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1788.

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Dans cette crise; elle fit encore quelques tentatives pour engager le roi de France à se joindre à elle et à l'empereur, contre une ligue qui devenoit si menaçante; mais elle ne tarda pas à se convaincre de l'inutilité de cette démarche. Louis XVI étoit trop occupé par les troubles de son royaume, et trop effrayé de l'état de ses finances pour vouloir se mêler des orages qui agitoient l'Europe, et ses ministres tremblans des dangers qui les menaçoient, n'étoient pas assez habiles pour voir qu'une guerre extérieure étoit, dans cette circonstance, le seul remède aux maux dont ils souffroient.

Depuis long-temps le luxe de la cour, la prodigalité des grâces, et les dettes qu'on avoit contractées, avoient dérangé les finances de l'état. En temps de paix, les recettes étoient au-dessous des dépenses, et la guerre d'Amérique, nécessitant des emprunts, avoit augmenté ce déficit annuel, et l'avoit porté à cinquante-six millions.

Dans une pareille situation il n'existoit que trois remèdes; premièrement l'augmentation des revenus par de nouveaux impôts'; la nation surchargée s'y refusoit; les parlemens s'y opposoient; M. de Calonne, qui

avoit convoqué pour y parvenir une assem- 1788. blée de notables en 1787, y échoua. Les notables qu'il choisit imprudemment dans les rangs de ses ennemis, avoient combattu ses plans; Lafayette, entr'autres, parla le premier avec feu de la nécessité de rassembler. les états - généraux, et cet appel à la nation enflamma tous les esprits. L'archevêque de Sens, depuis cardinal de Loménie, avoit aussi combattu M. de Calonne, et l'avoit remplacé dans la direction des finances. Le résultat de ces intrigues fut l'impossibilité d'augmenter les revenus.

Le second moyen le plus sûr et le plus sage de tous, étoit la diminution des dépenses; mais M. Necker, dans son premier ministère, l'avoit tenté sans succès; l'avidité des grands et la foiblesse du gouvernement, n'en laissoient pas exister la possibilité. Le troisième remède étoit une banqueroute, remède honteux employé déjà par l'abbé Terray : le roi étoit trop honnête homme et son ministère trop timide pour s'y déterminer. Flottant entre ces trois partis, le cardinal fit ce qu'il y a de plus dangereux; il les essaya tous de manière à en sentir tous les inconvéniens, et n'en suivit aucun; de sorte qu'il

1788. en perdit tous les avantages: il voulut établir mal-adroitement quelques impôts, et fut repoussé par les parlemens, qui se déclarèrent incompétens et demandèrent les étatsgénéraux. Le cardinal eut la foiblesse de les promettre et la mauvaise foi de ne pas vouloir tenir sa promesse : il prétendit y substituer une cour plénière, qui changeoit la cons, titution antique de la France, sans satisfaire les vœux de ceux qui désiroient un autre changement. Trop jaloux de son pouvoir pour consentir à une assemblée qui en devoit éclairer les abus, trop foible pour intimider les mécontens et pour leur résister avec énergie, il enflamma à la fois leur ressentiment par sa résistance, et leur espoir par sa mollesse. Il employa tour-à-tour hors de propos et une rigueur qui aigrit les esprits, et une condescendance qui redoubla leur ardeur; forcé de convoquer les étatsgénéraux, au lieu de les rassembler promptement, de s'y faire un parti, de les étonner par des plans préparés et satisfaisans, il invita tous les hommes lettrés à donner leurs idées sur la forme de cette assemblée et sur les changemens dont la constitution étoit susceptible; et tandis qu'il laissoit ainsi croître et

s'étendre le feu qu'il auroit dû calmer, il porta 1788. au crédit public une mortelle atteinte, en ordonnant que deux cinquièmes des rentes ne seroient plus payés qu'en papier : cette opération, qui mit le comble à la fermentation, dévoila son ineptie et le fit chasser.

Le roi donna sa place à M. Necker, que son premier ministère avoit fait chérir, et que la confiance nationale appeloit. Mais M. Necker n'étoit plus l'homme de la circonstance; peu expérimenté en politique, il n'avoit que de l'esprit, de l'éloquence et de la moralité dans ses écrits; son amour-propre lui faisoit croire que ses intentions étant salutaires, ses opérations ne rencontreroient point d'obstacles, et qu'il seroit le guide respecté des états - généraux, comme il étoit l'oracle de la société qui l'entouroit. Tout étoit bien changé; il ne vouloit qu'une réforme, et les têtes ardentes vouloient une révolution.

Les idées de liberté puisées dans les écrits des philosophes, et répandues en France par toute la jeunesse qui avoit servi dans la guerre d'Amérique, exaltoient tous les esprits et enflammoient toutes les ambitions. Chacune des classes de la société croyoit

1788. alors trouver une place plus avantageuse dans un nouvel ordre de choses, qui ne tarda pas à confondre leurs espérances trompées, dans une communauté de malheurs dont l'histoire offre peu d'exemple, et chacun croyant suivre une lumière qui alloit tout éclairer, se laissa entraîner par un feu qui consuma

tout.

Nous examinerons bientôt les causes de l'étonnant orage que firent éclater la disposition des esprits et les fautes du gouvernement; nous rendrons compte de son commencement, de ses progrès, avec la précision, la brièveté et la modération que demande un pareil sujet, qu'exigent tant de malheurs récens, et que la proximité des temps rend si nécessaires, et nous espérons que tout lecteur sage conviendra que si nous ne disons pas tout, nous n'aurons au moins rien omis de grand et d'essentiel, et rien dit qui ne soit vrai.

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Il faut seulement avant de traiter cette matière importante et délicate, examiner l'effet que lés troubles qui précédoient cet événement, produisirent sur les affaires de l'Europe.

A cette époque, c'est-à-dire à la fin de.

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