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et qu'on auroit dû accompagner d'une décla- 1789. ration des devoirs, si l'on avoit alors écouté d'autres conseils que celui de la crainte, qui portoit l'assemblée à appeler le peuple à sa défense contre les forces qui sembloient la menacer. Des deux côtés alors, une peur mutuelle entraîna dans de fausses mesures, dont rien ne put après empêcher les conséquences funestes. Mirabeau, dans un discours étincelant de beautés, et propre à exciter l'enthousiasme, demanda au monarque d'éloigner ses troupes et de ne point violer la liberté des états.

Ces démarches menaçantes et foibles du gouvernement, et ces résolutions énergiques de l'assemblée nationale, amenèrent enfin l'éruption de ce volcan qui renfermoit dans son sein tant d'élémens inflammables. Les murmures de l'immense population de la capitale se changèrent bientôt en déclamations violentes, et son ressentiment en fureur : les gardes - françaises communiquant à chaque instant avec le peuple, et échauffés par les mécontens, avoient pris leur esprit et n'obéissoient plus à leurs chefs; les autorités militaires et civiles, sans force, voyoient la multitude applaudir avec enthousiasme aux discours que lui adressoient des hommes pas

commerce par les douanes, à l'industrie par les maîtrises, à la pensée par la censure. On crioit universellement contre les tributs payés au pape, contre la richesse et les mœurs mondaines du clergé ; on se plaignoit de la prodigalité des pensions, des dépenses énormes des princes; on s'irritoit de voir la noblesse posséder seule les emplois militaires. La crainte d'une banqueroute agitoit toutes les têtes, et ce mécontentement, cette fermentation, ce désir universel de réforme et de changement, annonçoit avec tant d'évidence les symptomes d'une grande révolution, qu'elle fut clairement prédite par lord Chesterfield, par Rousseau et par Mably.

Avec un peu plus d'expérience en politique, on auroit pu prédire aussi les désastres de cette révolution, si l'on avoit bien considéré à cette époque les mœurs des deux classes extrêmes de la nation. La cour étoit amollie par le luxe, les arts et la volupté : pendant le cours d'une longue paix, les jeunes courtisans, énervés, avoient oublié l'usage des armes; livrés au plaisir de la société, n'endurant aucune fatigue, sûrs de leur avancement sans travail, rien ne les préparoit aux dangers qui les menaçoient, et à la ré

sistance qu'auroit exigé la force qui alloit les attaquer. Eloignés de leurs terres, inconnus de leurs vassaux, leur luxe concentré dans la capitale, étoit odieux aux provinces.

D'un autre côté, la classe inférieure du peuple négligée, ignorante, abrutie, aigrie par la misère, étoit un instrument terrible prêt à suivre toutes les factions et disposée à se livrer à tous les excès. La classe mitoyenne seule possédoit plus de mœurs, de lumières, d'industrie et de talens, mais elle n'avoit nulle expérience en politique; le dédain que lui marquoit la classe supérieure l'aigrissoit; la crainte des vengeances de l'autorité la portoit à outrer les mesures propres à s'en garantir; elle ne connoissoit pas la tactique des assemblées, et il étoit bien difficile que des esprits ardens ne l'égarassent pas dans sa marche.

Si elle s'unissoit à la classe supérieure, elle consacroit et perpétuoit la sujétion dont elle vouloit s'affranchir, et qui l'humilioit d'autant plus qu'elle étoit plus éclairée; si elle se joignoit à la classe inférieure du peuple, elle donnoit passage à un torrent qui devoit l'entraîner et qui pouvoit tout détruire. Le gouvernement, impolitique et foible, ne voyant que les obs

tacles du moment, augmentoit le danger par son imprévoyance. Fidèle à son ancien système, il croyoit, en appelant le peuple, se débarrasser de l'obstacle que les magistrats et les grands opposoient à ses plans de finances, et sans s'en appercevoir, il provoquoit une révolution qu'il étoit incapable de diriger, pour s'affranchir d'un embarras passager, dont l'habileté la plus commune auroit pu le tirer sans péril.

Les parlemens, encouragés par l'opinion publique, en déclarant à la cour qu'ils étoient incompétens pour consentir à de nouveaux impôts, et que le peuple seul pouvoit les accorder, croyoient qu'ils alloient devenir l'idole de la nation, et que les états-généraux, en se séparant, leur laisseroient plus de puissance et des droits moins contestés.

Les nobles de province espéroient profiter de cette crise pour anéantir la supériorité de la noblesse de la cour, et déjà en Bretagne, en Dauphiné, et dans plusieurs autres provinces, ils avoient augmenté la fermentation par leur résistance aux ordres du gouvernement. Le peuple des campagnes se flattoit d'obtenir le soulagement des impôts, la suppression des corvées, l'adoucissement

l'adoucissement de la milice et la prolongation de la paix. Enfin, chacun se livrant aux illusions de l'espérance, appeloit avec ardeur, par ses vœux, cette crise violente qui renversa dans des flots de sang toutes les anciennes institutions, et sacrifia, sans réserve, la génération qui existoit, au bonheur incertain des générations futures.

Tome II.

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