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à la constitution du royaume une base plus solide!

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Mais l'ambition ne connoît point de bornes; le cardinal de Richelieu avoit porté le dernier coup à l'anarchie féodale. Louis XIV alla plus loin; couronné par la victoire enivré par la gloire des grands hommes qui, dans tous les genres, illustrèrent son règne, il acheva d'anéantir la noblesse, qui n'étoit plus qu'une foible barrière entre la moparchie et le despotisme. Il fit oublier l'existence des assemblées nationales, réprima les parlemens qui pouvoient en rappeler le souyenir et qui prétendoient en retracer l'image, et éblouit tellement les yeux par son éclat, qu'on ne vit plus en France que le roi, et qu'il absorba en lui seul toutes les forces, toute la dignité et toute la gloire nationale.

De ce moment le pouvoir monarchique n'eut plus d'autre contre-poids et d'autre frein que l'opinion publique; ressort foible en apparence, mais puissant en réalité, d'autant plus redoutable que sa force ne peut jamais être calculée, et dont l'énergie augmenta depuis à tel point qu'il finit par renverser le pouvoir arbitraire qui ne croyoit plus avoir d'obstacles à redouter.

Les progrès de cette opinion publique mé riteroient seuls d'être le sujet d'un ouvrage particulier; car, tandis que la politique des rois affoiblissoit le pouvoir des papes et détruisoit l'existence des nobles une puissance cachée, profitant de cette lutte, s'élevoit peu-à-peu, étendoit par-tout ses racines, et préparoit une révolution plus complette dans les esprits, dans les mœurs et dans les loix de l'Europe.

Depuis près de trois siècles, la lumière de la raison avoit commencé à percer les nuages qui l'avoient si long-temps éclipsée; la boussole avoit étendu les rapports et les connoissances des hommes, et leur avoit fait trouver un monde nouveau. Des savans avoient découvert la marche des astres et les loix du ciel. L'invention de la poudre avoit fait disparoître la différence qui existoit entre le noble armé et invulnérable, et le plébéïen exposé sans défense à ses coups; le canon avoit égalisé leurs dangers. Enfin, la découverte de l'imprimerie, répandant avec rapidité, d'un bout de l'univers à l'autre, les idées, les connoissances et les livres de tous les siècles, ouvroit à tous les mortels le sanc

tuaire des sciences, dans lequel, jusque-là, Fopulence et le pouvoir avoient seuls le droit de pénétrer.

Cependant cette expansion de lumières fut d'abord lente, et les premiers pas de la raison furent incertains et chancelans: on étoit trop accoutumé aux liens qu'on devoit rompre pour les briser aisément, et l'habitude de la crainte et du respect pour les erreurs les plus grossières dura quelques temps.

encore.

Rome tonnoit contre les innovateurs; plusieurs princes s'armoient pour sa défense et par-tout les échafauds étoient inondés du sang des hommes assez téméraires pour penser et pour oser dire que l'église étoit corrompue, que les papes n'étoient pas infaillibles, que le soleil ne tournoit pas autour de la terre, que les chroniques des moines étoient des contes grossiers, et leurs exorcismes des impostures. On brûloit encore et les sorciers et ceux qui ne vouloient pas y croire le refus des indulgences étoit un crime; la science un sacrilége, et le doute une rebellion.

Mais la force de la vérité est à la longue irrésistible. Les princes et leurs ministres

s'éclairoient; les écrits circuloient avec d'autant plus de rapidité qu'ils étoient défendus avec plus de rigueur. Les débats des différentes sectes en dévoiloient les erreurs; on s'accoutumoit à raisonner sur tout, et l'autorité craignant le ridicule d'une ignorance grossière, réformoit peu-à-peu, -à-peu, forcément, les loix dont une critique active faisoit sen- . tir l'injustice et la barbarie. Les fables qu'on adoptoit jadis aveuglément, restoient dans la poudre des cloîtres, et l'on n'osoit plus en forger de nouvelles; les droits àtroces et ridicules de la tyrannie féodale, sans être nominativement abolis, demeuroient dans les archives, mais tomboient en desuétude; et l'on vit bientôt par-tout les glaives s'émousser, les bûchers s'éteindre, les persécutions se calmer, et l'humanité reprendre ses droits.

Le commerce alors multiplia les rapports des hommes et leurs jouissances; les beauxarts adoucirent les caractères; les théâtres, ressuscitant les chef-d'œuvres des anciens, ranimèrent l'amour des passions nobles, et polirent à la fois le style et les mœurs. Les vestiges de la barbarie s'effacèrent chaque jour; la tyrannie ne fit plus entendre que

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foiblement le bruit de ses chaînes; la superstition ne fit plus briller ses foudres que de loin en loin, et chaque moment en amor

tit la force. Si l'on vit encore sous Louis XIV un mélange de l'esprit de chevalerie, de l'antique crédulité et des idées modernes, 'ce mélange fut si doux et si brillant, qu'on peut concevoir l'enthousiasme qu'il excita, puisqu'il offroit à la fois à l'admiration les vertus de la piété, la valeur des paladins et l'urbanité que donnent les lettres, le luxe et les

arts.

Mais cet éclat étoit plus éblouissant que solide, et cette réunion d'élémens contraires ne pouvoit subsister long-temps; l'ancienne constitution n'existoit plus, et l'on n'en avoit pas une nouvelle; toutes les classes avoient des pretentions, et aucune ne connoissoit ses droits; le peuple n'étoit plus serf, mais toutes ses chartes de servitude subsistoient; les nobles n'étoient plus maîtres, mais ils croyoient l'être; les plébéïens étoient riches et instruits, mais ils restoient humiliés; les rois avoient une autorité sans limites, mais sans base fixe; le clergé étoit dominant et la foi ne dominoit plus; la philosophie se voyoit respectée, mais elle étoit souvent proscrite.

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