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principe démocratique, comme on lie un effet à sa cause nécessaire, le divorce est plutôt une concession faite aux classes élevées et perverties par les abus du bien-être, qu'aux populations laborieuses, qui n'ont pas le temps de connaître les raffinements de l'ennui, et qui se renferment dans la vie de la famille. Sous ce rapport, on peut dire que le divorce est une institution au profit de quelques-uns et sans intérêt pour le plus grand nombre; et dès lors il manque, au moins dans l'état présent de notre société, du caractère démocratique qu'on lui attribue trop facilement.

Et pourtant, quelque temps après la chute de la monarchie de 1789, les hommes de la révolution crurent que leurs principes leur faisaient un devoir de réclamer l'établissement du divorce; et la loi du 22 septembre 1792, se plaçant dans le summum jus de la liberté, donna au divorce une extension et une licence qui, sur-le-champ, soulevèrent la répulsion nonseulement des esprits religieux, mais encore des hommes amis des mœurs. Mais, à cette époque, la famille commençait à perdre de son respect. On hasardait, au nom de la liberté individuelle, des doctrines irréfléchies, inquiétantes ou subversives. La religion disparaissait sous le coup d'une réaction ennemie, et la saine morale philosophique n'était pas toujours là pour la remplacer. Le divorce, prodigué par le législateur, sans mesure et sans frein, produisit des maux incalculables. Dix ans après, Treilhard en convenait, proclamant hautement que la loi de 1792 était mauvaise (1); et, en effet, elle était tombée dans le mépris des gens honnêtes, et elle avait rendu le divorce impopulaire et odieux. Le Code civil a cherché à en corriger les abus : il a posé des barrières au divorce. Se mettant au niveau des mœurs françaises, pour lesquelles le divorce est antipathique, il l'a traité comme un mal qui, dans sa pensée, ne doit que rarement dissoudre la plus sainte des

(1) Discours au Tribunat (Fenet, i. IX, p. 562 ).

unions. Cependant, il l'admet en principe et il en règle la procédure, espérant que le mariage, qui a toutes ses prédilections, restera inébranlable dans sa base, qui est aussi la base de la société. C'est ainsi que Milton fit un livre pour le divorce, lui qui a chanté en vers sublimes l'amour conjugal : « Salut, amour conjugal, mystérieuse loi, véritable source de l'humaine postérité (1)! »

(La suite prochainement.

(1) Paradis perdu, liv. IV. Voyez de Chateaubriand, Essai sur la littérature anglaise, t. II, p. 26.

DISCOURS

PRONONCÉ

A LA SÉANCE PUBLIQUE ANNUELLE

PAR M. CHARLES DUPIN,

PRÉSIDENT De l'académie.

Messieurs,

Après la première et grande révolution qui fit disparaître jusqu'aux derniers vestiges d'un ancien ordre politique enraciné depuis des siècles, lorsqu'on eut abattu tout ce qui prédominait parmi les personnes et parmi les fortunes, lorsqu'un peuple entier n'offrit plus, comme une plaine du désert, qu'une immensité de grains de sable nivelés, on regretta la grandeur de quelques établissements intellectuels dont les travaux, continués de génération en génération, étaient pour la patrie une illustration toujours croissante. On résolut d'ériger un Institut des sciences, des lettres et des arts, où l'on réunirait ce qui n'avait pas encore disparu de mérites supérieurs dans ces trois domaines de l'esprit humain. On trouva les uns qui sortaient à peine de ces prisons auxquelles Condorcet préféra la mort volontaire, pour échapper au supplice qu'allaient bientôt subir les Bailly, les Lavoisier, les André Chénier et les Malesherbes; on trouva les

autres sauvés par l'obscurité de leurs retraites, et demandant au secret de leurs études la consolation sinon l'oubli de leurs infortunes.

L'Académie, ou, comme on l'appelait alors, la classe des sciences morales et politiques, était, par sa nature même, celle dont les candidats avaient le plus souffert. Un tiers avait sanctionné ses convictions et ses principes en bravant, en subissant la persécution pour défendre la liberté, les lois et l'humanité. Les Volney, les Ginguené, les Daunou, les Dupont de Nemours appartenaient à cette noble catégorie. La détention, même au temps le plus périlleux, n'ôtait rien à leur courage.

La philosophie de leur époque ne devait pas leur survivre; mais ils en honoraient les illusions, qu'ils croyaient la vérité, par la force du caractère et l'amour de la vertu.

Tracy me semble leur modèle; Tracy, le lieutenant de Lafayette et l'ami de la liberté, qui souffrit comme lui pour elle, et, plus heureux, obtint du moins un cachot qui ne fut pas chez l'étranger. Nous admirons les tranquilles reclus qui méditent toute une vie, en présence du simulacre de la mort; celui-ci médite en présence de la mort même, qui chaque matin tire au sort entre ses compagnons et lui, tandis que chaque matin il ajoute aux abstractions de son système. Il le complète à la fin; il jouit de sa découverte un jour entier, rempli de ce charme que les esprits heureux et puissants goûtent seuls dans leurs conquêtes! C'était à la veille de ce 9 thermidor, passé lequel l'innocence a commencé de sortir des prisons pour ne plus aller au supplice.

Spectacle plus rare encore que celui d'une âme énergique roidie contre la terreur, il se roidira quarante ans contre la prospérité; il recouvrera les faveurs de la fortune, les grandeurs du monde et la splendeur de la vie politique, sans qu'un seul jour il cesse d'apporter sa pierre au monument dont il a posé la base au fond d'un cachot.

Un autre ami de la science et de la liberté, Cabanis, qui passa ses belles années dans l'oasis philosophique où Franklin et Condorcet avaient vécu près de Mme Helvétius et de Tracy, Cabanis avait étudié, comme penseur et comme physiologiste, les rapports intimes entre le physique et le moral de l'homme. Ses profondes recherches sur cette matière sont le plus précieux ornement de la collection publiée par l'ancienne classe des sciences morales et politiques. Leur réunion forme un ouvrage considérable, plein de pensées ingénieuses, de vues nouvelles, de conceptions élevées, rendues avec un charme inexprimable; ce serait une œuvre accomplie, si l'auteur eût fait régner dans son livre la pensée qui régnait dans son esprit supérieur, en rapportant à l'âme une action perpétuelle et suprême sur notre constitution et sur nos organes.

Volney, voyageur admirable par la science et la vérité, devenu membre de l'Institut, a rédigé son Catéchisme de morale universelle, dans lequel il s'est efforcé de présenter les vérités utiles à l'homme rattachées entre elles par des liens purement humains.

Resserré dans le même cercle terrestre est l'écrit de SaintLambert, publié dans le même but, et presque avec le même titre.

Un génie plus aimable, un écrivain puissant et vertueux, Bernardin de Saint-Pierre, honorait dans l'Institut la section de morale, et, ce qui pouvait alors être regardé comme un acte de courage, il osait rapporter la morale même à l'existence de la Divinité. Il complétait des productions où les sentiments les plus purs sont embellis par les tableaux les plus suaves, en écrivant avec un style inimitable ses Harmonies de la nature.

Pour appeler dans la carrière des successeurs dignes d'eux, les écrivains, les penseurs dont nous venons de rappeler les travaux, proposaient des questions propres, les unes à perfec

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