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1788. découvrît évidemment la foiblesse du cabinet

de Versailles, on en douta quelque temps dans plusieurs cours, et l'on s'attendit à l'explosion d'un ressentiment qui sembloit devoir allumer une guerre générale. Jusqu'à ce moment on avoit vu la France alliée de l'Espagne et de l'Autriche, forçant l'Angleterre à conclure une paix humiliante, et occupant avec éclat le premier rang parmi les grandes puissances: il étoit difficile de croire qu'elle se laissât, sans combattre, humilier à son tour par l'ennemie qu'elle venoit de vaincre, et qu'elle souffrît patiemment que l'électeur de Brandebourg déjouàt sa politique, renversât son ouvrage, lui enlevât ses alliés et bravât ses forces.

On n'ignoroit pas dans quel désordre étoient ses finances, mais on connoissoit l'étendue de ses ressources; et l'agitation qui se manifestoit dans, l'intérieur de ce royaume, étoit une raison de plus pour déterminer le monarque à la guerre, s'il avoit bien connu ses véritables intérêts. Mais son caractère étoit pacifique, et l'habitude d'une domination tranquille ne lui permettoit pas de prévoir les langers dont son pouvoir étoit si prochainer nent menacé.

Quelques-uns des ministres de Louis XVI 1788. étoient plus clairvoyans; ils avoient voulut occuper au dehors l'activité des esprits qui pouvoient troubler la tranquillité publique: ils avoient conseillé de soutenir énergiquement les états de Hollande; mais l'archevêque de Sens, depuis cardinal de Loménie, dont les vues étoient plus étroites, et que le fardeau des finances accabloit, trembloit à la seule idée des dépenses que couteroit la guerre il n'osa cependant pas d'abord conseiller hautement au roi d'abandonner ses alliés; mais comme il avoit, par des délais successifs, retardé la formation du camp de Givet, il continua à paralyser toutes les résolutions qu'on vouloit prendre pour réparer cette faute. Il ne s'opposa pas à l'armement des escadres royales, mais il retarda leur sortie du port de Brest. Il consentit à négocier une alliance avec les cours de Pétersbourg, de Madrid et de Vienne; mais il annulla l'effet de ces négociations par les lenteurs qu'il y apporta; et son élévation au poste de principal ministre, ayant écarté du conseil les maréchaux de Ségur et de Castries, dont la fermeté contrarioit sa fortueuse et timide politique, il profita des

1788. dispositions pacifiques du roi pour lui faire signer un désarmement qui enleva tout à la fois au gouvernement l'estime de ses rivaux la confiance de ses alliés, et le respect de ses sujets.

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Le cardinal se prêta d'autant plus facilement au projet d'une alliance avec l'impératrice de Russie, qu'il en croyoit l'exécution impossible. Il savoit que Catherine II depuis long-temps aigrie contre la France, et la regardant comme le seul obstacle à ses desseins ambitieux contre l'empire Ottoman, avoit dans tous les temps montré autant de penchant à se lier avec les Anglais que d'éloignement pour se rapprocher des Français. Il attribuoit le traité de commerce qu'elle avoit conclu, à une humeur de circonstance contre l'entêtement de l'Angleterre, qui vouloit tyranniser les mers, et refusoit de reconnoître les principes de la neutralité armée. Mais il étoit loin de croire que Catherine II, combattant les Turcs, voulût augmenter le nombre de ses ennemis en prenant part à la querelle qui s'élevoit entre la France, la Prusse et l'Angleterre. Ainsi il laissa tranquillement M. de Montmorin décider le roi à proposer une alliance impossible selon lui, et dont le refus

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justifieroit le désarmement qu'il méditoit, et la 1788. honteuse inaction à laquelle il s'étoit déterminé. Le ministre de France à Petersbourg, reçut donc l'ordre de se concerter avec Cobentzel, ambassadeur de l'empereur, et de faire secrètement, indirectement et sans compromettre le roi, quelques insinuations s'assurer des intentions de la cour de Russie, et savoir si elle ne consentiroit pas à s'unir avec la France, l'Autriche et l'Espagne, pour s'opposer à l'ambition menaçante des Anglais et des Prussiens. Le ministre français qui n'étoit pas dans le secret du cardinal, s'acquitta des ordres qu'il avoit reçus avec circonspection, et cependant avec assez d'efficacité pour obtenir un plein succès. Catherine II, quoi qu'en dise l'anglais Eiton dans son Tableau de l'Empire Ottoman, étoit fort irritée contre les intrigues du roi de Prusse et du cabinet de Londres, et savoit positivement que les Turcs lui avoient déclaré la guerre d'après leurs conseils. Elle n'ignoroit pas que ces deux puissances excitoient contr'elle la Pologne et la Suède; et cette princesse, voulant profiter de l'occasion de se venger, regarda les insinuations du ministre de France comme une propo

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1788. sition formelle d'alliance, lui répondit qu'elle en formoit aussi le vou, qu'elle en presseroit la conclusion, qu'il falloit seulement beaucoup de secret, afin de ne pas éveiller l'inquiétude des Anglais; et dans le cas où l'alliance seroit conclue, elle fit entendre que dès que les vaisseaux marchands que l'Angleterre envoie en grand nombre tous les ans à Cronstadt, y seroient arrivés, elle y mettroit un embargo qui feroit repentir le ministère anglais de sa conduite hostile contr'elle. Elle s'engageoit de plus à faire, par l'entremise de la France, la paix avec les Turcs, en leur demandant de légères indemnités, et elle vouloit que les quatre cours alliées garantissent l'intégralité du territoire de la Pologne, pour déjouer les vues, déjà pressenties par elle, du roi de Prusse sur Thorn et Dantzick. Il est évident, de quelque systême qu'on soit en politique pour d'autres temps, qu'à cette époque cette quadruple alliance auroit eu les résultats les plus heureux. Elle auroit sauvé la Pologne, pacifié et rassuré la Turquie, contenu la Suède, amené l'Angleterre. et la Prusse à faire un arrangement en Hollande, qui auroit concilié tous les partis. On

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