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DROIT ADMINISTRATIF

APPLIQUÉ

SUPPLÉMENT

PREMIÈRE PARTIE

Séparation des pouvoirs, Principe, Conséquences, Sanction.

CHAPITRE PREMIER

THÉORIE FRANÇAISE DE LA SÉPARATION DES POUVOIRS

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(Duf., t. I, nos 1, 31.)

pou

1. (No 1.) La notion de la séparation des voirs, au point de vue spéculatif et rationnel surtout, n'est pas nouvelle. Si la souveraineté dont l'État est investi est une comme lui, Aristote1 distinguait déjà trois formes distinctes sous lesquelles elle avait à s'exercer la délibération, l'action, la juridiction. L'État souverain pose, en s'inspirant du droit natu

1. Politique, iv, 2.

DROIT ADMINISTRATIF.

SUPPLÉMENT.

1

rel, des règles générales obligatoires dans l'avenir pour tous ses sujets, il fait des lois. Il doit ensuite en assurer l'observation et diriger les divers services publics pour le plus grand bien des particuliers et de la nation. Il doit enfin trancher les contestations soulevées par l'application des lois. Entre ces trois fonctions d'ailleurs, la distinction était, aux yeux des anciens, tout abstraite et théorique : en pratique elles étaient réunies aux mains d'un seul organe de gouvernement.

Montesquieu le premier a fait entrer l'idée de la séparation des pouvoirs dans la science politique; il y voyait une précieuse garantie de la liberté. << Tout serait perdu, dit-il1, si le même homme ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçait ces trois pouvoirs celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers ». Il faut donc, dans l'intérêt de la liberté, partager des attributions aussi diverses entre plusieurs corps constitués; c'est un gage de modération dans le gouvernement, une protection préventive contre la tyrannie.

2. Il serait facile de trouver, sous l'ancien régime, des applications de cette règle de raison 2. Avant l'établissement néfaste de la monarchie absolue, les États généraux partageaient avec le Roi la souveraineté. Puis, jusqu'à la veille de la Révolution, bien le roi résumât en sa personne les

que

1. Esprit des lois, liv. XI, ch. 6.

2. A. des Cilleuls, Progrès de la distinction des pouvoirs depuis le XVe siècle jusqu'en 1789.

pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, les Parlements jouissaient d'une véritable indépendance : à moins de circonstances graves et extraordinaires et sauf quand l'intérêt public était en jeu, il n'était pas fait usage du droit d'évocation pour enlever un plaideur à ses juges naturels. A l'inverse, l'étude des arrêts du Conseil du roi nous montrerait le pouvoir royal employant contre les Parlements les mêmes armes et invoquant les mêmes principes que l'autorité administrative aujourd'hui contre l'autorité judiciaire.

Il appartenait cependant aux assemblées révolutionnaires de transformer une idée exacte en soi en un principe absolu dont les exagérations dominent depuis lors notre droit public. La Séparation des pouvoirs était considérée comme essentielle par l'Assemblée constituante qui la voulait complète et absolue. Aussi la Constitution de 1791 chercha-telle à organiser dans l'État trois organes respectivement investis des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, chacun d'eux étant parqué dans sa spécialité fonctionnelle et n'ayant aucune communication avec les autres. C'était légiférer en purs théoriciens sans tenir compte des nécessités de la pratique : l'entreprise était chimérique, la combinaison non viable. Le principe dut recevoir des tempéraments; mais, une fois modifié, il est demeuré à la base de toutes nos constitutions et, ajoutons-le, de presque toutes les constitutions européennes modernes.

3. --Nous n'entendons pas dire par exemple qu'il ait partout et toujours même sens et même portée. Entre les sphères respectives d'application des trois

pouvoirs constitutionnels il y a des attributions intermédiaires qui sont placées par les constitutions dans le domaine de l'un ou de l'autre suivant les tendances des esprits et les besoins du temps. C'est ainsi, pour ne pas sortir de notre pays, que ligne de démarcation a varié, au cours du XIXe siècle, entre les domaines des pouvoirs législatif et exécutif français.

la

A l'étranger, la séparation entre le pouvoir exécutif représenté par l'administration et le pouvoir judiciaire est également loin d'être absolue et invariable. Chose remarquable, il en est tout différemment en France: sous tous les régimes monarchiques et républicains depuis 1789, le principe de la séparation la plus stricte entre l'administration et la justice a été formellement exprimé ou du moins énergiquement et scrupuleusement maintenu. La raison s'en trouve dans l'évolution historique de la fin de l'ancien régime, dans les luttes séculaires entre, d'une part, les Parlements se prétendant investis du droit d'exercer dans leur ressort, concurremment avec la justice, l'administration et spécialement la police, et, d'autre part, le pouvoir royal se refusant, comme dit Loysel, à «< mettre la couronne au greffe ». Tout aussi centralisateur que nos rois, le législateur de 1789 a voulu mettre fin aux empiètements du pouvoir judiciaire. De là vient qu'il a consacré expressément le principe de la séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, certains auteurs préfèrent dire, avec M. Dufour (t. I, nos 1 et 31), entre les autorités administrative et judiciaire1. De là

1. Ces auteurs n'admettent l'existence que de deux pouvoirs constitués primordiaux : les pouvoirs législatif et exé

vient aussi qu'il l'a surtout posé sous forme d'interdiction aux tribunaux d'empiéter sur le domaine administratif. Cette application du principe constitutionnel général est la seule que du reste nous ayons à envisager dans un ouvrage consacré exclusivement au droit administratif.

4. La part faite en France à l'Administration est plus large que partout ailleurs. Le législateur de l'époque révolutionnaire a voulu assurer l'indépendance réciproque des pouvoirs exécutif et judiciaire. Il a essayé d'atteindre ce but d'une façon adéquate sans trop s'arrêter aux objections même fondées et, laissant à la jurisprudence le soin de tirer les conséquences, il s'est contenté de poser quelques règles formelles.

On les trouve dans la loi des 16-24 août 1790 sur l'organisation judiciaire, titre II, art. 17, dans celle

cutif, mais aussitôt ils subdivisent le pouvoir exécutif en autorités diverses. Ils considèrent la règle de la séparation des autorités comme un principe distinct mais en même temps comme un corollaire de celui de la séparation des pouvoirs proprement dits, tout aussi essentiel que lui d'ailleurs (Henrion de Pansey, Autorité judiciaire, t. I, p. 171; Aubry et Rau, Droit civil français, t. II, p. 154; H. Beaune, Le pouvoir judiciaire en France; Aucoc, Conférences sur le Droit administratif, t. I, p. 55, 3° édition; Saint-Girons, Essai sur la séparation des pouvoirs, p. 135; Ducrocq, Cours de droit administratif, 7° édition, t. I, nos 7, 33). — D'autres, au contraire, admettent, comme nous, l'existence de trois pouvoirs (Simonet, Traité de droit public et administratif, no 42, 337-342; Hauriou, Précis de droit administratif, 3e édition, p. 29-33; Esmein, Éléments de droit constitutionnel, p. 318; Laferrière, Traité de la juridiction administrative, 2o édition, t. I, p. 11 et suiv.; Dareste, La justice administrative en France, 2o édition, 1898, p. 200 et suiv.

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