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1788 et au commencement de 1789, les agi- 1788. tations qu'éprouvoit la France ne faisoient point deviner aux autres puissances l'explosion qui devoit en résulter. On croyoit par tout les racines du pouvoir monarchique en France, trop profondes et trop solides pour craindre qu'il fût renversé. On prévoyoit encore moins que les opinions qui se manifestoient dans ce royaume, pussent être de quelque danger pour les autres pays. Ces.opinions philosophiques même jusques - là plus comprimées en France qu'ailleurs, étoient par-tout professées sans danger, et souvent même accueillies avec honneur.

Catherine avoit voulu confier l'éducation de son fils au célèbre d'Alembert; elle avoit reçu avec distinction Diderot; Raynal exilé de France, avoit été traité à Berlin comme un grand homme opprimé. Le grand Frédéric, toute sa vie, avoit autant montré d'enthousiasme pour la philosophie que d'amour pour la gloire militaire. Joseph II combattoit dans ses états les préjugés religieux; et universellement en Europe le seul moyen d'être considéré et d'acquérir une réputation brillante dans les cours, étoit de soutenir les principes populaires de la phi

1788. lantropie et de parler le langage des amis de la liberté.

Par-tout on dédaignoit les grands qui tiroient vanité de leur noblesse; par-tout on méprisoit l'attachement de l'Espagne et du Portugal aux superstitions monacales; partout on parloit de Rousseau, de Voltaire., d'Helvétius, de Mably et de Montesquieu, avec un enthousiasme qui enflammoit la jeunesse pour leur morale et leurs principes; par-tout l'histoire, les romans et les théâtres tournoient les préjugés en ridicule, et respiroient l'opposition à la puissance, l'admiration pour la liberté et l'amour de l'égalité ; par-tout enfin le triomphe de la démocratie américaine, secouant le joug de la monarchie anglaise, avoit été applaudi et célébré, et plusieurs monarques prodiguoient les lauriers à ceux de leurs sujets qui avoient été combattre au-delà des mers pour un peuple contre un roi.

Tous ces présages n'ouvroient point les yeux aux gouvernemens européens occupés du présent, et ne songeant qu'à leurs anciennes rivalités. Les troubles de la France excitoient leur curiosité sans leur inspirer de crainte; et si les nouvelles qu'ils en recevoient

les

les affectoient diversement, cette impression 1788. n'étoit relative qu'aux intérêts momentanés de leur politique. La cour de Vienne et celle de Petersbourg voyoient avec peine ces troubles, parce qu'ils ôtoient au cabinet de Versailles la possibilité de les secourir contre la ligue anglo-prussienne. La Porte et la Suède ayant entrepris la guerre contre l'avis du roi de France, étoient totalement indifférentes à sa position. Depuis long-temps la Pologne ne comptoit plus sur sa protection, et n'avoit plus de rapports avec lui. Les princes de l'Empire, long-temps protégés par la France, ne voyoient en elle, depuis l'alliance de 56, entre Louis XV et Marie-Thérèse, et sur-tout depuis le mariage de Louis XVI avec une archiduchesse, qu'une puissance amie de l'Autriche; et dans la crainte continuelle que leur inspiroit l'ambition de la cour de Vienne, leurs espérances s'étoient totalement tournées vers le roi de Prusse qui se déclaroit hautement leur appui. Ainsi, ils voyoient sans jalousie l'accroissement de sa puissance, et la chute de l'influence politique de la France. L'Espagne seule en étoit alarmée; mais elle croyoit cet état de troubles passager, et trompée par la Prusse, elle Tome II.

D

1788. espéroit que la paix seroit promptement

rétablie en Europe. Naples, par l'influence d'Acton, et le Portugal, par sa position, suivoient le système de l'Angleterre et jouissoient de l'augmentation de son crédit.

Le roi de Sardaigne, Venise et les princes d'Italie, ne trouvoient dans la guerre des Autrichiens contre les Turcs, et dans la foiblesse de la France, qu'une certitude plus grande pour la durée de leur tranquillité; et les cours de Londres et de Berlin, pleinement rassurées par les embarras du cabinet de Versailles, sur le maintien de leur puissance en Hollande, concevoient l'orgueilleuse espérance de dominer sans rivaux toute l'Europe par leur influence, après l'avoir divisée par leurs intrigues.

Catherine et Joseph osoient en vain résister à leurs efforts. L'empereur, après quelques succès contre les Turcs, avoit fait la faute, par les conseils du maréchal Lascy, d'affoiblir son armée en étendant sa ligne; il avoit éprouvé des revers, et s'étoit vu forcé par les Ottomans à une retraite qui lui avoit coûté beaucoup de soldats; les maladies minoient son armée; ses finances s'épuisoient, les troubles de la Pologne l'inquiétoient; une

fermentation sourde régnoit en Hongrie; le 1788. Brabant étoit en pleine révolte, et la Prusse pouvoit profiter de ces circonstances pour lui déclarer la guerre et consommer sa ruine. L'impératrice, malgré ses victoires, ne pouvoit se dissimuler les dangers dont la menaçoient les Turcs, les Suédois, les Polonois, soutenus par l'Angleterre et la Prusse; et tout devoit faire croire qu'elle seroit enfin contrainte à accepter la paix que Georges III et Frédéric-Guillaume lui voudroient dicter. Cependant cette princesse, sans s'aveugler sur sa situation, ne voulut pas encore céder totalement à leurs menaces; elle cessa à la vérité de refuser leurs bons offices; mais elle ne les accepta que vaguement, sans leur confier ses vues, et demandant formellement la médiation de la France et de l'Espagne. Elle fit communiquer par la cour de Vienne, à Choiseul-Gouffier, ambassadeur de France à Constantinople, toutes les propositions et les instructions qui pouvoient servir à rétablir la paix entre la Porte et les deux cours impériales.

Tel étoit l'état des affaires en Europe de- 1789. puis 1788 jusqu'à la fin de l'année 1789. Il est temps actuellement d'abandonner ces que

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