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reil nombre alors qu'elles étaient moins éclairées, et, loin que de nouvelles misères soient venues les atteindre, elles se sont élevées au-dessus du bien-être qui n'avait pas encore été leur partage. Nous croyons fermement que l'avenir, à cet égard, ne différera pas du passé : car la science humaine ne rencontrera jamais le terme de ses conquêtes.

L'Académie a pu voir, par le peu que nous lui en avons dit, dans quelle estime nous tenons le nouvel ouvrage de M. Moreau de Jonnès. Si nous passions en revue, devant elle, chacune des parties de l'ouvrage, nous aurions à signaler des mérites fort rares dans les travaux de statistiques; c'est M. Moreau de Jonnès qui a accompli le grand travail publié par M. le ministre de l'agriculture et du commerce, et ce travail jouit maintenant d'une célébrité justement acquise. L'ordre et la distribution des matières ont frappé l'attention par la beauté des combinaisons qui y ont présidé, et servent maintenant de modèle dans les autres pays de l'Europe. Il appartenait à M. Moreau de Jonnès de résumer ses chiffres sous une forme commode et précise. Il a fait d'avantage : libre d'entrer dans les explications qu'il jugeait pouvoir être utiles, il a usé de cette liberté avec une habileté qui ajoute sensiblement à la valeur technique de ses savantes recherches.

ÉTUDES

SUR LE SOCIALISME

PAR M. FRANCK.

LE COMMUNISME JUGÉ PAR L'HISTOIRE.

S'il y a dans la nature humaine un sentiment de la liberté et un idéal de perfection qui la poussent constamment aux plus nobles conquêtes, auxquels sont dus tous les progrès de la civilisation et de la science, on est aussi forcé d'y reconnaître un esprit de contradiction et de révolte, de singularité et d'aventure, qui la ramène par l'anarchie à son point de départ. C'est cet esprit qui a produit, dans la sphère de la religion, tant de monstrueuses hérésies, dans le domaine de la philosophie, tant de systèmes déraisonnables, dans la carrière des arts, tant d'essais extravagants ou horribles. Toujours prêt à justifier les passions, pour les mettre de son côté, il va les chercher où elles sont le plus ardentes; il leur fournit des arguments appropriés à leur but et au caractère du temps qui les voit naître. Il n'est donc pas éton

nant que, dans un siècle de révolutions, il se soit attache surtout aux questions qui intéressent l'ordre social, et qu'il ait mis au jour ces doctrines malfaisantes que, par un étrange renversement du langage, on désigne sous le nom de socialisme.

Le socialisme c'est la prétention, non pas de réformer, mais de refaire la société de fond en comble, de la constituer sur de nouvelles bases, de changer toutes ses conditions, de substituer un autre droit à son droit, une autre morale à sa morale, comme si le crime et la folie avaient été jusqu'à présent ses seuls législateurs. En effet, si nous écoutons les adeptes de cette nouvelle alchimie, on ne conçoit rien de plus inique, de plus désordonné, de plus infâme, que le régime sous lequel nous vivons. L'homme exploité par l'homme, le pauvre par le riche, le faible par le fort, la spoliation un droit, le travail une servitude; la misère augmentant chaque jour son empire, des classes entières fatalement vouées au vice et au crime, partout la division, la corruption, le mensonge, le doute: tels en sont les principaux résultats. Qu'on se garde bien d'en accuser les fautes, l'imprévoyance et les passions de l'individu. Toutes les passions sont légitimes, toutes sont utiles à notre bonheur; il ne s'agit que d'en savoir tirer parti. L'homme fait le bien et le mal, selon le milieu dans lequel il vit, selon les rapports qu'on lui fait avec ses semblables; c'est donc l'ensemble de ces rapports, c'est la société, encore une fois, qu'il faut refondre complétement; et, comme l'ordre social, tel que nous le concevons aujourd'hui, c'est-à-dire tel qu'il a toujours existé, repose tout entier sur la propriété et sur la famille, c'est à ces deux institutions que s'attaquent, en général, soit directement, soit indirectement, d'une manière franche ou détournée, tous les socialistes. Mais les uns s'élèvent plus particulièrement contre la propriété : ce sont les communistes; les autres contre la famille : ce sont les phalanstériens; d'autres, portant plus haut leurs coups,

absorbent l'individu dans l'espèce, et tendent à supprimer en nous le principe même de tout droit, de toute règle, de toute obligation morale ce sont les philosophes humanitaires, derniers échos d'une religion qui réhabilitait la chair, sanctifiait les passions, et organisait le despotisme universel. Pour avoir raison de toutes ces sectes, il ne suffit pas de répudier leurs conséquences, ni de les écraser par la force ou par le jugement solennel d'une assemblée politique; il faut les étudier en elles-mêmes, dans leurs principes et dans les rapports qui les unissent ensemble; il faut remonter à leur origine et les suivre dans leur histoire. Le mal est ancien et profond; on u'en trouvera pas le remède, si on ne l'observe depuis sa racine jusqu'à ses dernières ramifications. Telle est la tâche que je me suis proposée. Je parlerai d'abord du communisme, parce que là est le fond, et, pour ainsi dire, le noyau des systèmes que je voudrais faire connaître. Tous les socialistes, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, qu'ils le dissimulent ou l'avouent, les phalanstériens, les philosophes humanitaires, les prétendus organisateurs du crédit et du travail, sont nécessairement communistes.

C'est une étrange illusion de nous présenter le communisme comme la forme la plus accomplie de la société et le but de toutes les révolutions qu'elle est destinée à subir; il n'y a rien, au contraire, qui la rapproche plus de son enfance, rien qui soit plus opposé aux idées de liberté et de justice par lesquelles se mesurent tous les progrès. Les témoignages ne nous manqueraient point pour établir que l'égalité des fortunes, que la communauté des biens, telle que la comprennent les réformateurs les plus populaires de notre temps, a existė de fait chez des peuplades encore plongées dans la vie sauvage, qu'elle est le régime sous lequel notre vieille civilisation a rencontré, il y a plusieurs siècles, les tribus les plus avancées du nouveau monde; mais pourquoi nous arrêter à ces faits isolės, si instructifs et si authentiques qu'ils puissent être,

quand nous avons pour nous l'autorité de l'histoire tout entière ? C'est, en effet, une loi qui domine tous les événements et qui préside à la marche des sociétés humaines, que la propriété, aussi bien que l'individu, ne s'affranchit que par degrés des liens de la communauté, soit celle de l'Etat ou de la famille, ou d'une caste privilégiée, pour revêtir un caractère entièrement libre ou personnel. En d'autres termes, la communauté et l'esclavage, la propriété et la liberté, ont toujours existé ensemble et dans les mêmes proportions. Partout, où l'on aperçoit l'une, on est sûr de rencontrer l'autre ; dès que l'une est niée, étouffée ou amoindrie, l'autre l'est également ; et, comme l'idée de la liberté n'est pas autre chose, après tout, que l'idée de la justice, l'idée du droit, l'idée du respect qui est dû à l'humanité pour elle-même, sans aucun égard pour sa condition extérieure, on peut dire que le degré d'affranchissement où la propriété est arrivée chez un peuple, nous donne la mesure exacte de sa civilisation, et particulièrement de son éducation morale. Quelques exemples suffiront pour nous convaincre de cette vérité, et lui donner la valeur d'une axiome historique.

Nous ne connaissons pas de constitution plus originale et plus ancienne que celle que nous offrent les Lois de Manou. Les lois de Manou sont pour les Indiens ce que le Zend-Avesta était pour les Perses, et la Bible pour les Hébreux, c'est-àdire un code révélé, à la fois civil, politique et religieux, dont les dispositions ont tout prévu et tout ordonné, d'après des règles immuables, depuis les relations générales, sur lesquelles repose l'existence même de la société, jusqu'aux actions les plus humbles et les plus secrètes de la vie privée. Eh bien, si nous jetons les yeux sur ce curieux monument, nous y verrons la propriété collective, indivisible, et remise tout entière entre les mains des brahmanes ou de la caste sacerdotale, sous prétexte qu'elle est la première-née de Brahma et qu'elle est sortie de la plus noble partie de son corps. « Le

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