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RAPPORT

SUR LES

ÉLÉMENTS DE L'ÉCONOMIE POLITIQUE

DE, M. JOSEPH GARNIER

PAR M. DUNOYER

suivi

D'UNE DISCUSSION SUR L'ENSEIGNEMENT DE CETTE SCIENCE,
PAR MM. GIRAUD, DUNOYER, PASSY, DE RÉMUSAT,

CH. DUPIN ET VILLERMÉ.

M. Dunoyer, en présentant à l'Académie, de la part de l'auteur, un exemplaire de la seconde édition des Éléments de l'économie politique, par M. Joseph Garnier, s'est exprimé en ces termes : Messieurs, l'un de nos jeunes économistes les plus dignes d'intérêt, M. Joseph Garnier, professeur à l'école des ponts et chaussées, vient de me rappeler qu'il m'avait remis, il y a plusieurs mois, avec prière d'en faire hommage à l'Académie, un exemplaire de la seconde édition de ses Éléments d'économie politique.

Je demande pardon à l'Académie et à M. Joseph Garnier d'avoir autant différé de m'acquitter de ce soin. C'est un oubli que je me reproche, et avec d'autant plus de raison, livre que j'étais chargé de vous offrir est un travail recomman

XIV.

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que le

dable qui a obtenu un légitime succès, dont la propagation est tout à fait désirable, et sur lequel le simple intérêt de la justice et de la science aurait dû ne pas me laisser oublier d'appeler de nouveau votre attention.

J'ai eu déjà, lorsque l'ouvrage a paru pour la première fois, l'occasion d'en entretenir succinctement l'Académie; et le rapide écoulement de la première édition, tirée à un nombre considérable d'exemplaires, a suffisamment justifié ce qu'il m'avait inspiré de réflexions bienveillantes. J'espère que la justice de ces éloges recevra de l'édition nouvelle un surcroît de consécration. L'auteur, encouragé par le succès, et jaloux de s'en rendre de plus en plus digne, a fait de louables et heureux efforts pour améliorer son travail. Il n'en a pas changé le cadre, mais il a tâché de le mieux remplir. Il y a fait entrer un grand nombre de développements nouveaux; et, sans cesser d'être élémentaire, il a trouvé le moyen de condenser dans un petit volume in-12 de 400 pages, à la vérité assez minutées et très-remplies, un cours complet de la science dont il ne s'était proposé d'abord d'exposer que les principales notions.

Je n'ai pas besoin de vous dire que le livre de M. Joseph Garnier n'appartient par aucun côté à la famille, hélas ! si nombreuse et si tristement diversifiée, de ces productions excentriques dont les auteurs, devenus si impérieux et si bruyants, ont aujourd'hui la prétention de refaire de fond en comble, non-seulement la science, mais la société. M. Joseph Garnier a des prétentions plus raisonnables et plus modestes. Il ne prétend refaire ni la société ni la science. Il prend la société telle que nous la connaissons, telle que d'invincibles instincts l'ont faite, et la science au point où l'ont conduite les meilleurs esprits de tous les temps, et notamment les observateurs judicieux et les penseurs éminents qui s'en sont occupés depuis moins d'un siècle, et à qui l'on doit de l'avoir constituée. L'auteur ne s'est pas même proposé, en partant

des données acquises, de chercher à éclaircir un certain nombre de points nouveaux et de former un corps d'ouvrage qu'il pût nommer son économie politique. Il a circonscrit davantage encore ses prétentions, ou, si l'on veut, il en a eu de toutes différentes. Il s'est moins proposé de faire du nouveau que de se rendre un compte exact de ce qui avait été fait, et de tirer de cette consciencieuse et intelligente analyse un résumé clair et substantiel des principes de la science. Il s'est entouré de tous les maîtres qui en ont traité, depuis les physiocrates jusqu'aux auteurs contemporains les plus honorablement accrédités, et de leurs travaux réunis il s'est efforcé d'extraire un tout harmonieux, qui est le corps même de la science, au point où l'ont conduite les communs efforts de ses fondateurs; s'efforçant de les rectifier et surtout de les compléter les uns par les autres; montrant qu'ils sont souvent moins divisés qu'ils ne le croient; et s'appliquant, en particulier, dans un esprit de justice distributive tout à fait louable, à faire honneur à chacun d'eux des vues qui lui sont propres et des services qu'il a rendus.

Je ne voudrais pas affirmer que M. Joseph Garnier a rempli aussi complétement qu'elle était susceptible de l'être la tâche intéressante et difficile qu'il s'est proposée; qu'il est toujours parvenu à être exact et juste autant qu'il en avait l'honnête désir; qu'il a su rapporter chaque vérité à son origine, et que de l'ensemble des vérités économiques qui sont véritablement acquises, il a réussi à composer un tout aussi homogène qu'il avait la louable ambition d'y parvenir. Peutètre des esprits très-exercés, comme le sien, à considérer le sujet étendu dont il s'est occupé, n'auraient-ils adopté complétement ni ses classifications, ni ses nomenclatures; mais, quoiqu'il y eût beaucoup de manières de faire autrement, il est permis de douter qu'ils eussent fait mieux, et, tel qu'il est, son ouvrage, je l'avoue, me paraît un livre élémentaire du mérite le plus réel, qui peut tenir lieu d'ouvrages beaucoup plus con

sidérables, et dont la lecture, en tout cas, est une préparation excellente à celles des travaux plus étendus qui ont traité de la science ex professo.

Je trouve un grand plaisir à rappeler ce que j'avais déjà dit de l'auteur, qu'il est du nombre de ces bons esprits qui se bornent à étudier la nature même des choses et à examiner suivant quelles lois se développe la société ; qui pensent que la puissance sociale doit surtout intervenir dans son mouvement de progression pour y réprimer, pour en bannir les causes de trouble, et non pour y devenir, en s'interposant hors de propos et sans mesure, une cause plus ou moins grande de perturbation. Il est, en un mot, de l'école de Turgot, de Smith, de leurs successeurs les plus éclairés, et il possède, à un degré très-marqué, le goût et l'instinct de la science de bon aloi qu'ils enseignent.

S'il est un temps où la diffusion de tels écrits soit désirable, c'est à coup sûr celui où nous vivons. Jamais il ne fut plus permis de sentir à quel point est regrettable la lacune qu'on s'est obstiné à laisser subsister à cet égard dans l'universalité des établissements d'instruction, ni plus nécessaire de chercher à suppléer à l'enseignement oral de l'économie politique, qui fait défaut à peu près partout, par la propaga tion des ouvrages qui contiennent de cette science un bon enseignement écrit. Si, dans le cours, presque interminable, de celui que reçoit la jeunesse de nos écoles de l'âge de cinq ans à celui de vingt-cinq ans, on avait su trouver le temps de lui donner quelques saines et fermes notions de la nature économique de la société et des lois auxquelles sont invinciblement subordonnés son développement et sa vie, les sophistes et les charlatans n'auraient peut-être pas aujourd'hui si beau jeu au milieu des générations contemporaines, et n'y trouveraient pas si facilement des complices pour la subversion de ces lois et la substitution violente à la société naturelle que nous avons sous les yeux, de je ne sais quelle société

factice sur l'objet et l'arrangement de laquelle ils sont tous en désaccord.

Si l'on avait pris la peine d'enseigner à ces générations quel rôle jouent dans l'économie de la société la sûreté de la personne et des biens, la liberté du travail et des transactions, et à quel point l'observation de ces lois naturelles est nécessaire à tout le monde, et surtout aux classes les moins avancées; à quel point, par exemple, le respect de la propriété, si désirable pour ceux qui ont une fortune acquise, est particulièrement indispensable dans l'intérêt de ceux qui ont tout à acquérir; si, dis-je, on leur avait donné de ces vérités primordiales, fruit des meilleurs et des plus sûrs instincts de l'humanité, source de tous les biens qu'elle possède, des notions justes, claires et solidement établies, nous n'aurions pas aujourd'hui, et au moment même où nous nous vantons avec tant d'à-propos de notre don d'initiative en fait de progrès, l'humiliation de voir mettre en question dans notre pays les bases de la société les plus élémentaires, et d'être obligés en particulier de défendre le principe de la propriété contre un débordement d'attaques toutes plus étranges et plus inouïes les unes que les autres.

Il est vrai que les plus graves et les plus directes de ces attaques ont trouvé dans les instincts publics une répression suffisamment vigoureuse, mais il n'en a pas été ainsi de beaucoup d'entreprises détournées; et, par le fait de la révolution qui a donné ouverture à cette masse d'agressions inattendues, il se trouve, en réalité, que la sûreté de toutes les possessions ne laisse pas d'avoir été quelque peu ébranlée, et que le nombre des libertés et des immunités publiques, loin de viser à s'accroître, tend d'une manière évidente à s'amoindrir.

Une réaction éclairée contre ces détestables égarements est donc la chose du monde la plus à souhaiter; et, à défaut d'un enseignement oral de qui l'on puisse attendre cette salutaire réaction, c'est certainement bien faire que de recommander la

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