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race. La ferme-école s'établit sur un terrain déjà nécessairement cultivé, pour apprendre à faire mieux ce qu'on faisait mal dans le rayon de la circonscription; la colonie agricole s'établit sur un terrein nécessairement inculte, pour en opérer la mise en culture et augmenter la richesse du pays.

Tout doit avoir un caractère moral sans doute dans la manière dont fonctionnent de pareils établissements, mais toutefois à la ferme école, c'est surtout une instruction technique, à un point de vue pratique. A la colonie agricole, c'est un problème à la fois d'éducation agricole, morale et religieuse. On s'y trouve en face d'êtres et de terrains incultes il faut les cultiver et les faire servir à leur mutuel amendement. La colonie agricole, c'est le problème à la fois de la culture de l'homme et de la terre, de l'homme par l'amendement de la terre, de la terre par l'amendement de l'homme.

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Il s'agit, maintenant, que les principes sont posés, d'examiner quelles peuvent être pour la colonie agricole les conditions d'application.

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NOTICE SUR LA VIE

ET

LE SYSTÈME POLITIQUE ET SOCIAL

DE MABLY

PAR M. FRANCK. (1)

S'il fallait ajouter foi à ce sombre fatalisme qui a régné pendant quelque temps dans la politique et dans l'histoire ; s'il fallait croire que l'esprit humain ne peut jamais revenir sur ses pas, et que tout changement qui arrive ou dans les idées ou dans les institutions doit être accepté comme une révolution nécessaire, comme une conséquence irrévocable de la nature des choses, la société n'aurait plus qu'à pleurer sur elle-même et à attendre sa dissolution prochaine. Mais rassurons-nous les doctrines qui menacent aujourd'hui la propriété, la famille, la liberté, et qui semblent être la maladie de notre époque, ont déjà paru dans d'autres temps, c'est-àdire ont déjà subi plus d'une défaite. Elles sont aussi anciennes que l'envie, que la sensualité, que la paresse; car elles ne sont que ces passions mêmes érigées en principes, transformées en droits et s'efforçant de se justifier par le rai

(1) Ce travail a été lu a la séance publique annuelle des cinq Académies, le 25 octobre 1848.

sonnement. Seulement elles n'ont pas toujours porté les mêmes noms ni parlé le même langage. Autrefois, quand la religion était la seule règle et le seul but de la pensée, elles s'appuyaient sur la foi, elles citaient l'Évangile en témoignage de leurs principes les plus détestables, et on les appelait des hérésies. Plus tard, lorsque le principe du libre examen eut conquis tous les esprits, elles n'invoquèrent plus que le nom de la raison et prirent rang parmi les systèmes philosophi ques. Le premier qui leur ait donné ce caractère et qui ait adopté avec une entière franchise, qui ait exposé avec une rigueur de déduction irréprochable ce qu'elles renferment de plus despotique et de plus sauvage, c'est un ecclésiastique, un élève des jésuites, un des esprits les plus graves et les plus érudits du dernier siècle, l'abbé de Mably. J'ai pensé qu'il y aurait quelque utilité à tirer son système de l'oubli où il est tombé d'abord parce que c'est le coup le plus terrible qu'on puisse porter à certaines idées que de leur ôter le prestige de la nouveauté; ensuite parce que l'esprit décidé de Mably nous offre le remède à côté du mal : les conséquences où l'entraîne sa théorie sociale et qu'il accepte avec un courage héroïque, les violences qu'il est obligé de faire subir à la conscience, à la pensée, à la morale, à l'histoire, en sont la plus éclatante réfutation. Mais l'homme et le système sont si étroitement liés chez lui, que l'on ne peut faire connaître l'un sans parler de l'autre.

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Gabriel Bonnot de Mably naquit à Grenoble, le 14 mars 1709, d'une famille honorable. Son père faisait partie du parlement du Dauphiné, et il était le frère aîné de Condillac. C'est un curieux spectacle, même pour le temps qui nous le présente, de voir ces deux frères, nourris des plus sévères traditions, engagés tous deux dans les ordres sacrés, que leur origine, non moins que leur état et leur éducation, devait attacher à la vieille foi politique et religieuse, se partager, en quelque sorte, l'œuvre de destruction, et attaquer la société,

l'un dans ses croyances, l'autre dans ses institutions et ses souvenirs; l'un par la philosophie, l'autre par la politique et par l'histoire. Le même niveau où Condillac fait descendre l'âme humaine, en regardant ses plus nobles facultés comme un simple prolongement ou un écho intérieur des sens, Mably l'adopte pour l'ordre social; il veut que la vie se dépouille de ce qui en fait le charme, la dignité, l'honneur; les affections et les scrupules du cœur, les ambitions de la pensée, les élans de l'imagination, ne sont à ses yeux que des maladies ou des vices. S'il ne dit pas avec un philosophe contemporain que celui qui a construit la première paire de sabots méritait la mort, il réduit toute la tâche de la civilisation à satisfaire nos besoins les plus grossiers, et, renfermant tous les hommes dans ce cercle borné, il supprime la liberté, la propriété, l'individu, pour élever à leur place la communauté de l'ignorance et de la servitude. Mais ce n'est pas en un jour que Mably fut conduit à ce résultat. Il était un de ces esprits intraitables qui ne connaissent que les opinions extrêmes, parce qu'ils ne vivent qu'avec leur propre pensée, parce qu'au lieu de conformer leurs idées à la nature des choses, ils exigent que les choses se conforment à leurs idées; mais c'était aussi une laborieuse intelligence, qui, avec le goût plutôt que le sens de l'érudition, aspirait à être complète dans l'erreur, et avait besoin de temps pour passer d'un pôle à un autre. Il fit ses humanités et sa philosophie à Lyon, chez les jésuites, qui, par une singulière fortune, ont aussi compté parmi leurs élèves Diderot, Helvétius, Lamettrie, Condorcet, et l'homme dans lequel s'incarna tout entier l'esprit du 18° siècle, Voltaire. Après avoir terminé ses études, Mably, par la protection du cardinal de Tencin, qui était allié à sa famille, entra au séminaire de SaintSulpice. C'était là que se formaient alors les ecclésiastiques qui, par leur naissance, leur position ou leur talent, pouvaient prétendre à l'épiscopat. Mais les dignités de l'Eglise n'exercèrent aucune séduction sur le jeune séminariste. Il

XIV.

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