Page images
PDF
EPUB

seul décidant les procès, le sort des armes paroissoit la seule voie par laquelle le ciel voulût prononcer ses arrêts et punir le crime.

Un tel systême politique étoit trop anarchique et trop barbare pour subsiter long-· temps, s'il n'avoit pas été universel, et la plus petite puissance gouvernée comme les états de l'Europe le sont aujourd'hui, auroit facilement conquis tous ces royaumes sans subordination, sans finance, sans commerce, sans troupes régulières, et dont tous les membres divisés ne s'occupoient qu'à se déchirer entr'eux. Mais la même ignorance étendoit par-tout ses voiles : le clergé étoit trop instruit de ses vrais intérêts pour ne pas éloigner tous les flambeaux qui auroient pu percer l'épaisseur de ces ténèbres : les nobles ne connoissoient d'autre science que celle des qui suffisoit pour assurer leur gloire et leur puissance; et le peuple, trop abruti pour sentir l'injustice de son oppression, en supportoit le poids, croyoit les seigneurs et les prêtres d'une nature plus élevée, plus sanctifiée que lui, et n'imaginoit pas qu'il pût jamais secouer le double joug sous lequel il étoit courbé.

armes,

Dans cet état de choses, tous les yeux

étoient trop fermés pour que la lumière y trouvât le moindre passage; aussi la première révolution politique qui s'opéra insensiblement dans les esprits, ne fut point, comme on le pourroit croire, l'effet de la renaissance des lettres le retour de la civilisation en Europe fut l'ouvrage, non de la raison mais de l'ambition, et le choc seul des inté rêts opposés des rois et des grands, fit jaillir enfin cette lumière qui ramena par-tout l'ordre, l'instruction, les arts et l'urbanité, et qui rendit à l'humanité des droits si longtemps violés.

Ce grand changement qui s'opéra d'abord en Angleterre et en France, s'y fit par des moyens différens, dont la nature influa toujours depuis sur l'esprit de ces deux pays. En Angleterre, les rois s'appuyant de l'autorité ecclésiastique, et profitant des divisions des grands, s'étoient emparés d'un pouvoir très-étendu que Guillaume-le- Conquérant avoit rendu presqu'absolu. Les grands, pour reconquérir leur indépendance, cherchèrent l'appui du peuple, et relâchèrent ses liens pour capter sa bienveillance; de-là naquit une alliance naturelle entre la noblesse et les plébéïens, en faveur de la liberté contre l'autorité royale.

Le résultat de cette union fut une diminution graduelle du pouvoir du monarque et de la tyrannie féodale; progrès constant d'industrie, de lumière et de prospérité; et enfin,. après plusieurs révolutions sanglantes, et plusieurs secousses tantôt rétrogrades et tantôt progressives, effets inévitables des vices de l'humanité, la Grande-Bretagne eut la gloire de se donner la première une constitution respectable et tranquille, monument le plus rare qu'ait peut-être offert la sagesse des hommes, où les trois passions politiques qui agitent en tous temps les esprits et bouleversent les empires, la démocratie, la monarchie et l'aristocratie, paroissent avoir conclu un traité propre à satisfaire à la fois la raison, la nature et la vanité, en réunissant la force du pouvoir royal, le respect attaché aux noms illustres, la tranquillité du droit sacré de propriété, les douceurs de l'égalité et tous les appas offerts à l'ambition, à l'industrie et aux talens.

En France, le systême féodal fut attaqué par d'autres moyens, qui produisirent des résultats moins décisifs et moins heureux. Les grands seuls y jouissoient, avec le clergé, de tous les pouvoirs qu'ils avoient successivement

2

vement usurpés; les rois y languissoient sans puissance, et les peuples sans protection. La nation souvent envahie par l'étranger et toujours en proie aux discordes civiles, s'illustroit en vain par des exploits particuliers. Le royaume n'étoit qu'un théâtre sanglant de brigandage et d'anarchie.

Les monarques de la troisième race résolurent enfin de suivre un systême politique qui pût les tirer de çet affreux chaos; ils augmentèrent graduellement leur domaine par des conquêtes, des confiscations et des mariages; ils occupèrent et ruinèrent, par des guerres étrangères, et par des croisades, les plus redoutables de leurs grands vassaux; ils affranchirent des villes, créèrent un tiers-état, l'admirent aux états-généraux, lui rendirent progressivement ses droits politiques, attirèrent à la cour les grands de l'état, par l'appas de la gloire militaire; encouragèrent leur luxe, les engagèrent à rendre la liberté aux bourgeois de leurs domaines, profitèrent des querelles des nobles pour les affoiblir, restreignirent et enfin annullèrent leurs droits de suzeraineté, les soumirent à des loix générales, créèrent des armées soldées et régulières, et furent constamment et puissamment Tome II.

E

aidés dans ces entreprises successives par le peuple qu'ils affranchissoient, et qui, les regardant comme leurs libérateurs, les payoit de leurs bienfaits par son amour.

Ce peuple consentoit à tous les impôts, voyoit avec joie les monarques réunir les puissances législatives et exécutives, et préféroit, avec raison, le pouvoir arbitraire et insensible d'un roi, à la tyrannie oligarchique de ses anciens seigneurs. Les monarques, pour n'être pas troublés dans l'exécution de leurs plans, opposèrent avec adresse les prétentions du haut clergé à celles de la cour de Rome; défendirent les libertés de l'église gallicane, favorisèrent le fanatisme des prêtres contre les héritiques: paroissant toujours respecter le pouvoir spirituel de l'église, ils s'emparèrent insensiblement du droit de nommer à toutes les charges ecclésiastiques, et devinrent bientôt les maîtres d'un clergé qui ne tenoit que d'eux ses richesses. C'est ainsi que, par une alliance entre le peuple et le prince, contre les nobles et les papes, les rois de France devinrent enfin les monarques les plus puissans de l'Europe. Heureux, s'ils avoient pu consolider leur pouvoir en y posant eux-mêmes des limites, et en donnant

« PreviousContinue »