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auroit épargné le sang d'un million d'hommes 1788. que la guerre des Turcs, des Autrichiens et des Suédois a coûté; la Pologne n'auroit pas eu la honte et le malheur d'un nouveau partage, et la cour de France, conservant une juste considération au dehors et au dedans, auroit peut-être évité tous les déchiremens qu'amenèrent les fautes trop multipliées du premier ministre. Si, malgré toutes les probabilités qu'une si forte alliance donnoit pour le maintien d'une paix honorable, l'Angleterre et la Prusse s'étoient décidées à la guerre, il est à présumer que la France, assistée de si puissans alliés, s'en seroit tirée avec honneur, et que beaucoup de têtes ardentes qui ont depuis été tour - à - tour chefs et victimes des factions dont elle s'est vue la proie, auroient déployé plus utilement et plus heureusement la même ardeur pour sa gloire.

Quoi qu'il en soit, cette négociation, qui promettoit de si grands résultats et un si prompt succès, fut bientôt arrêtée dans sa marche un commis du comte Osterman en trahit le secret; et Fraser, chargé des affaires du roi d'Angleterre à Petersbourg, en donna avis, par un courrier extraordinaire, au ca-

1788. binet britannique. Dès que les cours de Londres et de Berlin furent informées de ce projet de quadruple alliance, elles songèrent à détourner l'orage qui les menaçoit. Si le gouvernement français avoit montré quelque énergie, le seul moyen pour elles d'éviter l'effet de la ligue qui se formoit, auroit été de s'entendre à l'amiable pour terminer la querelle des Turcs et des Impériaux, pour rendre à la Hollande son indépendence, et pour rétablir la tranquillité en Europe sur des bases solides. Ce fut même dans le premier moment l'avis de Frédéric-Guillaume, qui jouissoit avec inquiétude du succès de la révolution de Hollande, et qui craignoit de se voir enlevé aux voluptés par une guerre longue et sérieuse. Mais Herzberg, conseillé et gouverné par Eward, ministre anglais, qui lisoit même souvent ses dépêches avant lui, fit sentir au roi que la cour de France n'ayant pas osé défendre les patriotes hollandais armés, oseroit encore moins les venger lorsqu'ils étoient vaincus; que le projet de quadruple alliance étoit une preuve de sa foiblesse, puisqu'elle croyoit avoir besoin de chercher si loin des appuis, et qu'il falloit redoubler d'audace, et prou

ver, par des armemens et des menaces, que 1788. la conclusion de ce traité amèneroit infailliblement la guerre, que le cabinet de Versailles vouloit éviter.

Ce systême prévalut et réussit parfaitement; les Anglais et les Prussiens firent les démonstrations les plus menaçantes. Le cardinal de Loménie effraya le roi par le tableau des finances, et celui des malheurs dont la guerre alloit accabler la France. On convint avec l'Angleterre d'un désarmement réciproque qui enleva tout espoir aux patriotes de Hollande. On prodigua à Frédéric-Guillaume les assurances d'amitié et d'intention pacifique, et on réprimanda le ministre Ségur d'avoir trop pressé la marche de la négociation dont on l'avoit chargé. Ainsi ce projet d'alliance, loin de produire le bien qui pouvoit en résulter, n'eut d'autre effet que d'aigrir les rois de Prusse et d'Angleterre, de leur faire connoître à la fois les dispositions de l'impératrice et de l'empereur, le ressentiment et l'impuissance des Français, de les déterminer à resserrer leurs liens avec la Hollande, à en former avec la Suède et la Pologne, et il leur fut démontré qu'ils pouvoient à leur gré, sans obstacle, agiter toute

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1788. l'Europe et se rendre les arbitres de ses destinées. Le but de l'Angleterre étoit d'affoiblir la puissance de Catherine, en excitant contr'elle les Suédois, les Polonois et les Turcs et de la forcer, en lui dictant la paix, à rendre au pavillon britannique le monopole du commerce du Nord. La cour de Londres espéroit de plus, en rendant cette paix avantageuse aux Turcs, détruire l'influence française à la Porte et s'assurer de grands avantages pour le commerce du Levant. Herzberg faisoit envisager au roi de Prusse l'espoir d'épuiser la maison d'Autriche par la guerre de Turquie, de lui faire perdre le Brabant, et de lui enlever ses acquisitions en Pologne il ne doutoit pas qu'alors les Polonois ne payassent la protection de la Prusse par la cession de

Dantzick et de Thorn.

Tel étoit le plan ambitieux de la ligue angloprussienne. Le gouvernement français ne l'ignoroit pas, mais il n'avoit pas assez d'énergie pour s'y opposer; et M. de Florida-Blanca, qui dirigeoit le cabinet de Madrid, trompé par les caresses et les protestations de la cour de Prusse, haissant celle de Vienne, et un peu jaloux de l'influence que le cabinet de Versailles prétendoit avoir sur toutes les

affaires d'Europe, détournoit la France de 1788. toute mesure vigoureuse, et secondoit, par ses conseils temporiseurs, la politique foible du cardinal de Loménie, et la politique ambitieuse de la Prusse et de l'Angleterre. Aussi leurs desseins auroient réussi complètement, malgré la valeur des Russes, les fautes de Gustave, la foiblesse des Polonois, et l'ineptie des Turcs, si la versatilité de Frédéric-Guillaume, et la révolution de France n'avoient pas concouru à changer, peu de temps après, d'une manière totale et imprévue, la face des affaires.

Si l'on doutoit encore de la sincérité de l'impératrice, lorsqu'elle avoit montré quelque crainte de l'agression des Turcs, et lorsqu'elle avoit demandé l'intervention du gouvernement français pour s'accommoder avec eux, les événemens de la fin de 1787 et du commencement de 1788, pourroient, sur ce point, convaincre les politiques les plus incrédules. Tandis que les ministres d'Angleterre et de Prusse déclamoient par-tout contre l'ambition de Catherine et cherchoient à soulever contr'elle toutes les puissances, en fesant envisager la destruction de l'empire ottoman comme prochaine et inévitable, le prince Po

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