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masse de débats était un travail tout nouveau. Mais pour ces sophismes anarchiques, ils ont reçu une existence authentique, une forme permanente; ils ont été proclamés; ils servent de préambule à un code constitutionnel. Les autres sophismes ne sont que des erreurs individuelles ; les sophismes anarchiques ont reçu la sanction d'une assemblée de législateurs.

PREMIÈRE PARTIE.

DES SOPHISMES DE PRÉJUGÉ OU D'AUTORITÉ.

CEUX qui, dans une assemblée politique, ont un grand intérêt à ne pas souffrir l'examen d'une question, s'efforcent de mettre le préjugé seul à la place du raisonnement. Or, le préjugé, en matière d'opinion, se réduit toujours à l'autorité du jugement d'autrui, qu'on veut représenter comme étant décisive sur le point controversé, sans aucun appel ultérieur à la raison.

Il faut donc commencer par analyser l'autorité même, en distinguant les cas où elle est une base légitime de décision, et ceux où elle ne l'est pas. Par rapport à ceux-ci, nous verrons que phisme revêt les formes suivantes :

le so

1° L'autorité fondée sur l'opinion positive de nos ancêtres. «Voilà ce qu'ils ont fait. Nous devons >> faire comme eux. »

2° L'autorité fondée sur l'opinion négative de nos ancêtres. «Ils n'ont pas fait ce qu'on nous pro»pose; nous ne devons pas le faire. »

3° L'autorité renforcée par l'objection générale tirée du danger des innovations.

4° L'autorité portée à son plus haut terme par des lois déclarées irrévocables, c'est-à-dire par des lois qui enchaînent la postérité.

5° L'autorité qu'on veut donner à la généralité, en considérant le nombre de ceux qui entretiennent une opinion comme une marque de sa vérité.

6° L'autorité qu'un individu veut donner à son opinion personnelle.

SOPHISME DE L'AUTORITÉ.

Unusquisque mavult credere quam judicare.
SEN.

I. Vue analytique.

J'ENTENDS ici par autorité l'opinion de tel ou tels individus qu'on présente comme suffisant par ellemême, indépendamment de toute preuve, pour servir de base à une décision.

Il est des cas où il est nécessaire de s'en référer à l'autorité : ce sont ceux où on ne saurait obtenir des argumens directs pour ou contre une mesure. Hors de ces cas nécessaires, l'emploi de l'autorité ne peut qu'être rangé parmi les moyens trompeurs de persuasion.

L'autorité ayant une influence tantôt légitime et tantôt illégitime, il nous importe d'examiner les circonstances qui constituent la valeur d'une opinion, c'est-à-dire l'opinion de la personne ou des personnes dont l'autorité est alléguée.

La valeur d'une opinion s'estime d'après les considérations suivantes :

1° Le degré d'intelligence de la personne en question; 2° son degré de probité; 3° la conformité des deux cas, c'est-à-dire celui dont il s'agit

et celui où l'opinion alléguée a été rendue; 4° la fidélité des intermédiaires qui l'ont transmise; fidélité qui consiste dans un rapport exact et complet de cette opinion.

Telles sont les circonstances dont dépend la force légitime de l'autorité : telles sont les sources où l'on puise les raisons pour ou contre.

L'intelligence paraîtra en défaut, — s'il y a eu 1° insuffisance par rapport aux motifs d'attention; 2° insuffisance par rapport aux moyens d'information; -si, à raison de la distance des temps ou des lieux, la personne que l'on cite comme autorité n'a pu acquérir une instruction complète, relative à la chose,

etc.

La probité paraîtra en défaut ou même elle sera suspecte si la personne était soumise à l'influence de quelque intérêt séducteur: car alors on peut présumer que son opinion déclarée n'était pas conforme à son opinion réelle, ou que cette opinion s'était formée, non d'après la raison, mais d'après l'intérêt en effet dès qu'il y a un intérêt séducteur qui opère, l'intelligence n'agit plus impartialement; elle ne considère plus les deux côtés de la question avec la même attention; elle rejette les faits et les argumens qui l'inquiètent, et ne s'attache qu'à ceux qui s'accordent avec son inclination. C'est dans ce sens qu'on a très-bien dit « que l'esprit est la dupe du cœur. »

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