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· Le peu de succès de Gustave, et la décla- 1788. ration du Danemarck, excitèrent le murmure de l'armée suédoise; elle apprit dans le même temps que les Russes, loin de son

ger

à l'attaquer, n'étoient pas en état de défense, et que le roi leur faisoit entreprendre une guerre inconstitutionnelle, dont le commencement étoit humiliant et les conséquences dangereuses.

Furieux de se voir à la fois trompés et abandonnés, les chefs exhaloient leur mécontentement, et ne dissimuloient pas leur inquiétude. Sprengporten, officier - général suédois, qui avoit quitté son pays par mécon tement, et qui s'étoit mis au service de la Russie, ardent comme tous les transfuges, fut promptement informé de cette disposition des esprits; il entretint par ses intrigues, et redoubla par ses promesses, l'aigreur des troupes, et lorsqu'il les vit exaspérées comme il le souhaitoit, il entama avec elles, par ordre de l'impératrice, une négociation dont le but étoit de forcer le roi à la paix, et de rendre au sénat suédois son ancienne puissance, si le monarque vouloit continuer la guerre.

Tout annonçoit une révolution que les

1788. fautes de Gustave avoient préparée; mais sa fortune et son activité le sauvèrent. S'il manquoit de talent pour la guerre, et de sagesse dans ses projets, il avoit du courage dans les dangers, de l'éloquence dans les discours, et des ressources dans l'esprit. Catherine II ne profita ni assez habilement, ni assez promptement de l'occasion qui s'offroit; écoutant plus son ressentiment que son intérêt, elle manqua la paix, parce qu'elle espéra une révolution ; et en n'acceptant pas simplement les offres qui lui étoient faites par l'armée insurgée, elle perdit du temps; perte irréparable en politique. Les rois de Prusse et d'Angleterre, par leurs menaces, arrêtèrent les Danois, et les forcèrent à faire la paix. Le roi de Suède, soutenu par le peuple qu'il sut animer, contint les grands, et effraya les troupes. L'armée suédoise voyant l'union du monarqué et du peuple, et apprenant la défection des Danois, dénonça et abandonna les auteurs de la sédition dont elle avoit approuvé les projets. Gustave fit emprisonner les chefs de la révolte, et par des largesses sagement distribuées, des promesses encourageantes, des châtimens sévères pour quelques rebelles, et de la clé

mence pour les autres, il rétablit la discipline 1788. dans l'armée, et vint ranimer son courage par sa présence.

Au moment du péril, il avoit imploré la médiation de la France, qui désiroit la paix.

Dès qu'il se crut en sûreté, il déclara qu'il n'accepteroit que celle des rois de Prusse et d'Angleterre, dont il connoissoissoit le vœu conforme au sien pour la prolongation de la guerre.

Tels furent les événemens qui remplirent la campagne de 1788, où l'on vit tour-àtour, des deux côtés, tous les présages de ruine et de triomphe, et qui finit sans aucun succès ni décisif ni même important.

Catherine, rassurée du côté de la Suède et se voyant en état de soutenir au moins avec égalité cette guerre septentrionale, continuoit à remporter, dans le midi, des avantages qu'un général moins indolent que Potemkin auroit pu pousser avec bien plus de rapidité. L'ingénieur français Lafitte, qui avoit été envoyé deux ans avant par le cabinet de Versailles à la Porte, mandoit au ministre de France à Petersbourg, qu'Oczakow n'étoit pas en état de soutenir une attaque régulière plus de trois semaines: Potemkin fut dix

1788. mois à l'assiéger, et ne s'en empara qu'à la fin de 1788. Les maladies avoient emporté un tiers de son armée; les travaux n'avançoient pas; les soldats russes, effrayés de l'approche de l'hiver, et animés par le fanatisme religieux, pressèrent si vivement leur général de les laisser enfin détruire cette ville infidelle, qu'il y consentit. L'assaut fut terrible, la résistance opiniâtre, le carnage affreux. On livra la ville au pillage; trois jours après la victoire les Russes massacroient encore les Turcs, et même les enfans dont ils découvroient l'asile. Si l'armée russe, laissant une division pour masquer cette place, eût joint celle de Romanzow, en une campagne les Ottomans auroient été chassés d'Europe; mais les Russes, infiniment supérieurs aux Turcs dans les batailles, ne savent pas faire de siége, chaque bicoque les arrête long-temps, et leur coûte un assaut meurtrier. Si les Français étoient voisins et ennemis de l'empire ottoman, de puis long temps il n'existeroit plus.

La prise d'Oczakow, qui débarrassoit la Tauride d'un voisinage inquiétant, valut le grand cordon de Saint-Georges à Potemkin: c'étoit le but de son ambition; dès qu'il l'eut attcint, son ardeur guerrière fit place au

désir des voluptés et du repos : il souhaita dès- 1788. lors sincèrement la paix ; mais il ne put l'obtenir. L'Angleterre la lui auroit donnée, si la Russie avoit fait un traité de commerce avec elle, et avoit demandé sa médiation; le roi de Prusse y auroit consenti, et auroit forcé les Turcs à la conclure, si l'impératrice avoit abandonné l'empereur pour s'allier avec lui; car, malgré quelques ressentimens personnels, Frédéric - Guillaume, conseillé par Herzberg, croyoit l'alliance de la Russie plus utile à la Prusse dans ses desseins contre l'Autriche que celle de la France même.

Potemkin n'ignoroit pas les dispositions de ces deux cours., et il employa tous ses soins pour engager sa souveraine à changer de politique et à se rapprocher des cabinets de Londres et de Berlin. L'état de foiblesse de la France ne lui faisoit plus compter cette puissance pour rien; et comme il avoit quitté sans hésiter l'alliance de Frédéric pour celle de Joseph, afin de conquérir sans obstacle la Crimée, il ne se faisoit aucun scrupule d'abandonner l'empereur et de s'unir à la ligue angloprussienne, pour jouir paisiblement de la conquête d'Oczakow, et pour forcer les Suédois et les Turcs à la paix. Mais Catherine

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