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quée que si elle porte en même temps atteinte à un droit acquis. Le droit acquis se distingue profondément de l'intérêt d'ailleurs suffisant pour se prévaloir par exemple contre un acte d'un vice de formes. Il doit être certain, mais il n'est pas absolument nécessaire qu'il soit déterminé dans son étendue vis-à-vis de l'administration, puisqu'il va s'agir précisément de limiter les atteintes que l'administration lui peut porter. Il n'est pas indispensable non plus que ce droit procède de la loi ou d'un contrat et ait, à ce titre, un caractère irrévocable; il suffit qu'il résulte d'un règlement (Conseil d'État, 27 décembre 1894, Conseil de l'ordre des avocats de Philippeville.) Le droit n'a pas non plus besoin d'être rigoureusement personnel, il peut être commun à toute une catégorie d'industriels (Conseil d'État, 2 juin 1892, Bouchers de Bolbec).

Ont été annulés à ce titre : 1° les décisions administratives portant atteinte au droit de propriété et autres droits en dérivant (Conseil d'État, 8 août 1892, Breton Bonnard; 8 août 1894, Thorrand), au principe de la liberté du travail, du commerce et de l'industrie (Conseil d'État, 2 juin 1892, Bouchers de Bolbec), à la propriété des grades dans l'armée (Conseil d'État,20 mai 1887, Murat), au titre des membres de la légion d'honneur (Conseil d'État, 22 novembre 1889, Lamarque); 2o les actes administratifs qui tendent

à retirer des droits résultant soit de décisions contentieuses lors même qu'elles émaneraient de tribunaux administratifs spéciaux (Conseil d'État, 3 juillet 1885, de Bonardi), soit de contrats librement consentis en vertu de l'autorisation actuellement retirée (Conseil

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d'État, 2 août 1877, Institut catholique de Lille); 3o les refus formels de l'administration d'accomplir un acte qui est prescrit par la loi refus de délivrer un alignement ou une permission de bâtir (Conseil d'État, 12 janvier 1883, Matussière), un permis de chasse ou un brevet d'invention (Conseil d'État, 12 août 1879, Giraud Dargout), refus de communiquer les listes électorales (Conseil d'État, 2 mars 1888, Despetis), etc.

115. — C. Nature et effets du recours.

Le recours pour excès de pouvoir, quoique de nature contentieuse certaine, a ce caractère propre de constituer un recours en cassation, de tendre non à la réformation mais uniquement à l'annulation d'un acte. C'est cet acte qui est attaqué devant le Conseil d'État et non son auteur, il n'y a donc pas de véritable défendeur au procès. Sans doute, le ministre du département que l'affaire concerne en recevra communication et défendra l'autorité administrative, mais lui seul interviendra à l'exclusion du fonctionnaire, le préfet par exemple, de qui l'acte émanait; il enverra d'ailleurs un simple mémoire au Conseil d'État. S'il y a des parties en cause pour soutenir l'acte attaqué, ce seront les particuliers ou les personnes morales intéressés à son maintien. Leur intervention est spontanée ou provoquée par la section du contentieux.

1. Ils n'ont pas besoin pour intervenir de justifier d'un intérêt personnel et direct. Un simple intérêt suffit (Conseil d'État, 9 août 1893, Chambre syndicale des entrepreneurs de voitures), ne fût-il même qu'éventuel (Conseil d'État, 13 avril 1881, Lallouette).

L'assemblée du contentieux ne peut réformer l'acte attaqué, mais seulement l'annuler ou rejeter le pourvoi. Dans la deuxième hypothèse, les règles ordinaires sur la chose jugée s'appliquent. Le rejet ne fera donc obstacle à un nouveau recours que si ce recours émane de la même partie en la même qualité et est fondé sur le même motif d'annulation (C. civ., art. 1351). Mais si l'acte est annulé au contraire et qu'il ait un caractère général, qu'il soit aussi indivisible dans ses effets, comme un règlement de police municipale, l'annulation profite à tous les intéressés, l'acte est mis à néant erga omnes (Cassation, 25 mars 1882, Darsy).

Le Conseil d'État ne peut, avons-nous dit, modifier l'acte qui lui est soumis. Sans doute une annulation partielle est régulièrement ordonnée par lui, elle se rapprochera singulièrement en fait d'une réformation, mais s'en distingue toujours en ce que aucun élément nouveau n'est introduit dans la décision. Du reste, si, dans un règlement de police, les dispositions tant légales qu'illégales s'enchaînent à ce point qu'elles ne puissent être fractionnées, l'annulation totale du règlement s'impose (Conseil d'État, 1er mai 1896, Boucher d'Argis). Le Conseil d'État ne peut pas davantage prescrire à l'administration active des mesures qui seraient la conséquence de l'annulation. (Conseil d'État, 20 avril 1883, de Bastard; 4 janvier 1895, Dubourg), ou statuer sur les réclamations pécuniaires jointes par le demandeur à son recours, ces réclamations constituent un litige distinct rentrant dans le contentieux ordinaire (Conseil d'État, 30 avril 1880, Commune de Philippeville; 29 juin 1883, Archevêque de Sens).

§ II. Le Conseil d'État tribunal d'appel.

(Duf., t. II, nos 271-277.)

116. (Nos 271-277.)- Le Conseil d'État est, de l'avis unanime, le juge administratif de droit commun en appel. Il connaît à ce titre des pourvois formés contre les décisions des tribunaux administratifs qui ne statuent pas en dernier ressort, toutes les fois du moins que la loi n'en a pas décidé autrement. Relèvent de lui de ce chef les décisions des conseils de préfecture, des conseils du contentieux des colonies, des commissions spéciales instituées pour le règlement des indemnités en matière de plus-values indirectes résultant des travaux publics 2. Rappelons toutefois que la loi désigne parfois un autre tribunal d'appel la Cour des comptes pour les arrêtés des conseils de préfecture relatifs à la comptabilité publique, le Conseil supérieur de l'instruction

1. L'appel au Conseil d'État est toujours possible quant aux arrêtés des conseils de préfecture, une loi spéciale déférant à ces derniers le jugement d'une catégorie d'affaires contentieuses ne l'eût-elle pas expressément prévu (Conseil d'État, 1er août 1884, Thuilleux). Le délai du recours est dans tous les cas de deux mois (Loi 22 juillet 1889, art. 57).

2. Les auteurs qui admettent encore aujourd'hui la juridiction ministérielle ou même, à titre exceptionnel, la juridiction préfectorale, ajoutent à cette liste de décisions susceptibles d'appel au Conseil d'État les arrêtés ministériels et préfectoraux. Nous sommes, nous l'avons dit, d'une opinion contraire et nions, par suite, la possibilité d'un appel en pareil cas. A fortiori protesterions-nous, avec M. Dufour au no 277, contre l'idée de soumettre au Conseil d'État des actes émanés d'autorités administratives n'ayant pas de pouvoir de décision comme sont par exemple les sous-secrétaires d'État.

publique pour les décisions des conseils académiques ou départementaux, etc.

Toutes les fois que la loi n'a pas prohibé l'appel, il est possible en matière administrative, si minime que soit l'intérêt pécuniaire en jeu, parce que l'intérêt public est toujours présumé engagé. Il faut toutefois qu'il s'agisse d'une décision définitive et pas seulement préparatoire (Conseil d'État, 5 mars 1897, El. de Saint-Germain d'Esteuil). Le recours par voie d'appel n'est pas suspensif en principe, mais le Conseil d'État peut exceptionnellement ordonner qu'il sera sursis à la décision de première instance (Loi 24 mai 1872, art. 24). Le haut tribunal ne connaîtra jamais sur l'appel que des questions ayant été soumises à la juridiction du premier degré (Conseil d'État, 22 janvier 1897, Compagnie générale des eaux). Il doit, à peine de non recevabilité du recours, être saisi dans le délai normal de trois mois ou exceptionnellement de deux mois quant aux pourvois formés contre les arrêtés des conseils de préfecture (L. 22 juillet 1889, article 57. Conseil d'État, 12 février 1897, Comm. de Lapenche).

§ III. Le Conseil d'Etat juge unique en premier

et dernier ressort.

(Duf., t. II, nos 278-283.)

117. En dehors du recours pour excès de pouvoir que nous avons déjà étudié, il en est d'autres que des textes formels défèrent au Conseil d'État comme juge unique. Nous allons les énumérer; après quoi nous exposerons la doctrine moderne suivant laquelle le Conseil d'État est le juge admi

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