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traire, les mœurs ont conservé tout leur empire, si tant est qu'elles ne sont pas devenues meilleures; la liberté et l'égalité seules ont obtenu des droits nouveaux. Ces droits, impérissables désormais, sont écrits dans le Code civil, qui a formulé avec un rare esprit philosophique les idées de 1791. A son point de vue, le mariage n'est pas, comme il était à Rome, dans le temps de sa décadence, un lien passager que forme le caprice et que dissout le moindre dégoût; c'est une union solennelle, viagère, forte de toute la puissance de la loi civile. Je sais que dans certains systèmes, qui se croient démocratiques, on trouve qu'il y aurait quelque chose à faire pour donner au mariage plus de liberté. Aux yeux de ces réformateurs, il ne devrait y avoir guère de différence entre le mariage et le concubinage, et il faudrait faire cesser l'intervention usurpatrice de la loi dans un contrat qui ne doit relever que de la liberté individuelle. Il y a eu un jour, en 1793, où la révolution, faussée et subjuguée, s'est malheureusement associée à ces idées désorganisatrices : c'est celui où l'on décréla que l'État nourrirait à ses frais la maîtresse de Marat et où l'on appela du nom de sa veuve cette gouvernante que, selon les paroles de Chaumette, il avait prise pour épouse, un jour de beau temps, à la face du soleil (1). La démocratie ne saurait être déclarée coupable de ces égarements démagogiques; il lui faut des mœurs, et sans le mariage, il n'y a ni mœurs ni famille. La démagogie peut se complaire un instant dans ce cynisme; la démocratie le voit avec dégoût, et le Code civil est pour elle le seul véritable interprète, parce que voulant la pureté des mœurs et l'honneur de la famille, il a assis le mariage sur la base de l'État, et exigé la présence solennelle de la société comme garantie de cette union. Sous un autre rapport, le Code civil est resté fidèle à l'esprit des démocraties: car les formes extérieures du mariage sonts imples, claires et faciles. La loi n'y vient pas déployer des (1) M. Thiers, t. IV, p. 273.

pompes magnifiques; elle parle à la raison des époux; etle leur fait entendre la voix sévère du devoir; elle conjure leur conscience. Cet appareil est suffisamment imposant pour une nation qui connaît toute la force du droit. Enfin, quoique les cérémonies catholiques n'y soient plus que facultatives, on sent cependant que la pureté et les hautes idées du christianisme y président toujours.

Pourtant, nous avons entendu des esprits prévenus ou moroses, et des détracteurs du temps présent, reprocher vivement au Code civil d'avoir maintenu la sécularisation du mariage. « Qu'est devenue la sainteté du mariage? s'écriait « M. de Boulogne à la Chambre des pairs; qu'est-il aux yeux « de la loi ? Qu'un simple contrat, qui n'a pas plus de dignité « qu'un contrat de vente (1). »

Il n'est pas difficile d'absoudre le Code civil de ces vaines déclamations; je ne parlerai pas des principes d'égalité des cultes et de liberté de conscience, qui probablement toucheraient peu M. de Boulogne. Mais si le pieux prélat eût pris conseil de sa raison plutôt que de ses préjugés, il aurait vu l'intervalle immense qui sépare les contrats ordinaires du mariage: les premiers, toujours révocables au gré des parties, par leur commun accord; toujours dégagés de solennités, toujours aboutissant à des dommages et intérêts, ou à quelque chose de matériel; le second, engagement de toute la vie, consortium omnis vitæ, le seul où la loi civile permet à l'homme de disposer de sa personne et de sa liberté, le seul où il force la volonté individuelle à plier devant l'intérêt de la famille et de l'État; le seul où, pour mieux épurer et resserrer un lien sacré, il invoque la surveillance de la société tout entière. On ne devrait pas ignorer d'ailleurs, quand on se permet de juger le Code civil, que jamais il n'a été dans la pensée du législateur de faire de l'union conjugale un simple contrat; la preuve en est que tout ce qui tient à la formation de cet en(1) Memorial catholique, août 1827, p. 87.

gagement supérieur à tous les autres, est placé dans un livre absolument étranger aux contrats. Il faut en prendre son parti. Dans une société livrée à des croyances opposées, la loi ne peut s'appuyer sur l'une d'elles, au préjudice des autres, sans rompre l'équilibre salutaire qui seul prévient le fléau des discordes religieuses. Le législateur, esclave de la liberté de conscience, paye sa dette à toutes les religions qu'il est appelé à couvrir d'une égale protection, en restant fidèle, dans ses actes, à ces préceptes de pure et divine morale qui sont leur lien commun, et vers lesquels elles convergent toutes, malgré la variété des formes et l'inégalité de leurs progrès. Et quel homme de bonne foi oserait dire que le mariage soit étranger, en France, à la morale sublime que le christianisme a répandue chez les nations modernes ?

DU DIVORCE.

Occupons-nous maintenant de l'indissolubilité du lien et du divorce.

Le Code civil a fait prévaloir, après de sérieuses discussions, le principe du divorce posé par la loi du 20 septembre 1792, au nom de la liberté individuelle (1). La restauration l'a aboli en 1816, au nom d'une religion d'État. A l'heure qu'il est, le divorce est encore banni de notre loi civile. On s'est bien des fois demandé si cette abolition devait toujours résister aux efforts qui furent faits après 1830 (2) pour rendre au divorce la place qu'il avait dans le Code civil. Quant à moi, j'en dirai franchement ma pensée je n'aime pas le divorce.

(1) Voyez le préambule de cette loi. Beaucoup d'ouvrages ont été publiés à cette époque. On peut voir en faveur du divorce le livre de Bouchotte, intitulé du Divorce, 1790; un autre d'Hennet, 1792.

Contre: La question du divorce, attribnée à un abbé de Fénelon, 1793. Réflexion sur le divorce, par Mme Necker, ouvrage charmant, plein de sentiment et de raison.

Charron, De la sagesse, balance le pour et le contre, et se détermine contre le divorce.

(2) Session de 1831 et 1832.

Et comme il n'y a que trop de passions intéressées à en faire ressortir les avantages; moi, je préfère le rôle d'en faire ressortir les inconvénients. Je sais, avec Mme Necker, qu'une certaine défaveur philosophique est attachée à mon opinion. Parce que Montaigne, Montesquieu (1) et Voltaire (2) ont pris parti pour le divorce, beaucoup de gens s'imaginent qu'il est de bon ton en philosophie d'être de leur avis. Je crois, au contraire, qu'il y a dans la philosophie d'excellentes raisons pour l'indissolubilité du mariage, et l'exemple de Mme Necker, que je citais tout à l'heure, prouve qu'il n'est pas absolument nécessaire d'être un catholique ardent pour n'être pas partisan du divorce. Je ne disconviens pas, cependant, qu'il est quelquefois des cœurs durs, comme disent les livres saints, auxquels il peut être nécessaire de faire la concession du divorce; et c'est peut-être en pensant à eux que le Code civil l'a admis avec des restrictions qui limitent beaucoup le divorce de 1792. Mais j'avoue que, dans mon idéal d'une société parfaite, je voudrais qu'il n'y eût que des unions indissolubles; et, à ce point de vue, la morale catholique me paraît la plus philosophique, la plus équitable, la plus favorable aux intérêts de la famille. La liberté peut en souffrir dans quelques cas; mais le divorce ne fait-il pas souffrir l'égalité, et ne compromet-il pas la cause des faibles, c'est-à-dire des enfants? Pourquoi, de ces deux principes démocratiques, le premier l'emporterait-il sur le second? Dira-t-on qu'il n'est pas permis de prendre des engagements indissolubles et par cela même téméraires? Mais je n'appelle pas engagement téméraire celui d'être fidèle à un serment que la loi autorise, c'està-dire de remplir son devoir. L'aversion que la société moderne a contre les vœux religieux ne s'explique, aux yeux de

(1) Lettres persanes, XVI.

(2) Dictionnaire philosophique, Mariage et Adultère. Junge, Boulanger, Christianisme dévoilé, ch. xxii. Roucher, Mois, chant XII.

la raison, que parce que ces vœux sont contraires à la nature (1); mais la promesse d'une fidélité immuable dans le mariage n'est pas contraire à la nature. Bien loin de là, l'engagement de ne pas rompre le lien est inhérent au mariage; il en est une des conditions naturelles : c'est par là que le mariage se distingue du concubinage et s'élève à la hauteur d'une sainte et publique institution. Il est si vrai que le mariage est indissoluble par sa nature, que la seule volonté ne suffit pas pour le rompre. Les partisans du divorce, lorsqu'ils ne sont pas emportés par un esprit de licence, et qu'ils mettent une certaine modération dans leur opinion, reconnaissent eux-mêmes que le repentir ne suffit pas pour mettre fin au mariage, comme il suffirait, s'il s'agissait d'échapper à la contrainte d'un vœu téméraire. Le divorce est subordonné à des circonstances qui le rendent rare, défavorable et souvent impossible. Il faut des causes déterminées qui, heureusement, ne se rencontrent pas toujours, ou bien un consentement mutuel de se séparer, beaucoup plus difficile à obtenir que le consentement mutuel de vivre ensemble. Dans tous les autres cas, et quoi qu'il arrive, l'engagement reste inébranlable; tout viager qu'il est, il faut le subir! L'appel à la liberté vient se briser contre la foi jurée. Qu'on n'argumente donc pas des principes ordinaires du droit public et privé, d'après lesquels la liberté est inaliénable et imprescriptible. La nature du mariage les repousse comme inapplicables : le mariage en soimême, par sa destination avouée, reconnue, acceptée, par ses fins légitimes, par son influence sur la famille et les enfants, le mariage est dans sa définition légale, politique, naturelle, un lien qui engage toute la vie : consortium OMNIS VITÆ. Il n'est le mariage que parce qu'il n'est pas un lien temporaire, et que les deux époux se donnent indissolublement l'un à l'autre. Voilà sa nature. Et c'est se montrer contraire à la na

(1) Mme Necker, p. 25.

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