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sur ses vrais intérêts, rendroit enfin justice aux senti mens de sa majesté, et cesseroit de vouloir porter la division et le trouble dans le sein d'une nation réunie par le courage du roi, et qui avoit eu la noble fermeté de briser les liens que son voisin étoit occupé à lui donner par le soutien de l'anarchie et du désordre.

L'époque où la Russie accablée d'une guerre onéreuse, longue et sanglante, quoique remplie de succès, éprouvant les calamités de la disette et de la peste, déchirée dans son sein par la révolte qui menaçoit jusqu'au trône même de l'impératrice, où Moscow tremblant à l'approche du rebelle Pugatscheff, demandoit un prompt secours, et où, pour le lui donner, l'impératrice fut forcée de dégarnir sa frontière, de la laisser ouverte et sans défense, suivit bientôt celle où elle paroissoit occupée d'ébranler le trône du roi.

Si sa majesté n'eût consulté que les mêmes principes qui déterminoient les démarches du cabinet de Petersbourg, le roi auroit pu porter des coups funestes à la Russie, et qui auroient pu même rejaillir sur la personne de l'impératrice. Loin de se livrer à des sentimens qui, par tout ce qui avoit précédé, eussent été excusables, le roi, dans une parfaite tranquillité, espéra par une conduite aussi pure, de convaincre l'impératrice de ses sentimens particuliers et des principes qu'il s'étoit prescrit de suivre pendant tout le cours de son règne. Non contente d'une conduite aussi pacifique, et voulant ne rien négliger pour arracher jusqu'aux moindres semences d'animosité, que les succès mêmes du roi pourroient avoir laissés dans l'esprit de l'impératrice, et en mêmetemps éteindre toutes les haines nationales, que tant

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de guerres avoient allumées ; sa majesté chercha, par une connoissance personnelle, à convaincre l'impératrice de son amitié et de son désir de maintenir la paix et la bonne harmonie entre la Suède et la Russie. Le roi aimeroit à s'arrêter à cette époque, dont le souvenir, encore cher à son cœur, lui rappela la douce et trompeuse illusion dont il fut pendant long-temps ébloui, pendant laquelle il croyoit pouvoir regarder l'impératrice comme son amie personnelle. Si les circonstances qui se sont développées depuis, lui permettoient de se retracer ces momens de son règne, le roi en appelle à l'impératrice elle-même, si sa majesté a rien négligé pour lui témoigner, à elle personnellement et à l'empire de Russie, sa confiance et les sentimens pacifiques et amicals que le roi regardoit comme si utiles aux deux empires.

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C'est cependant au milieu de ses soins, et tandis que le roi cessoit de compter sur la constante union qu'il avoit cru si bien établie, que le ministre de l'impératrice, au contraire, ne cessoit, par ses menées sourdes, ses propos et ses actions, de vouloir réveiller cet esprit de désunion et d'anarchie que le roi avoit eu le bonheur d'étouffer au commencement de son règne, et qu'alors l'impératrice avoit fomenté et soudoyé avec tant de soins; et tandis que le comte Razoumoffsky tâchoit ainsi de troubler l'intérieur de l'état et changeoit le sacré caractère d'un ministre de paix en celui d'un perturbateur du repos public, il osoit prêter au roi, dans ses rapports, les desseins les plus hostiles contre la Russie.

Le roi seroit cependant en droit de prétendre que les offres répétées de bons offices et de médiation que sa anajesté avoit fait faire par son ministre, pour établir la Tome II. V

paix entre la Russie et l'empire Ottoman, auroient da convaincre l'impératrice du désir du roi de pacifier les différens élevés; désir à la vérité bien différent de celui de vouloir troubler son repos. Mais lorsque le roi ne peut pas connoître les vues et les secrets du cabinet de l'impératrice, sa majesté ne peut aussi juger que par les effets des principes qui le guident ; et lorsque le roi a vu, d'un côté, les menées du ministre de Russie dans son intérieur, et de l'autre les préparatifs de l'impératrice, et sur-tout les démarches de cette princesse pour semer la discorde entre lui et un de ses voisins, démarche que sa majesté se réserve, dans une autre occasion, de relever ; le roi n'a pu que prendre les précautions que le devoir de sa place, la gloire, l'intérêt de l'état et la sûreté de son peuple exigeoient, et de déployer avec la célérité et l'énergie d'une grande puissance, toutes les ressources que dix-sept ans de sa propre administration lui ont procurées.

C'est dans ces circonstances et lorsque le roi comptoit s'expliquer définitivement avec l'impératrice, que le comte de Razoumoffski, mettant le comble à ses démarches offensantes, dans une note ministérielle conçue dans les termes les plus insidieux, sous les apparences de l'amitié, a osé vouloir séparer le roi de la nation, en a appelé à elle, et a, sous le prétexte spécieux de l'amitié de l'impératrice pour la nation, voulu rompre les liens sacrés qui unissent le roi à ses sujets. Sa majesté n'a consulté que ce qu'elle se doit à elle-même, à ses peuples et à la tranquillité publique, en écartant de sa personne un particulier qui, en abusant du droit des gens, cessoit d'avoir droit d'en jouir : et lorsque sa majesté, en

respectant encore en lui le caractère dont il mésusoit, a mis dans la démarche que le roi devoit à sa gloire, tous les ménagemens possibles, sa majesté croit encore avoir donné une nouvelle preuve de ses égards pour l'impéra trice et du respect que le roi porte au droit des gens.

C'est sous ces circonstances que le roi s'est rendu en Finlande à la tête de son armée, et qu'il demande une réponse catégorique et définitive qui décide a de la paix ou de la guerre ; et voici à quelles conditions le roi offre la paix à l'impératrice :

1o. Que le comte de Razoumoffsky soit puni d'une manière exemplaire pour toutes les intrigues qu'il a fomentées infructueusement eu Suède, et qui ont troublé l'amitié, la confiance et la bonne harmonie qui subsistoient entre les deux empires, pour que ses pareils soient à jamais dégoûtés de se mêler des affaires inté rieures d'un empire indépendant;

2o. Que pour dédommager le roi des frais que les armemens que sa majesté a été forcée de faire, luf coûtent, et qu'il n'est pas juste que ses peuples suppor tent, l'impératrice cède au roi et à la couronne de Suède, à perpétuité, toute la partie de la Finlande et de la Carelie, avec le gouvernement et la ville de Kexholm, tels qu'ils furent cédés à la Russie par les paix de Nistadt et d'Abo, en rétablissant la frontière à Systerbeck;

3°. Que l'impératrice accepte la médiation du roi pour lui procurer la paix avec la Porte Ottomane, et qu'elle autorise sa majesté à offrir à la Porte la cession entière de la Crimée, et de rétablir les frontières d'après le traité de 1774, ou, si sa majesté ne peut engager la

Porte à la paix, à ces conditions, d'offrir à cette puissance le rétablissement de ses frontières telles qu'elles étoient avant la guerre de 1768; et pour sûreté de ses offres, que l'impératrice désarme au préalable sa flotte et rappelle les vaisseaux déjà sortis dans la Baltique, retire ses troupes des nouvelles frontières, et permette au roi de rester armé jusqu'à la conclusion de la paix entre la Russie et la Porte.

Le roi attend un oui ou un non , et ne peut accepter la moindre modification sans compromettre sa gloire et l'intérêt de ses peuples.

C'est ce que le soussigné à l'honneur de déclarer par ordre du roi à son excellence M. le vice-chancelier, et qu'il supplie ce ministre de vouloir bien mettre au plutôt sous les yeux de l'impératrice, pour qu'il puisse faire promptement parvenir la réponse au roi son maître.

G. DE SCHLAFF, Secrétaire de

Légation, comme seul appartenant à la mission du roi à la cour impériale de Russie.

Saint-Petersbourg, le premier juillet 1788,

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