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niâtre par la longueur de la lutte, altier par la continuité de la victoire, implacable par la nature particulière de la résistance, qu'il déborda sur le monde. Sa croyance religieuse, étroitement confondue avec sa nationalité, le réservait dans le XVIe siècle à offrir l'expression la plus obstinée du système catholique, dont il allait être le gardien fidèle en Espagne et le soutien armé en Europe.

NOTICE

SUR CLARKE

PAR M. DAMIRON.

Samuel Clarke naquit à Norwick en 1675.

Il y a peu de chose à dire de son enfance; toutefois il ne faudrait pas oublier cette anecdote qu'en rapporte Whiston, son biographe et son ami. Elle n'est pas à négliger comme indication du tour de pensée que prit de bonne heure son esprit.

Un de ses parents lui demanda un jour, dans son extrême jeunesse, si Dieu pouvait tout faire. Clarke lui répondit que oui; mais il lui demanda de nouveau si Dieu pouvait faire un mensonge. Clarke répondit que non : il entendait dire par là que c'était la seule chose impossible à Dieu; car, jeune comme il était, il n'osait pas avouer qu'il pensait qu'il y eût autre chose impossible à Dieu, quoiqu'il se rappelait dans la suite qu'il avait à cette époque une parfaite conviction intérieure qu'il y avait une chose que Dieu ne pouvait pas faire, c'était

de détruire l'espace qui était dans la chambre où il se trouvait.

Qu'on rapproche maintenant de cette impression de son enfance celle que dut faire sur lui la scolie de Newton, que je vais citer, et on s'expliquera comment cette réflexion de son jeune âge, sur la nécessité de l'espace, put se transformer plus tard en une spéculation de son âge mûr. Voici cette scolie, qui parut seulement dans la seconde édition des Principes « Eternus est infinitus, omnipotens, omnisciens, id est durat ab æterno in æternum, et adest ab infinito in infinitum. Non est æternitas et infinitas, sed æternus et infinitus; non est duratio et spatium, sed durat et adest; durat semper et adest ubique, et existendo semper et ubique constituit durationem et spatium (1). »

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Clarke fit des études à l'université de Cambridge, où s'enseignait alors la philosophie de Descartes. On se rappelle à ce propos qu'Antoine le Grand publia, en Angleterre, une exposition de la philosophie cartésienne, ad usum juventutis. Clarke lui-même donna une traduction en latin de la physique de Rohault. On peut donc supposer que ses commencements furent cartésiens; mais ils ne le furent pas longtemps, et sa foi n'était pas fort vive; car un livre de Newton, étant par hasard tombé entre ses mains, le séduisit, et de partisan assez tiède et assez peu fervent de Descartes qu'il était, le

(1) J'ajouterai, puisque j'en trouve ici naturellement l'occasion, que la preuve de l'existence de Dieu, tirée de l'idée de l'immensité par Newton et par Clarke, se trouve au moins indiquée par Cudworth, dans son Système intellectuel, t. II, p. 359. En effet, il y dit en raisonnant contre les épicuriens: « Si quod ipsi volunt, spatium natura est a corporea secreta, resque omni vacans concretione corporea, ex hac ipsa perspicuum erit sententia, esse naturam aliquam corpore prorsus destitutam. Quumque idem spatium infinitem esse affirmunt, inde Deum esse infinitum, corporisque omnis expertum conficietur. Enim spatium, si nec corporis est extensio, nec ulla ejus affectio, aut accidens sit necesse est, per se sine substantia existens. Quod absurdum est cogitatur, aut vero alius substantiæ, corpore destitutæ et simul infinitæ, vel extensio vel affectio.» Le Système intellectuel parut en 1671.

rendit aisément le disciple dévoué du nouveau maître auquel il passait. Il s'agit, du reste, ici surtout de la physique; car, quant à la métaphysique, bien que Clarke combatte en plus d'un point Descartes, cependant, par le spiritualisme qu'il professe, il retient incontestablement quelque chose de l'esprit cartésien.

A Cambridge il s'était d'abord principalement appliqué à la philosophie et aux sciences physiques et mathématiques; mais, sans les abandonner, il se tourna ensuite vers la théologie et entra dans les ordres.

Wisthon s'entremit à cette époque pour le faire nommer chapelain de l'évêque de Norwick, dont il devint le confident et l'ami. Il s'acquit bientôt une belle réputation d'homme de lumières et de piété. Ce fut ce qui le désigna au choix des exécuteurs testamentaires de Robert Boyle, qui avait légué en mourant le revenu considérable d'une maison qu'il avait dans Londres, pour une fondation pieuse dont voici l'esprit : Robert Boyle était un gentilhomme irlandais qui consacra sa fortune et sa vie à des œuvres de charité et de science. Auteur d'un Traité sur les causes finales, jamais il ne prononçait le nom de Dieu sans faire une pause, comme pour se recueillir; on sait que Newton ne le prononçait; non plus, jamais sans se découvrir pour eux, penser à Dieu et le comprendre était une manière de le révérer, de l'adorer. Boyle, dans un dessein à la fois de paix et de zèle chrétien, et pour arrêter, autant qu'il dépendait de lui, les ravages des mauvaises doctrines, que plus d'un philosophe de son temps avait mises en crédit, résolut de pourvoir à l'entretien d'une lecture annuelle dans l'église Saint-Paul, dont le but serait, ce sont les termes dont il se servait, « de mettre en évidence les preuves de la religion chrétienne, abstraction faite de toute controverse contre les sectes particulières qui se partagent le christianisme. » Il y consacra, par un codicille, le revenu dont j'ai parlé; il limita cette lecture à huit sermons par an qui 25

XIV.

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devaient être prononcés pendant les mois de janvier, février, mars, avril, mai, septembre, octobre et novembre. Il laissa à plusieurs de ses amis le soin et le droit de choisir les prédicateurs, qui auraient successivement la charge de ces sermons. Les plus savants et les plus éloquents théologiens de l'Angleterre furent tour à tour appelés à cet honneur. Bentley fut le premier, et il prit pour sujet : De l'absurdité de l'athéisme d'après les principes de Newton.

Clarke, comme je viens de le rappeler, fut aussi désigné; il le fut même deux ans de suite (1704-1705). Sa Démonstration de l'existence et des attributs de Dieu et les Preuves de la religion naturelle et révélée furent les fruits de cette prédication. Il les publia sous la forme d'un traité, en 1705. Cet ouvrage eut un grand succès. Je ne veux pas ici le juger, ce ne serait pas le moment; je ferai seulement, en passant, deux remarques Voltaire a dit de Clarke que c'était un moulin à raisonnements; le mot, dans sa familiarité épigrammatique, ne manque peut-être pas de justesse, s'il s'applique à l'orateur qui s'adresse à la foule et parle dans une chaire de doctrine évangélique. Clarke, en effet, à ce point de vue, a un peu abusé de l'argumentation: il n'a bien du lieu où il enseigne que la démonstration, que la logique; il n'en a pas le sentiment, l'imagination, l'entraînement; il n'a pas, comme Fénelon par exemple, à côté de sa philosophie métaphysique et savante, cette philosophie sensible et populaire, qui se proportionne aux hommes les plus médiocres et les moins exercés au raisonnement.

De plus, ses arguments sont peut-être encore plus du géomètre proprement dit, que du philosophe et du moraliste, et ce qu'ils prouvent en Dieu, c'est bien moins l'âme, la providence, que l'être nécessaire, éternel, immense, infini, etc., le dieu de la psychologie que celui de l'ontologie. C'est ce que semblent avoir senti Butler et Hutcheson, lorsque, jeunes alors, ils soumirent à Clarke leurs doutes et leurs scrupules

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