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qu'ils avoient perdues. Ils faisoient inutile- 1788. ment observer que les offres de la Prusse étoient illusoires et intéressées, et l'embarras des deux cours impériales passager; qu'il étoit insensé de les croire perdues, et dangereux de les irriter; qu'à la paix ils seroient, sans appui, les objets de leur vengeance, et que la Prusse, au lieu de les secourir, alors s'entendroit avec elles pour un nouveau partage.

Les noms d'esclave et de traître étoient la seule réponse à ces insinuations, qu'on ne hasardoit qu'avec timidité, et qui étoient repoussées avec indignation. Hertzberg étoit trop habile pour ne pas profiter de cette circonstance. Luchesiny, ministre du roi de Prusse à Varsovie, eut ordre alors de mul tiplier les promesses, de nourrir les espérances, d'enflammer les esprits, et il remplit parfaitement sa mission.

Nul homme n'étoit plus propre à jouer un pareil rôle. Son activité ne perdoit jamais un moment; son industrie ne laissoit échapper aucune ressource; ardent pour atteindre son but, prompt à saisir tous les moyens d'y arriver, Luchesiny réunissoit toutes les quakités du courtisan adroit et du politique ha

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1788. bile; instruit sans pédanterie, sa mémoire lui fournissoit autant de faits utiles pour son travail que d'anecdotes agréables pour la société; son intimité avec le grand Frédéric, lui avoit fait acquérir une haute considération, son caractère insinuant l'introduisoit dans tous les partis; sa finesse lui en faisoit découvrir promptement tous les secrets, sa chaleur active, cachant sa dissimulation, lui donnoit l'air de la franchise, et persuadoit aux Polonois qu'il embrassoit leur cause avec autant de zèle que s'il avoit été leur compatriote.

et

Déplorant les malheurs de la Pologne, retraçant tous les crimes des Russes, exaltant la probité généreuse du roi son maître il s'indignoit contre les imposteurs qui supposoient au cabinet prussien l'idée d'un nouveau partage. Frédéric - Guillaume, disoitil, cherchoit une plus noble gloire; il vouloit garantir l'Europe de l'ambition des barbares du Nord; il prétendoit opposer une barrière à leur avidité; son dessein étoit de rendre à la Pologne son éclat, sa gloire, sa liberté. Le moment étoit venu d'exécuter ces nobles projets. L'ambitieuse Catherine voyoit ses états menacés à la fois par les

la

Turcs et par les Suédois, et désolés par famine; ses finances étoient épuisées, ses soldats découragés. Déjà cette artificieuse princesse, effrayée par ces nouveaux périls, quitloit le langage insultant qu'elle avoit si long-temps employé, et avoit recours aux caresses et aux prières pour aveugler les Polonois, dont elle redoutoit l'énergie. Elle calomnioit le roi de Prusse, parce qu'elle craignoit qu'il ne fut leur libérateur. Elle vouloit, par un traité funeste, les retenir dans ses fers, et les armer contre leur véritable appui. Mais cet espoir frivole devoit promptement s'évanouir. La nation polonoise étoit trop éclairée pour tomber dans un piége si grossier, trop énergique pour oublier tant d'injures; elle alloit enfin suivre les conseils d'un prince généreux, repousser avec mépris une alliance honteuse, briser un "joug odieux, et reconquérir des droits sacrés.

Hailes, ministre d'Angleterre, appuyoit ces discours, faisoit entrevoir l'espoir d'un armement anglais pour seconder les Suédois, et ranimoit par ses conseils l'amour de la liberté. Les Polonois, altérés de vengeance comme tous les opprimés, et avides d'espérance comme tous les malheureux, se laissèrent prompte

1788.

1788. ment éblouir par ces brillantes illusions; entraînés par leurs passions, enhardis par ces promesses, rassurés par les circonstances, et regardant Frédéric-Guillaume comme un sauveur que le ciel leur envoyoit, ils rejetèrent dédaigneusement l'alliance de la Russie, refusèrent le passage aux troupes russes, ordonnèrent le renvoi de celles qui étoient sur leur territoire, cassèrent le conseil permanent établi par la constitution, la constitution, dont l'impératrice étoit garant, et après ces résolutions hardies, ils se livrèrent avec transport à la joie qu'éprouvent des captifs qui ont brisé leurs liens.

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L'ambassadeur russe, qui tenoit une cour plus nombreuse et plus brillante que celle du roi, se vit tout-à-coup isolé: il donnoit peu de temps avant, des ordres; alors on méprisa ses avis et l'on refusa toutes ses demandes. Tous les Polonois se dépouillant des habits modernes qui leur retraçoient leur honte, reprirent leur antique costume, qui leur rappeloit à la fois leur gloire et leur liberté; toutes les dames, enflammant leur courage, coupoient elles-mêmes la chevelure de ces guerriers, et brodoient leurs riches ceintures. Le roi Stanislas - Auguste ne

pouvant résister à cette ardeur bouillante dont 1788. il prévoyoit les suites, parut la partager; son sort, pendant tout son règne, fut d'être tyrannisé tour-à-tour par son peuple ou par ses voisins. Comme il avoit peu d'énergie et beaucoup de lumières, son esprit clairvoyant ne lui servit jamais qu'à prévoir ses malheurs sans pouvoir s'en garantir. En peu de jours, tout prit ainsi dans ce pays une face nouvelle, et la liberté, comme une lampe prête à s'éteindre, y jeta dans ce moment un brillant et dernier éclat.

Catherine fut d'autant plus irritée du refus injurieux de cette alliance, qu'elle étoit contrainte de dissimuler son ressentiment. C'étoit le premier échec qu'éprouvoit son amour-propre, et elle voyoit avec indignation un peuple qu'elle avoit toujours dédaigné, résister à sa puissance, et rompre une chaine qu'elle croyoit éternelle. Cet événement rendoit la position de son armée en Moldavie plus embarrassante: les renforts, les munitions ne pouvoient plus passer par la Pologne, et elle craignoit que d'un moment à l'autre les Polonois, prenant les armes, ne missent ses troupes entre leur feu et celui des Ottomans.

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