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<< Je voulais, dit-il, faire connaître cette proclamation aux insurgés et les exhorter à mettre bas les armes : Je portais mon écharpe de représentant ; j'étais sans armes.

<< Par un autre côté de la place, l'archevêque de Paris arrive en même temps que moi; je ne l'avais pas encore aperçu; il vient aussi les inviter à la paix; je suis à ses côtés; il m'adresse quelques paroles de bonté.

<< Poussés en avant dans un mouvement de désordre, nous franchissons la première barricade. Nous sommes dans la grande rue... Il n'a pas encore eu le temps de parler; la fusillade tout à coup redouble... le prélat est frappé dans l'épine dorsale... Il tombe à la renverse, je le crois mort! Au même instant je suis entouré, saisi par une masse d'insurgés; je suis entrainé dans la rue de Charenton, à travers mille obstacles, mille menaces, mille insultes. Quelques hommes courageux s'emparent de moi et me couvrent de leurs corps; ils éloignent les plus menaçants; ils me ramènent à la rue du faubourg et me font entrer dans la maison d'un bijoutier.

<< Les détails de cette marche, qui m'a paru longue, mais dans laquelle je n'ai jamais perdu mon courage ni mon sang-froid, ne peuvent trouver place ici. Je crois entrer dans un port après un périlleux naufrage; mes défenseurs me font monter au premier étage; mais l'insurrection a ses exigences: elle fait monter avec moi quatre hommes, armés de carabines, qui doivent me garder comme ôtage : l'un d'eux me déclare, en frappant sur son arme, qu'il connaît sa consigne !... Bientôt on amène aussi Druet-Desvaux et Galy-Cazalat, mes collègues, qui avaient d'abord été déposés chez un menuisier à l'entrée du faubourg.

<«< Une foule nombreuse d'insurgés armés, mêlée de femmes et d'enfants, se rassemble sous les fenêtres. On demande les représentants; on veut les questionner, leur faire des conditions; on veut les entendre. Je me présente à la fenêtre; je parle de l'insurrection, de son caractère féroce, du coup affreux qui a frappé l'archevêque et qui va faire frémir le monde entier... Pendant que je parle, des fusils me couchent en joue. Je les vois, mais des hommes plus humains les relèvent en criant: Pas de crime ! » Après de longs pourparlers, où la confusion le dispu

tait à la violence, quelques orateurs de la rue rédigèrent une adresse à l'Assemblée pour offrir la soumission du faubourg, en demandant la conservation de la République et pour tous la conservation des droits de citoyen. Les mots République sociale avaient été écrits et ensuite effacés par la résistance énergique de celui qui tenait la plume.

« A une heure du matin, dit l'un des biographes de M. Larabit, cette adresse fut lue en public et acclamée par la foule. Les habitants du faubourg, réunis sous la fenêtre, voulurent charger M. Larabit de porter cette adresse à l'Assemblée, accompagné de quatre délégués, avec la promesse qu'il reviendrait apporter la réponse : Vous serez Régulus ! lui cria un professeur qui savait son histoire romaine. Oui, lui répondit-il, je serai Régulus, avec cette différence que Régulus était en présence de la nation carthaginoise, fameuse par sa mauvaise foi, tandis que je reviendrai ici vers un peuple généreux et civilisé, qui ne doit voir que des frères dans ceux mêmes contre lesquels il a pris les armes! »

M. Larabit fit jurer que l'on respecterait ses deux collègues, ce qui fut solennellement promis. Il partit avec les quatre délégués. Après mille péripéties, il arrive enfin à l'Assemblée, porteur de la soumission du faubourg. On promet de communiquer l'adresse à l'Assemblée qui devait se réunir à huit heures du matin. Il avait été convenu qu'à l'ouverture de la séance M. Larabit remettrait la soumission du faubourg, et qu'il partirait immédiatement avec les quatre délégués pour porter la réponse.

Pendant toute la nuit, les délégués, retirés au domicile de notre représentant, rédigèrent des proclamations qu'ils devaient faire aux insurgés pour arrêter définitivement le combat. Ils étaient convenus d'attendre le retour de M. Larabit, qui avait rendez-vous à l'Assemblée à huit heures. Mais, avant le jour, les insurgés du faubourg du Temple ayant fait une vive attaque sur le général Lamoricière, qui les crut soutenus par le faubourg Saint-Antoine, le général Cavaignac envoya prévenir les quatre délégués, les fit monter à cheval afin de suspendre la lutte; ils partirent à cinq heures et demie du matin et remplirent leur mission avec succès.

« Les délégués sont donc partis sans moi, ajoute M. Larabit; je me plains avec douleur qu'on les ait fait partir si précipitamment; ma position est changée; je devais partir avec eux porter la réponse de l'Assemblée; toutes les conventions de la nuit viennent d'être rompues. Je dois cependant et je veux retourner au faubourg; mais y rentrer seul, sans les délégués, en face d'insurgés inconnus et irrités, je n'y trouverai, comme hier, que des insultes et des menaces de mort.

<< Madame Cavaignac mère était assise au chevet du lit de repos de son fils; le général me répond qu'il n'est pas chargé de faire mes affaires...

Je pars avec mon collègue Rampont; je rentre chez moi pour voir si les délégués n'y sont pas revenus; on ne les a pas revus. J'écris quelques lettres pour rassurer ma famille je crois écrire des lettres d'adieu.... mon ami Laguérie, colonel de la garde nationale d'Auxerre, vient me rejoindre; c'est avec lui que je pars pour le faubourg Saint-Antoine. >>

La mission de M. Larabit n'avait plus alors de raison d'être les barricades étaient occupées par de nouvelles figures peu rassurantes et totalement inconnues; on proférait des menaces contre les ministres et les généraux : à quoi bon exposer un parlementaire à un danger inutile? MM. Recurt, Trélat, tous deux ministres, et Moreau, maire du VIII arrondissement, font garder à vue M. Larabit pour qu'il ne lui soit pas possible de retourner près des insurgés et pour épargner un nouveau crime. La médiation n'ayant plus rien à obtenir, le général Perrot enlève les barricades.

« Quel pouvait être désormais mon rôle ? dit M. Larabit. Je ne pouvais plus marcher en tête des colonnes, comme la veille; c'eût été une trahison; j'avais pris le rôle de pacificateur, il fallait le suivre, et puisque j'avais été défendu et sauvé dans le faubourg, je devais à mon tour, le défendre et le sauver. »

En effet, son intervention parvint à sauver un grand nombre de prisonniers qui allaient être passés par les armes. Ils reconnaissaient M. Larabit et ils se précipitaient dans ses bras, en lui disant: Sauvez-nous, nous vous avons sauvé hier!

Le soir de cette triste journée, il se rendit à l'Assemblée mais ne voulut pas prendre part à la loi de Transportation; elle lui paraissait inopportune, et n'a servi, dit-il, qu'à entretenir, dans quelques parties de la population de Paris, des sentiments de colère et de vengeance.

Nous n'avons rien de particulier à signaler dans le cours de la dernière moitié de 1848. Les événements se précipitaient vers une solution désirée par les uns, redoutée par les autres. La nomination du président de la République allait trancher la question pendante; près de six millions de suffrages avaient délégué Louis Napoléon comme successeur du général Cavaignac. M. Larabit, malgré ses antécédents politiques, ne put rester indifférent à cette manifestation du suffrage universel; il acceptait l'héritier du grand nom de l'Empereur avec la légitime, espérance que les idées larges et libérales de l'ancien prisonnier de Ham allaient lui servir de drapeau.

Réélu membre de l'Assemblée législative par le département de l'Yonne, qui lui restait toujours fidèle, il se rangea parmi les défenseurs du nouveau régime et appuya les différents ministères qui se succédaient à de courts intervalles avec une sensible décroissance des tendances réputées démocratiques. Cependant il crut devoir se séparer du ministère et de la majorité de l'Assemblée en protestant contre la loi du 31 mai, qui abolissait le suffrage universel, pour y substituer un système d'exclusion plus ou moins arbitraire dont les partis auraient abusé.

C'est en vertu du même principe qu'il fit à l'Assemblée une proposition qui fut présentée le 4 juin 1854 : il demandait que l'Assemblée émit le vœu d'une révision de l'article 45 de la constitution, en ce qui concernait la réégibilité du président de la République ;

Que cette révision ne fût pas déférée à une nouvelle assemblée constituante, mais remise à la souveraineté du peuple français, appelé à voter librement pour l'élection d'un président de la République.

Sa motion fut rejetée, et quelques mois après le coup d'État du 2 décembre venait fermer les portes de l'Assemblée législative et emprisonner un certain nombre de ses

membres. M. Larabit, quoique dévoué aux idées napoléoniennes, fut indigné de cet acte de violence; il se réunit à ses collègues à la mairie du Xe arrondissement pour protester, et fut compris dans les arrestations successives qui furent opérées contre les opposants. Il fut conduit à Vincennes. Sa captivité, de même que celle de la majorité de ses collégues, ne fut pas de longue durée. Deux jours après, il recouvrait sa liberté. Sa position n'était relativement que légèrement compromise; s'il avait protesté contre le coup d'État, il avait refusé de signer la déclaration de déchéance du président de la République, par cette considération que le décret du 2 décembre concluait à l'appel au peuple. Aussi le prince président, convaincu qu'il ne trouverait pas un ennemi dans l'ancien officier de l'île d'Elbe, le combla-t-il des prévenances les plus affectueuses et lui proposa-t-il un siége au Sénat qu'il allait instituer. M. Larabit préféra poser de nouveau devant les électeurs de l'Yonne sa candidature au corps législatif; il fut nommé, comme toujours, à une immense majorité. Il y siégea jusqu'au 4 mars 1853, époque où il fut promu à la dignité de sénateur,

L'attitude de M. Larabit au Sénat ne pouvait être douteuse ancien soldat de l'Empire, ayant donné tant de gages de son dévouement et de son admiration à la dynastie Napoléonienne, il fut de ceux qui l'appuyèrent avec la chaleur et l'énergie que l'âge ni les événements n'avaient su refroidir. Il n'abjurait pas pour cela ses vieilles opinions libérales et se posait en défenseur de l'Empire, qu'il voulait entouré d'institutions sagement et loyalement démocratiques.

On usa largement, à la haute chambre, de son bon vouloir et de ses habitudes laborieuses pour le charger d'un grand nombre de rapports qu'il traitait toujours avec le bon sens pratique et l'honnêteté qui lui avait concilié l'estime et le respect de tous ses collègues, sans en excepter ses adversaires. Il trouva l'occasion, dans une des séances du Sénat, de renouveler ses généreuses revendications en faveur de la Pologne; il le fit avec bonheur et en fut récompensé par de nombreuses marques d'approbation et de sympathie. M. Larabit n'était pas orateur, mais sa parole simple, convaincue et

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