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daction. Je n'aurais pas besoin d'apologie à cet égard auprès de ceux qui auraient vu les originaux qui ont servi à mon travail; je n'en aurai pas même besoin auprès de ceux qui ont lu les ouvrages que l'auteur a publiés. Ils ont la preuve toute acquise que, pour les rendre accessibles à un grand nombre de lecteurs, il fallait leur donner des formes moins austères, moins didactiques et les traduire dans un langage plus familier que le sien. Admirable dans l'analyse, admirable dans la justesse et la précision des idées, tout ce qui sort de ses mains porte le caractère d'un génie créateur. S'il attribue aux lecteurs plus de force, plus de persévérance qu'ils n'en ont dans la poursuite des vérités abstraites, s'il leur fournit plus de pensées qu'une attention commune n'en peut digérer, et dans une forme peu attrayante, parce qu'elle est toujours démonstrative, c'est un objet de regret sans doute; mais il n'appartient qu'à un esprit supérieur de tomber dans ce défaut, et on l'explique facilement de la part d'un penseur qui s'est voué depuis long-temps à une solitude laborieuse.

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LE Sophisme est un argument faux revêtu d'une forme plus ou moins captieuse. Il y entre toujours quelque idée de subtilité, quoiqu'il n'implique pas nécessairement celle de mauvaise foi. On peut l'employer en se trompant soi-même, comme on peut débiter de la fausse monnaie que l'on croit bonne.

Entre erreur et sophisme, il y a une différence facile à saisir. Erreur désigne simplement une opinion fausse; Sophisme désigne aussi une opinion. fausse, mais dont on fait un moyen pour un but. Le sophisme est mis en œuvre pour influer sur la persuasion d'autrui et pour en tirer quelque résul

tat. Ainsi, l'erreur est l'état d'une personne qui entretient une opinion fausse; le sophisme est un instrument d'erreur.

Parler du bon vieux temps, croire que les anciens, comme anciens, étaient plus sages, plus habiles que les hommes d'aujourd'hui, ce sera, par exemple, une erreur vulgaire. Se prévaloir de ce préjugé, s'en servir pour combattre des innovations utiles ou pour défendre des institutions vicieuses, ce sera un sophisme.

Chaque sophisme a son caractère particulier, mais ils ont tous un caractèré commun, celui d'être étrangers à la question. - La question, dans une Assemblée politique, doit toujours être celleci: la mesure proposée est-elle bonne ou mauvaise? Il s'agit de calculer ses effets, de comparer les biens et les maux qu'elle peut produire : autant de biens, autant d'argumens en sa faveur ; autant de maux, autant d'argumens contre elle. Le sophisme allègue pour ou contre une loi toute autre chose que la considération de ses effets; il tend à détourner l'esprit de ce point de vue, à lui en substituer quelque autre, et à juger la question sans égard à son mérite intrinsèque.

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Pour bien faire comprendre ceci, je donnerai

Voyez Traité de législation, tom. I, pag. 108. Des fausses manières de raisonner en matière de loi.

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un exemple tiré du barreau. Dans une cour de justice où la question serait l'innocence ou le crime d'un accusé, le sophiste, au lieu d'examiner les preuves du fait, se jetterait sur l'ancienneté de la famille de l'individu, sur les services de ses ancêtres, sur la gloire dont ils se sont couverts, sur la fortune qu'il possède et l'usage qu'il en a fait, sur la faveur de l'opinion publique, sur les recommandations du prince, sur les erreurs des tribunaux, sur l'incertitude des preuves en général ; et il composerait un plaidoyer tiré de considérations dont aucune ne se rapporterait directement au fait dont il s'agit.

D'après ce caractère, commun à tous les sophismes, on peut anticiper les conclusions suivantes, qui seront justifiées par l'examen de chacun d'eux en particulier.

1o Les sophismes fournissent une présomption légitime contre ceux qui s'en servent. Ce n'est qu'au défaut de bons argumens qu'on peut avoir recours à ceux-là.

2° Par rapport à de bonnes mesures, ils sont inutiles; du moins, ils ne peuvent pas être nécessaires.

3 Non seulement on peut les appliquer à mauvaise fin, mais c'est leur destination la plus

commune.

Ils entraînent toujours une perte de temps

et un affaiblissement d'attention pour les objets que l'on discute.

5° Ils supposent, de la part de ceux qui les emploient ou qui les adoptent, un défaut de sincérité ou un défaut d'intelligence.

6° Plus ils sont suspects de mauvaise foi, plus ils ont, si je puis m'exprimer ainsi, une propriété irritante. Ils prennent souvent un caractère de mépris et d'insulte, et tendent à produire des débats pleins d'aigreur.

Le mal des sophismes peut se diviser en deux branches, mal spécifique, mal général.

Par le mal spécifique, j'entends l'effet immédiat de tel sophisme contre une bonne mesure ou en faveur d'une mauvaise.

Par le mal général, j'entends'cette dépravation morale ou intellectuelle que produit l'habitude de raisonner sur de faux principes, ou de se jouer de la vérité même, en pervertissant la plus noble faculté de l'homme.

S'agit-il de délibérations qui aient de la publicité, le mal du sophisme ne se borne pas à son opération sur l'assemblée : il en résulte de plus un mal externe, celui qui se répand dans le public, selon le degré d'influence que le sophisme exerce.

Le résultat s'offre de lui-même. A proportion de ce qu'on fait pour détruire ou affaiblir ces moyens d'erreur, on donne à l'intelligence publique un plus

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