les malades, lorsqu'il montre les fautes des médecins. Lettres de la Montagne, 6'.

Si je me plains de la conduite d'un individu dans le caractère de tuteur, ayant la charge d'un mineur ou d'un insensé, pourrait-on en conclure que je veux attaquer l'institution de la tutelle? Entrerait-il dans l'esprit de personne que telle fût ma secrète pensée? Et si je montre les imperfections

« PreviousContinue »